Thème
Se connaître et se réaliser
«Connais-toi toi-même et tu connaîtras
l'univers et les dieux» est l'inscription
que l'on pouvait lire sur le fronton
du temple de la pythie de Delphes et
que Socrate adopta. Une telle phrase est
pleine de promesses pour le francmaçon
en quête de spiritualité car elle
lui fait prendre conscience que la connaissance
parfaite de soi-même le rend
égal à un dieu, c'est-à-dire d'avoir une
âme immortelle et d'acquérir la sagesse
dans sa vie d'ici-bas.
André Moser - Fidélité et Prudence,
Genève (Revue maçonnique suisse:
janvier 2011)
De même, elle le conforte sur le bienfondé
d'une quête de sa personnalité au
plus près de sa conscience, ce qui lui permettra
de connaître ses propres défauts
et limites, de développer ses qualités,
finalement sa véritable identité et, au
fond, sa liberté. Mais en quoi la perspective
de conquérir la sagesse d'un dieu et
d'obtenir la vie éternelle en vouant son
existence à mieux se connaître, par
l'étude de la science et l'observation de
soi-même avec les autres, reste-t-elle
d'actualité en ce début du 21e siècle où
les nouvelles connaissances scientifiques
sur le cerveau, notamment les opioïdes
(connus pour jouer un rôle important
dans la sensation de douleur) pourraient
être impliqués dans la cognition religieuse?
Ainsi le spirituel aurait une origine
purement chimique, donc matérialiste.
L’esprit serait ramené à la matière,
ce qui induit qu'il n'y aurait aucune vie
après la mort et qu'il serait par conséquent
inutile de s'embarrasser de notions
religieuses pour ”gérer” son salut post
mortem. Il s'agirait au contraire de vouer
toutes ses forces à apprendre à se connaître
soi-même, non plus pour enrichir
une âme immatérielle et éternelle tel que
le proposeSaintAugustin mais pour s'adapter
aumonde hicet nunc tout en cherchant
à vivre en harmonie avec ses composantes
physiques, émotionnelles et
mentales. Il est des chercheurs qui affirment
l'opposé, en particulier leDr Persinger,
quoique son expérimentation scientifique
soit contestée partiellement par
ses pairs. Il dit : «Je crois que l'expérience
de Dieu est le résultat d'une structure
intrinsèque au cerveau, un processus
probablement essentiel pour la survie et
l'évolution de la race humaine... Je ne
serais pas surpris si nous découvrons que
Dieu est un trait du cerveau humain et
qu'il y a quelque chose d'encore plus
puissant, un phénomène encore plus
important que le concept de Dieu luimême.
La science sera la clé de sa découverte
».
Les stoïciens du 21e siècle
Rien ne permet aujourd'hui d'affirmer
définitivement que l'esprit est matière ou
que Dieu est un trait de notre cerveau
humain, c'est pourquoi nous restons
interrogatif sur les questions métaphysiques.
Et nous sommes bien embarrassé à
trouver une vérité universelle et objective
sur une dynamique du contenu concernant
la connaissance de soi et son rapport
aux dieux et à l'univers. Même si,
rationnellement, un tel contenu ne semble
pas encore exister nous pensons, en
tant que franc-maçon, qu'il faut aller voir
au delà de la perception et imaginer
quelque chose d'autre, qui n'est pas saisi
mais serait peut-être la vérité de ce que
l'onperçoit. En fait, il faut s'interroger sur
le mystère de cette relationafinde rendre
perceptible le non-dit, car cela permet de
s'intéresser prioritairement à l'homme,
en tant que sujet, et à ses
rapports subjectifs vis-àvis
de sa destinée et de ses
interrogations métaphysiques.
Une telle approche
par l'ésotérisme paraît
bien difficile dans nos
sociétés occidentales, où
l'enjeu consisteà concilier
davantage l'utopie, qui
appartient au domaine de
la raison et laisse supposer
l'image d'un monde idéal
et hypothétique, à l'effort
de réunification, à la réalité
de la cité. Toutefois,
cette conciliation demeure
possible si nous exprimons l'idée d'une
unité principielle que nous appelons
Grand Architecte de l'Univers (GADLU),
laissant les portes ouvertes à une quête
spirituelle.
Une telle démarche autorise-t-elle de
vivre sereinement, à l'heure actuelle, une
pratique religieuse prise comme finalité
de la connaissance de soi dans son sens
le plus objectif, c'est-à-dire dans un
effort d'intelligibilité s'évanouissant
devant la béatitude de la condition
humaine ? La question reste ouverte
à tous, en particulier au franc-maçon
théiste pour qui la foi en Dieu est le plein
de la vie puisque illustrée par une connaissance de soi élargissant le niveau de
conscience jusqu'à l'infini, en fait, jusqu'à
vivre dans un imaginaire substituant la
réalité et l'instant présent. Malheureusement,
l'injustice règne en maître parmi
les hommes et quels que soient les systèmes
d'organisation de la société. Il existe
ainsi dans la conscience du franc-maçon
affirmant clairement l'ingérence du divin
dans les affaires humaines une tension
comprise comme une fatalité, dont la
fonction est d'affaiblir les utopies qui
suivent la loi d'une raison victorieuse et
renforce définitivement sa relation avec
Dieu à travers les dogmes. Dans une telle
disposition d'esprit, comment pourra-t-il
devenir l'égal d'un dieu et accéder à la
sagesse comme le propose l'inscription
sur le temple de la pythie à Delphes, et
comment fera-t-il pour vivre dans l'intimité
d'une conscience libérée et nourrie
d'une connaissance de soi-même libre et
ouverte à toutes les évolutions spirituelles
in potentia ?
Le mystère des causes premières
La réponse pourrait être trouvée avec les
francs-maçons libres-penseurs et déistes
qui, affranchis de la foi religieuse, n'ont
que la Raison pour construire une connaissance
de soi intimement liée à un
savoir soumis à la nécessité de lucidité et
d'objectivité. Privés du champ de l'imaginaire
créatif et des dogmes religieux, ils
forgent leurs convictions dans un réseau
de faits et de certitudes qui magnifie
l'instant présent. Ils sont les stoïciens du
21e siècle, sans être malgré tout à l'abri
d'une connaissance de soi exposée au
préjugé, à l'illusion de la vérité, aux fausses
naïvetés ainsi qu'aux pièges des évidences
inexactes. Comme Spinoza «ils
ont conscience de leurs actes mais ils
ignorent les causes qui les déterminent
car seule la connaissance rationnelle,
peut déraciner les préjugés en permettant
une connaissance adéquate». D'autre
part, ils sont conscients que l'objectivité
et la vérité d'une connaissance sont
des conquêtes et non des données immédiates.
Ainsi, pour rester cohérents vis-àvis
du mystère des causes, doivent-ils
s'ouvrir à une connaissance de soi qui
s'appuie sur un rapport imaginaireàeuxmêmes
et dans lequel toutes les postures
d'évolution transcendantales sont possibles.
Ils auront de la sorte tout loisir de
pratiquer les philosophies orientales et
les attitudes psychologiques, épanouissant
la métaphysique intérieure en fortifiant
la conscience de soi dans la connaissance
de soi. À l'encontre des francsmaçons
nourris d'une vérité religieuse, ils
sont animés par une culture du doute et
une quête sans fin pour transcender la
banalité de leur condition et donner du
sens à la vie en dehors de tout remerciement
aux dieux et à l'univers. L'extase
métaphysique pourrait être l'union d'un
imaginaire poétique construit et enrichi
après initiation avec la Raison.
En conclusion, la connaissance authentique
de soi-même est la clé qui permet
à tous les francs-maçons quels que soient
leurs parcours religieux ou leurs cultures
philosophiques d'accéder à une
sur-conscience imposée (théisme) ou à
conquérir (déisme et libre-pensée) qui
leur permet de faire vivre le mystère des
causes premières en pratiquant une fraternité
active. Il est bien entendu que la
croyance au GADLU ou à toutes autres
formes d'énergies transcendantales,
favorise l'émergence et l'exaltation d'un
imaginaire susceptible d'élever le niveau
de conscience spirituel et par là-même
d'aimer avec sagesse la vie dans toutes
ses manifestations et spécialement le
genre humain.
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