Entretien avec André Moser
Le fait maçonnique dans le web
De nationalité suisse, marié, père de trois enfants, André Moser vit
actuellement à Segny, dans le pays de Gex, en France voisine. Il a été
initié en 1985 à Fidélité et Prudence, à Genève. Il a occupé différents
postes au sein de sa loge et en est actuellement le Vénérable adjoint.
Utilisateur assidu et avisé de l’internet, il s’exprime ici à ce propos.
Propos recueillis par Jacques Tornay (Revue maçonnique suisse:
octobre 2005)
Parcours de vie atypique que celui d’André Moser. Ingénieur, il travaille
huit ans durant auprès d’une grande industrie sise à Monthey (VS), puis
s’accorde une pause et part en Espagne. Il reprend la filière
professionnelle et travaille à Limoges comme adjoint au PDG d’une usine
chimique. Enfin, il passe un quart de siècle dans une société genevoise en
tant qu’ingénieur chef de production, ensuite dans la recherche de procédés.
Avant de s’en aller au pays des Ibères André Moser s’était porté acquéreur
d’un bateau à voile (10 mètres) afin de réaliser un vieux rêve qui le
tenaillait. Pendant trois ans il vit sur le lac été comme hiver, avec Le
Bouveret comme port d’attache. Faisant l’économie d’un loyer, il peut
s’offrir son embarcation. Celle-ci sera mise à l’eau en Méditerranée. Après
de belles croisières, notamment aux Baléares, le navigateur mouille à Denia,
sur la Costa del Sol. «J’ai vécu dans cette région des histoires
extraordinaires, nous dit-il, j’ai ouvert un bar au bord de la mer et j’ai
été travailleur agricole, avec un mulet, dans le campo de Parcent. Epoque
formidable où se conjuguaient l’innocence et l’aventure humaine». En France,
André Moser a beaucoup oeuvré dans le cadre d’Amnesty International pour la
défense des prisonniers condamnés à mort, et participé à de nombreux
rassemblements afin de persuader les paysans de la Haute-Vienne du
bien-fondé de l’abolition de la peine de mort. Celle-ci fut finalement
abrogée après une lutte épique. «À l’heure actuelle je suis actif chaque
semaine aux cuisines scolaires de Plantaporet, à Genève, et membre de
plusieurs associations caritatives». Lisons maintenant les commentaires
d’André Moser sur notre thème du mois.
Alpina: Quelles sont tes activités dans le secteur de
l'informatique?
André Moser: Je n’ai pas d’activité spécifique dans le secteur de
l’informatique. En tant qu’ingénieur en génie chimique j’utilise de
nombreuses bases de données informatiques pour la réalisation de projets
dans la chimie de recherche ou industrielle, qui me sont pour la plupart
fournies par la société qui m’emploie. Sur le plan personnel l’informatique
m’a toujours passionné, car elle est un outil extraordinaire qui permet de
mesurer en quelque sorte le progrès en marche. D’autre part, elle est
l’aiguillon qui pousse la réflexion sur l’humilité de son savoir en relation
avec son environnement professionnel et sociétal.
A.: De manière générale, comment se présente aujourd'hui la
situation de la franc-maçonnerie sur le net?
A.M.: Elle est foisonnante et plurielle. En effet, il suffit de taper
franc-maçonnerie sur un moteur de recherche pour voir à quel point notre
société est bien représentée mais il est parfois difficile de distinguer,
dans les innombrables liens proposés, la franc-maçonnerie traditionnelle et
régulière. En cliquant sur certaines adresses on peut aussi être surpris du
contenu mais vu que le Web est un espace de liberté, il ne tient qu’à nous
de choisir d’entrer ou non sur le site choisi. Il existe tout de même
quelques emplacements sur internet qui référencient toutes les adresses
maçonniques auxquelles on peut se fier.
A.: Quelle aura été à ce sujet l'évolution principale de ces dix
dernières années?
A.M.: L’évolution fulgurante de la franc-maçonnerie sur le net a suivi
les progrès techniques des outils informatiques. Rappelons que c’est en 1990
que Tim Berners-Lee , chercheur au CERN, a mis au point les langages HTTP
(Hyper Text Transfer Protocol) et HTML (Hyper Text Markup Language). À cette
époque il était difficile pour les amateurs de créer un site sur le réseau
puisque ces deux langages étaient compliqués et réservés aux informaticiens
chevronnés. Il ne figurait alors sur la toile que des sites commerciaux et
universitaires et la franc-maçonnerie était pratiquement inexistante. C’est
grâce au développement de logiciels HTML Wysiwyg (what you see is what you
get...qui signifie que vous entrez directement sur le clavier le résultat
que vos lecteurs verront grâce à leur navigateur) que le réseau internet a
véritablement pris son essor de même que les sites maçonniques.
Parallèlement, le hardware et le software informatique (processeur, mémoires
et logiciels), ainsi que la vitesse de transmission des données par la
technologie ADSL ont respectivement simplifié le travail du webmaster et
surtout augmenté les performances du réseau qui aujourd’hui peut accepter de
l’image, du son et de la vidéo aussi bien en différé qu’en streaming. La
conséquence est qu’aujourd’hui la maçonnerie est remarquablement présente
sur internet et que les sites sont attrayants tant d’un point de vue
graphique que par le contenu.
A.: Doit-on y voir un paradoxe?
A.M.: Je ne crois pas qu’il faille y voir un paradoxe. Qu’il existe des
divergences dans les loges quant à la création d’un site ou à la publication
des travaux me paraît normal! Nous avons la chance à l’Alpina d’être
structuré comme une fédération de loges, ce qui laisse un espace de liberté
à chaque loge pour se déterminer quant à sa politique sur le net. À Fidélité
et Prudence, le Collège des Officiers a accepté en 2001 de créer un site et
de le mettre à jour chaque semaine en communiquant la planche de l’Orateur,
la pensée du jour ainsi que tous les évènements importants de l’atelier.
D’autres n’ont pas fait ce choix, c’est leur droit et il est tout à fait
respectable. Il est à noter aussi que certaines obédiences françaises
n’autorisent pas leurs loges à créer un site internet. Quant au secret des
travaux en loge, il doit être respecté par la mise en place sur les textes à
protéger d’un mot de passe qui permettra l’accès aux seuls possesseurs de
celui-ci, c'est-à-dire au franc-maçon connu et reconnu tout en sachant les
limites d’une telle procédure puisqu’un mot de passe peut aussi être
transmis à des profanes.
A.: Considères-tu l'internet comme un moyen adéquat de mieux faire
connaître notre ordre, n'y a-t-il pas un risque de banalisation?
A.M.: Oui, c’est un excellent moyen de mieux faire connaître notre ordre,
car aujourd’hui la recherche d’informations de quelque nature soit-elle sur
internet est devenue banale. Par voie de conséquence, les jeunes gens
intéressés par nos idées ne feront plus nécessairement la même démarche que
celle que nous prônons dans nos loges. Aujourd’hui, de par notre système
économique ultralibéral, le jeune homme (futur candidat) est de plus en plus
surmené et seul face à ses interrogations existentielles, car il n’a plus le
temps matériel, ni suffisamment de confiance pour rechercher dans son
entourage professionnel et familial les réponses à ses doutes. Il s’ensuit
qu’il recherchera, dans un premier temps, quelque chose sur internet, lieu
qu’il connaît bien et qui pourra le guider vers une première réponse. La
franc-maçonnerie sur internet pourrait être alors sollicitée mais encore
faut-il que son contenu soit suffisamment explicite pour encourager le
cherchant à persévérer dans sa voie? Ce mode de faire ne remplacera jamais
la méthode de recrutement traditionnel, mais la complètera en quelque sorte
puisque cette dernière débutera aussitôt que la demande par internet à la
loge ou à l’obédience sera dûment enregistrée.
Par ailleurs, signalons qu’un site internet qui reflète authentiquement
les idéaux maçonniques corrigera naturellement par son contenu les
affirmations antimaçonniques que l’on peut trouver sur le net. Enfin, sur le
site de Fidélité et Prudence nous recevons en moyenne entre 200 et 300
visites par jour, de toutes origines, ce qui me laisse à penser qu’il y a
une demande importante d’informations concernant notre ordre et qu’une telle
demande ne pourrait être satisfaite par les media traditionnels
A.: Comment aider le maçon surfeur débutant à se diriger vers les
sites sérieux et substantiels, de quoi devrait-il se méfier?
A.M.: Les séances d’instruction sont l’endroit idéal pour traiter ce
problème. Le maçon surfeur débutant doit être informé des statuts de sa
loge, des objectifs de notre ordre et mis en garde contre tout ce qui est
contraire à nos idéaux maçonniques afin qu’il puisse, par lui-même, faire le
bon choix en surfant. D’autre part, il est utile de développer par une
réflexion idoine les différences qui existent entre une communauté virtuelle
et réelle en insistant sur le fait que le site internet de la loge est un
prolongement virtuel informatif sans relations initiatiques. L’essentiel ne
doit pas se passer en ligne sur internet mais dans la loge avec ses frères
car en définitive la communauté virtuelle n’existe pas en dehors de son
support dans une communauté réelle qui est la loge.
A.: Quels sont les développements auxquels ont peut s'attendre dans
ce domaine au cours des prochaines années?
A.M.: Le but de la franc-maçonnerie étant la construction du temple idéal
de l’humanité où règneront la paix, l’amour et la sagesse, pouvons-nous
espérer qu’à l’avenir internet pourra continuer à être un support
complémentaire positif? Comme dit Max Frisch: «La technologie est l’art
d’arranger le monde pour ne pas être obligé de l’affronter» En fait la
technique globalisante comme internet transforme l’homme parce que l’homme
est déjà transformé par rapport à l’animal mais elle est aussi l’art de
transformer ses faiblesses en forces pour combler ses besoins. Le fondateur
du protocole TCP/IP, Vinton Cerf, disait de l’avenir d’internet: «La bonne
nouvelle est que l’enfant grandit ; la mauvaise est aussi qu’il grandit».
Nous ne ferons donc pas dans le futur proche l’économie d’une charte
d’éthique et de civilité commune aux usagers de l’internet comme l’a déjà
définie la Délégation aux usages de l’internet du ministère français de
l’Education nationale, charte inspirée d’une réflexion de René Cassin qui
déclarait au Conseil de l’Europe: «Le pouvoir croissant dont l’homme
dispose, crée le devoir croissant d’en user pour le bien».
Ainsi donc, les buts de la société civile à travers cette charte sont les
mêmes que ceux de la franc-maçonnerie c’est-à-dire d’oeuvrer à travers
internet pour le développement de la personne humaine, à la fois
psychologique, éthique et sociale et de se conduire selon une éthique des
droits de l’homme universellement applicable.
Internet, créateur de liens sociaux ?
En chaque individu existe fondamentalement un besoin de liens
sociaux. Il n’y a qu’à observer le comportement de l’homme tout au
long de son existence pour s’en assurer.
Petit enfant, le lien est essentiellement assuré par la mère puis
lors de l’adolescence il est déterminé par l’émancipation impérative
de la tutelle parentale. À l’âge adulte, il est comme aspiré par la
nécessité de la survie professionnelle mais aussi de la vie
familiale. Enfin, quand l’homme accède à la retraite, il est
caractérisé par le contact avec ses enfants, petits-enfants et avec
sa conscience. Comment internet pourrait-il interférer dans ces
multiples liens sociaux et qu’elles seront les conséquences sur le
comportement de l’homme en général puis de la société en particulier
?
Internet en tant que réseau de communication international brise
la solitude du cherchant quel que soit son âge puisque c’est la
réflexion en commun et le travail en réseau qui sont essentiels.
Cette dimension de réseau est pédagogique, elle permet à chacun
d’enseigner ce qu’il a ou ce qu’il est sans connaissance de son
auditoire et surtout dans une attitude particulière qui est celle
d’une attente de réponse aléatoire. Par internet le lien social
devient universel puisqu’il acquiert une dimension virtuellement
infinie car on ne sait plus comment il se recrée.
L’interférence multiculturelle que suppose cette démarche
requalifie le lien, le transforme et surtout l’enrichit par une
dialectique permanente qui n’est pas sans danger pour la société. Il
pourrait se produire par exemple une substitution du réel par une
virtualité qui ne serait plus en phase avec les références morales
de l’initiateur du lien ou qui serait même en conflit avec les
valeurs qu’il soutient. Ce risque est bien réel, mais il est en
quelque sorte inclus axiomatiquement dans le principe universel
d’internet. Il n’est donc pas négociable sous peine de réduire la
liberté sur la toile. D’autre part, l’enrichissement du lien par la
dialectique le protège en quelque sorte d’une dérive sectaire, voire
tyrannique. La liberté de création est dans ce cas de figure le
meilleure modérateur possible.
Le réseau en tant que moyen de diffusion de l’information affirme
le primat de la communication sur l’information, ce qui veut dire
qu’il n’y a pas d’information sans communication. Il se pose alors
la question de savoir qui est propriétaire de la communication et
donc des informations. Aujourd’hui, internet appartient à tous bien
que n’étant à personne et c’est tant mieux ainsi. Son but premier
permet essentiellement de soulager l’homme de tâches répétitives, de
parler et d’échanger dans le but de résoudre des problèmes concrets
à tous niveaux et d’organiser des stratégies en interpellant toutes
les sensibilités culturelles de ce monde. Dans cette optique,
internet est une machine de production de liens sociaux puisqu’elle
affranchit l’homme de sa solitude sociale locale en lui proposant
une multitude d’informations internationales qu’il pourra négocier
selon son intérêt.
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