A propos du pavé mosaïque
Plaidoyer pour une vraie tolérance
L’interprétation la plus ordinairement admise concernant le pavé
mosaïque recouvrant en totalité ou partiellement le centre de nos temples
est l’image de l’opposition que nous offrent les apparences de la vie dans
leurs différents aspects.
Loge «Caledonia», Renens (Revue maçonnique suisse: janvier 2005)
Contrastes ou alternances souvent tranchés; le calme après l’orage, le
jour après la nuit, la lumière après les ténèbres; de même les oppositions
entre la vérité et le mensonge, la vie et la mort, le juste et l’injuste, le
vrai et le faux, le bien et le mal, les thèses et les antithèses, etc…
Cette forme d’approche manichéenne nous est devenue familière et presque
naturelle; notre éducation depuis l’enfance s’en est nourrie. Mais d’où
vient cette manière de raisonner?
Bien avant le christianisme érigé au cours des siècles en divers dogmes
par les Eglises, les peuples de l’Antiquité, mésopotamienne en particulier,
reconnaissaient en cette forme de pensée une réalité vérifiable qu’ils
craignaient, dans un monde dont les règles universelles méconnues et
mystérieuses étaient pour eux alternativement exaltantes ou terrifiantes,
En Occident, par exemple, les cathares, héritiers de ce manichéisme au
travers des «hérétiques» bogomiles, voyaient pourtant dans l’Esprit pur la
seule réalité lumineuse du divin. Le mythe de Lucifer dont l’émeraude,
symbole de la pureté divine, était tombée de son front sur la terre (tête,
siège de l’Esprit) est l’image de cette perversion de l’Esprit dans la
matière, oeuvre d’un démiurge engendrant l’éternelle lutte des ténèbres
contre la Lumière. Cette vision nous a valu dans l’Eglise le dogme du «péché
originel » que seule l’ascèse dans le sacrifice et le repentir peut sauver
l’homme de cette perverse hérédité, et lui permettre, par l’acte de charité,
c’est à dire l’amour, le retour au divin, ou l’Un ineffable.
En allant évangéliser les «païens» dans les confins des contrées les plus
septentrionales de l’Occident méconnu, contrées jugées sauvages et peuplées
de barbares, les moines venant de Chalcédoine chargés de doctrines
chrétiennes se voulant orthodoxes et porteurs, disaient-ils, d’un morceau de
la croix du supplice de saint André, aujourd’hui plus connus sous le vocable
de moines irlandais, fondèrent lors de leur passage en Ecosse, Saint- Andrew
ou Saint-André auquel se réfère le Régime Ecossais et Rectifié. Ils y
trouvèrent aussi une culture préexistante, moins «barbare » que présumée.
Le druidisme, héritier et transmetteur d’une autre forme de culture elle
aussi touchant à la Tradition primordiale, enseignait une spiritualité dont
l’antagonisme des opposés n’existait pas. Seul était l’Un sous ses diverses
formes, dieux et héros, dans un univers dont l’harmonie était la parfaite
expression du divin. Ce qui est en bas était égal à ce qui est en haut, un
monde beau, à l’image de la nature, vivant mais invisible à vue humaine; en
somme un monde surréaliste et abstrait qui au fil des siècles est devenu une
forme artistique de l’esprit, propre au génie de notre culture occidentale,
entre autres. Les ténèbres n’étaient qu’une composante passive de la
lumière, le mensonge une vérité relative, le creux et la crête de la vague,
comme le calme et la tempête, une simple composante de la mer nourricière
infinie; le mal qu’un bien imparfait, et la Justice immanente ne s’employant
qu’à rétablir une harmonie momentanément rompue par un désordre occasionnel;
le monde, la nature comme les hommes tendaient perpétuellement à progresser
et à évoluer vers cette unité primordiale qu’est l’harmonie universelle dont
l’homme est porteur d’une étincelle divine. En fait, une religion du Beau
opposée à celle du repentir. Le Christ Lui-même ne nous rappelle-t-il pas
dans la prière qu’il nous a enseigné: «Que Ta volonté soit faite sur la
terre comme au ciel»?
Ces deux approches d’une même vérité touchant à l’unité primordiale, nous
les retrouvons en franc-maçonnerie par la voie symbolique qu’elle nous
dévoile. Si, d’une part le pavé mosaïque met le doigt sur cette forme
manichéenne de notre pensée conduisant au concept du péché originel, de
culpabilisation, et par conséquent d’une certaine forme de fatalisme plus
chère encore à certaines confessions, d’un autre côté, et grâce au rite
initiatique qu’elle dispense afin d’éveiller le cherchant, la
franc-maçonnerie nous fait également découvrir qu’en alliant la sagesse, par
la recherche incessante de la vérité, à l’utilisation de la volonté, force
que représente la grâce du libre arbitre accordée à l’homme par le Grand
Architecte de l’Univers, nous pouvons alors accéder à la beauté, expression
humaine de l’harmonie universelle: le meilleur outil pour y parvenir étant
l’amour qui, non seulement nous porte à l’exaltation mais nous permet encore
d’entrer en communion, symbolisée par la chaîne d’union, avec la beauté de
l’univers dans un sentiment d’unité retrouvée, source de la Tradition
primordiale; et de marcher la tête tournée vers la voûte céleste sur ce fil
ténu du ciment qui, sur le pavé mosaïque, unit les pavés noirs aux blancs.
Ainsi, l’initié à l’image du funambule sur son fil, avance avec
précaution entre thèse et antithèse à la recherche perpétuelle d’une
spiritualité, équilibre instable, se voulant toujours synthétique entre ce
qui est en haut et ce qui est en bas. Armé du balancier de l’amour et de son
corollaire logique la tolérance bien comprise, le cherchant chemine alors
avec foi au-dessus du vide qui n’existe que pour ceux que l’agnosticisme
plonge dans les ténèbres d’un doute sans issue.
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