Thème
Beauté pour soi et le monde
Dans l'instruction au 1er grade le Vénérable
demande au 1er Surveillant :
«Qu’est-ce qui soutient la loge?».
Réponse : «3 grands piliers sur lesquels
brillent les lumières de la Sagesse, de la
Force et de la Beauté, qui sont symboliquement
représentées par le Vénérable
Maître et les deux Surveillant».
Didier Rossi - Tolérance et Fraternité, Genève
Enma fonctionde Second Surveillant
je me devais de plancher sur la
Beauté. Sujet ardu s'il en est. Les plus
éminents philosophes se sont attelés à
essayer de définir la beauté. Socrate déjà,
dans l'Hippias majeur, ne parvient à
aucune définition satisfaisante. Hippias
donne plusieurs exemples de choses belles
(notamment une jeune vierge), ce
n'est toutefois pas le fait qui doit qualifier
l'idée mais l'inverse. Pour Socrate, si
une idée est vraie elle doit l'être dans
toutes les applications de même type. Les
critères de beauté sont-ils dès lors universels
? Telle femme plaira à mon frère
et me laissera totalement indifférent.
Descartes a, par exemple, toujours eu un
grand faible pour les femmes qui louchaient.
Pourrait-on dire que tout peut
être beau ? À chacun ses goûts, en quelque
sorte. On n'a cependant jamais vu
une Miss monde affectée d'un strabisme.
Il importe, comme le fait Kant, de distinguer
le beau de l'agréable. Ce qui m'est
personnellement agréable n'est pas
nécessairement beau. Pour Kant, le beau
est «ce qui plaît universellement sans
concept». Néanmoins, dans cette optique,
le Picasso de la période cubiste
aurait-il plu aumoyen âge ? Le beau doit
par conséquent recevoir une définition
historique selon la conception de Hegel :
«Le beau est la manifestation sensible du
vrai», les différentes formes d'art exprimant
ainsi des moments de la conscience
universelle. Notons que pour Hegel le
beau artistique est «très au-dessus de la
nature» parce qu’il est oeuvre de l’esprit.
Il a pour but «la présentation de la vérité»
sous sa forme sensible et permet à
l’homme d’accéder à la consciencede soi.
«Accéder à la conscience de soi par la
Beauté», voilà une idée intéressante pour
le cherchant qu'est le franc-maçon.
Travail dans une autre dimension
Lors de l'ouverture des travaux au 1er
grade le Vénérable dit : «Que la Sagesse
préside à la construction de notre édifice
!» ; le 1er Surveillant : «Que la Force le
soutienne !» ; et le Second Surveillant :
«Que la Beauté l'orne !». Notons ici que
les trois termes sont présentés l’un après
l’autre, mais on pourrait tout aussi bien
les inscrire dans un cercle, car leur ternaire
doit être acquis dans son intégralité.
Aucun n'est supérieur aux autres.
Comment la Sagesse sans Forcepourraitelle
aboutir à la Beauté ? Quelle serait la
finalité de la Force non conduite par la
Sagesse ? Et sans Beauté, la Force exprimerait-
elle la Sagesse? Ces trois qualités
s'appliquent donc à la construction du
temple. Pour l'apprenti qui travaille à sa
pierre brute, il s'agit plus précisément de
construire sonpropre édifice intérieur. La
Sagesse lui permettra de découvrir ses
défauts et ses faiblesses. Pour les dominer
il lui faudra aussi cette volonté d'agir
qu'est laForce. Enfin, la Beauté lui apportera
la satisfaction de l'oeuvre bien
accomplie, la pierre brute étant devenue
cubique.
Nous l'avons vu précédemment, la
Beauté est principalement dévolue au
Second Surveillant. Se pose alors la question
de savoir comment l'apprenti, ayant
acquis si peu de connaissances encore, va
pouvoir atteindre la Beauté. Peut-être
pouvons nous trouver un élément de
réponse dans le rituel d'ouverture de
séance. Le Vénérable dit : «Plaçons-nous
au sommet du triangle symbolique d'où
les choses sont considérées non pas en
opposition, mais dans un esprit de synthèse
et de conciliation. Ainsi nous agirons
avec Sagesse». Le 1er Surveillant :
«Nous aurons donné la Force à nos pensées
». Le Second Surveillant : «La Beauté
naîtra de nos Travaux». L'apprenti doit
donc atteindre la Beauté par son travail.
Selon le livret correspondant édité par la
GLSA, il dispose de trois outils à cet effet
:marteau, ciseau, et règle graduée. Il travaille
sous la bienveillance du Second
Surveillant et de son fil à plomb. On attribue
généralement le ciseau aux bonnes
résolutions et le marteau à la volonté de
les réaliser. Quant à la règle graduée ou
à 24 divisions, elle devrait non seulement
lui permettre de diviser sa journée en
fonction du travail, de la famille et du
repos, mais également de vérifier qu'il
confère progressivement les dimensions
voulues à sa pierre par son assiduité
Beauté pour soi
et le monde
Présentoir en cuivre argenté, 1872. Propriété de la
loge Modestia cum Libertate à Zurich. Objet exposé
au Salon du Livre et de la Presse 2011, Genève
Alpina Ausgabe 5/2011 137. Jahrgang
Thème
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maçonnique, afin d'atteindre une certaine
Beauté. Tout cela se fait avec l'aide
du fil à plomb du Second Surveillant pour
garantir que l'apprenti travaille avant
tout sur lui-même, à la recherche de son
centre et de sa nature profonde en éliminant
les impuretés qui cachent la forme
à révéler, comme le
sculpteur libère le chefd'oeuvre
enfoui dans un
bloc de marbre.
Il ne s'agit pas de se parer
d'attributs profanes pour
briller, ni d'accumuler
uniquement des connaissances intellectuelles
mais bien d'un travail dans une
autre dimension, plus intime, certains
diront plus spirituelle. On peut notamment
s'en rendre compte lors de l'installation
symbolique du temple quand le
Vénérable demande au Second Surveillant
: «Pourquoi avons-nous besoinde ces
trois Piliers ?». Réponse : «Ces piliers nous
permettent de passer duPlan à l’Elévation
de la Construction, du Concept à laManifestation.
Ils prennent racines dans le
Ciel, ainsi qu’en témoignent les trois Etoiles
: Sagesse, Force et Beauté». Mieux
encore dans le rituel d'extinctiondes feux
des loges genevoises lorsque le Second
Surveillant éteint le troisième flambeau
et dit : «La Beauté du visage disparaît.
Celle de l’âme persiste !».
Le meilleur emploi possible de soi
Platon définissait déjà le beau comme ce
qui est utile, ou ce qui est bien. Pour lui,
une chose est utile lorsqu'elle remplit le
mieux possible sa fonction et la beauté
serait atteinte lorsqu'elle remplit parfaitement
sa fonction – lorsqu'elle est parfaite
par rapport à sa finalité. Le travail
a accomplir pour atteindre la Beauté
serait donc peut-être simplement de
découvrir sa fonction dans la vie et d'essayer
de la remplir le plus parfaitement
possible. Fonction différente pour chacun
d'entre nous. Espérant que le Grand
Architecte a un plan bien tracé, il nous
appartient d'essayer de découvrir le but
de notre vie, dumoins faire de son mieux
afin que notre pierre trouve sa juste place
dans l'édifice. Il ne s'agit pas tant de confirmer
sa finalité extérieure (être un bon
professeur de mathématiques, un directeur
des ressources humaines compétent
ou un excellent musicien), mais plutôt de
découvrir sa finalité interne. La Beauté
s'apparente peut-être alors simplement
à accomplir le bien, à faire le meilleur
emploi possible de notre
personne, avec nos
défauts (identifiés avec
Sagesse, dominés avec
Force) et surtout nos
qualités. Cela à notre
intention et autour de
nous. Pour Platon dans Le Banquet le
Beau est une étapemenant à la connaissance
du bien. Pour Socrate, connaître le
bien consiste simplement à le faire.
Reprenons nos rituels. Lors de la fermeture
de nos travaux, pendant la chaîne
d'union, l'Orateur dit : «Quand les mains
s'unissent, les esprits sont
bien prêts de s'entendre ;
que nos coeurs battent à
l'unisson pour le triomphe
du Bien, du Beau et du Vrai
!». Dans le rituel de tenue
blanche le Vénérable
demande au 1er Surveillant
: «Quel est le Travail du Franc-maçon
?». Réponse : «Vénérable Maître, Le
Franc-maçon Travaille en tant qu’Etre
libre à la construction du Temple de l’Humanité,
qui est destiné un jour à s’étendre
à l’Humanité entière pour l’enthousiasmer
de tout ce qui est vrai, beau et
bon». Ne serait-il donc pas aussi simple
d'atteindre la Beauté que de s'assurer
que notre travail passe le test des trois
passoires de Socrate ? Ce que nous faisons
est-il Vrai, Bien et Utile ? Quant à
notre rituel de la St-Jean d'hiver, le
Second Surveillant dit, lors de l'allumage
de la colonne Beauté : «Tu témoignes en
faveur de la Beauté. Que la joie rayonne,
qu'elle enchante nos coeurs et qu'elle
nous incite à l'action. N'est véritablement
beau que ce qui rend l'homme heureux,
ce qui éveille en lui le goût pour
l'action bienfaisante. Ce qui le rend disponible
à l'exercice de la charité. La
sociabilité prend ses racines dans l'art,
dont la manifestationn'est pas tellement
ce qu'il représente, mais ce qu'il suscite.»
Et le Second Surveillant de conclure à la
fermeture : «Nous avons reconnu la
Beauté, elle éveille en nous l’Amour».
Nous retrouvons ici une notion présente
également dans Le Banquet quand Diotime
initie Socrate au secret d'Éros :
«L'amour est la production dans la
beauté, selon le corps et selon l'esprit».
Et nous avons ici un autre but de notre
démarche initiatique : l’action altruiste.
Car un franc-maçon qui se cantonnerait
à libérer son être, à rechercher sa vérité,
en quête de sagesse mais sans déboucher
sur une action altruiste ne pourrait atteindre
la Beauté. Sans cette dernière
composante la maçonnerie ne pourrait
s’appeler fraternité.
Rappelons-nous que l'adepte construit
son temple intérieur, afin de pouvoir un
jour participer à la construction de celui
de l’humanité. Quelle que soit la forme de
cet engagement
dans la cité (politique,
oeuvres caritatives,
etc), il demeure
fondamental pour
que le maçon puisse
réellement accomplir
son oeuvre.
Donnons beaucoup d'Amour autour de
vous, recevons tout l'Amour que l'onnous
offre et ensemble nous pourrons peutêtre
construire une belle oeuvre. Notre
atelier s'est, par exemple, engagé dans le
soutien actif à une association d’aide aux
enfants autistes. Cela ne peut que nous
inciter à mobiliser nos frères dans une
action commune, et renforcer ainsi notre
chaîne d'union.
Ainsi, le jour de notre ultime initiation, le
passage à l'Orient éternel, connaîtronsnous
éventuellement, comme il est dit
dans notre rituel funèbre : «Beauté en
contemplant la Lumière éternelle !» Et
nous pourrons espérer, comme le dit
encore notre rituel de fermeture de tenue
au 1er grade, que «la joie sera dans les
coeurs». Au terme de ces réflexions sur le
sujet de la Beauté je reprendrai lemot du
Bouddha : «Ne crois pas ce que je te dis.
Ne rejette pas ce que je te dis. Ce qui
restera sera ta vérité». Puissions-nous
aussi trouver notre propre signification
dans nos rituels. Tout y est !
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