Thème
La Franc-Maçonnerie et l'engagement politique
«Tout ce qu'il faut au mal pour prospérer,
c'est l'apathie des gens de bien»,
disait déjà notre frère Edmund Burke
(1729-1797), écrivain et homme politique
britannique. Il visait bien évidemment
le manque d'engagement politique
du citoyen.
Roger Jomini – Tolérance et Fraternité,
Genève (Revue maçonnique suisse: octobre 2009)
Au vingtième siècle encore, les anarchistes
assassinent les monarques,
voire leurs femmes : à preuve, le meurtre
en 1906, dans la paisible ville de Genève,
de l'impératrice d'Autriche la célèbre
“Sissi“, immortalisée à l'écran par Romy
Schneider. Huit ans plus tard, l'assassinat
à Sarajevo d'un archiduc autrichien
déclenche la Grande Guerre de 1914-
1918. Aujourd'hui, les terroristes utilisent
des bombes vivantes. Quand ils possèderont
l'arme atomique, ou biologique,
ils l'emploieront.
Le texte allemand pour le présent thème
indique «Le franc-maçon et son engagement
politique», tandis que la version
française dit «La franc-maçonnerie»,
comme d'ailleurs l'italienne. Les Principes
maçonniques généraux de la Grande Loge
Suisse Alpina nous confirment qu'il s'agit
bien du franc-maçon suisse qui, est-il
écrit, «en tant que citoyen, est moralement
tenu, pour affirmer ses principes
maçonniques, de s'intéresser aux affaires
publiques». Un autre article stipule : «La
Loge ne s'immisce dans aucune controverse
touchant à des questions politiques
ou confessionnelles. À titre instructif, un
échange de vues sur de telles questions
est autorisé (...)». À ce propos, Albert
Einstein rappelait qu'«une soirée où tout
le monde est d'accord est une soirée perdue
». Dès lors, l'engagement du francmaçon
en politique n'est ni délicat ni
contradictoire.
Eveil et conscience
Pour éclairer le débat commençons par
faire simplement des choses simples.
Donc, méfions-nous des substantifs qui
se terminent en «isme». On parle de francmaçonnerie
et, sauf pour les coupeurs de
cheveux en quatre, pas de «maçonnisme».
Rejetons ainsi le populisme, le fascisme,
le nazisme, le nihilisme, le colonialisme,
l'autoritarisme, le maoïsme, le globalisme,
le libéralisme, l'antisémitisme, l'islamisme,
synonymes de terrorismes violents
ou insidieux. Ces écueils évités, que
reste-t-il au franc-maçon ? Mais voyons,
l'engagement politique tel qu'il est défini
par les Anciens Devoirs de 1723, repris
dans la Constitution de la GLSA, comme
indiqué plus haut. Celui-ci, en résumé, est
moderne. Le devoir humanitaire et les
valeurs universelles des droits et devoirs
humains constituent notre engagement
politique tout tracé. Il est d'autant plus
facile que nous vivons dans un pays muni
de solides institutions démocratiques. Et
donnons à la fois raison et tort à notre
frère Winston Churchill qui disait que «la
démocratie est la pire forme de gouvernement,
à l'exclusion toutefois de toutes
les autres».
Son village, sa ville, son canton, son pays
tout entier : le champ et le choix sont
vastes pour le maçon suisse. Le premier
président de la nouvelle Confédération
helvétique, en 1948, Jonas Furrer, était
maçon. D'autres présidents et conseillers
fédéraux l'ont suivi. Aussi, quand certains
de nous se lamentent en disant que,
contrairement au passé, le grand public
ne nous prend pas trop au sérieux, à qui
faut-il s'en prendre sinon à nousmêmes
? Mais c'étaient des temps troublés,
nous rétorquera-t-on.
Voici bien longtemps, un Victor Hugo
admiratif pouvait écrire : «Le Suisse trait
sa vache, et vit en paix», ce que Pierre Dac,
l'humoriste franc-maçon, transforma en :
«Le Suisse trait sa paix et vit en vache».
Sommes-nous à l'abri des tumultes d'un
passé relativement récent ? Par exemple
à Genève en 1932 quand la troupe qui protégeait une réunion fasciste contre
des manifestants tira dans la foule, laissant
treize morts et soixante-cinq blessés...
Ou la même année lorsque fut lancée
une initiative pour la révision totale
de la Constitution fédérale, soutenue par
le “frontisme“ helvétique, dont les idées
découlaient directement de l'Allemagne
hitlérienne et qui visait à remplacer la
démocratie par le “Führerprinzip“. La
chose fut heureusement balayée grâce à
la vigilance des opposants. Et en 1934,
quand ces mêmes frontistes déposèrent
une initiative, dite de Fonjallaz, visant à
modifier cette même Constitution fédérale
pour interdire la franc-maçonnerie.
Rejetée en 1937, elle ne fut acceptée que
par un seul canton, mais de nombreux oui
émanèrent de Suisse romande et du Tessin.
Là aussi, il fallut la vigilance de
Grands Maîtres de l'Alpina, appuyés par
de nombreux frères, sinon notre obédience
ne serait peut-être plus là...
L'étude du passé fait comprendre le
présent
Un épisode largement méconnu du grand
public témoigne encore de l'esprit de
vigilance. Celui de la lutte des deux colonels,
en pleine Deuxième Guerre mondiale.
Une farouche bataille se déroule en
coulisse pour l'attribution du poste de
général, un grade qui n'existe qu'en
temps de guerre, entre Henri Guisan et
Ulrich Wille (fils d'un général durant la
Première Guerre). Wille était un sympathisant
inconditionnel du Troisième
Reich. La bourgeoisie helvétique est divisée
sur la question nazie. Le clan Wille,
qui ne cache pas ses sympathies pour le
racisme, «nécessaire envers les nègres et
les juifs, noyaux pervers de l'espèce
humaine», finance des mouvements d'extrême-
droite pour que Ulrich Wille soit
nommé général. Finalement, l'Assemblée
fédérale désigne Guisan comme général
en chef, responsabilité qu'il assumera
durant toute la durée du conflit mondial.
Wille continue à s'agiter. Il s'oppose à la
fortification des frontières du nord avec
l'Allemagne. Après la victoire du Reich, il
demande, sans succès, la démobilisation
de l'armée suisse. Plus tard, ses agissements
confinent à la trahison, mais il est
intouchable, à cause de son père, et
mourra dans l'oubli. Auparavant, Guisan,
depuis sa célèbre allocution sur la prairie
du Grütli le 25 juillet 1940 est devenu un
mythe national.
Il faut brièvement rappeler ici qu'en septembre
1942, reprenant le rêve de Napoléon
1er, Adolf Hitler avait eu une vision
impériale : celle d'une Allemagne passant
de 83 millions d'habitants à 150 millions.
Ulrich Wille numéro deux n'était donc
pas un doux rêveur, et le Tribunal international
de la Haye n'existait pas encore
au temps de Napoléon et de Hitler...
Alors, vigilance, parce que l'étude du
passé fait comprendre le présent, et rappelle
que la devise helvétique, pour paraphraser
Edmund Burke, n'est pas «chacun
pour soi et Dieu pour tous» mais «un pour
tous, tous pour un».
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