Thème
La Franc-Maçonnerie dans l'optique de la philosophie des Lumières
L'auteur de ce texte est Günther Fritz, de la loge Zur Windrose, à Sargans. Il a paru dans la revue Alpina de février 2011. La traduction française a été effectuée par Philippe Vauthier, ancien Grand Maître adjoint de la GLSA.
Les francs-maçons que nous
sommes se situent en droite ligne dans la
philosophie des Lumières, et ceci même en
partant de deux points de vue différents. En
premier lieu, nos rituels et nos symboles
trouvent leur origine dans la maçonnerie
opérative des tailleurs de pierre. Nombre
d'entre eux étaient des constructeurs inspirés
de cathédrales et d'autres édifices religieux.
Ces constructeurs ont ainsi réalisé -
essentiellement entre le XIe et le XIVe siècle -
des ouvrages d'une valeur que l'on peut
qualifier d'éternelle et d'un contenu symbolique
impressionnant.
On ne peut pas se représenter
la culture européenne en faisant abstraction de
ces constructions à caractère religieux. Selon
mon opinion, leurs concepteurs et leurs
réalisateurs étaient profondément imprégnés d'un
esprit ouvert et éclairé. Par ailleurs, nous
représentons les successeurs des premiers maçons
spéculatifs qui, par la suite, furent admis en
nombre sans cesse croissant dans les ateliers
des maçons opératifs, ceci spécialement aux XVIe
et XVIIe siècles. La date exacte du passage des
corporations de tailleurs de pierre à la
maçonnerie spéculative ne peut être fixée de
façon définitive. La fondation de la première
Grande Loge anglaise – en 1717 - constitue
cependant le début officiel de la maçonnerie
spéculative. Les loges regroupées au sein de
celle-ci ont contribué de manière essentielle à
former le caractère de ce qui allait devenir le
siècle des Lumières, et ceci en dehors de toute
contrainte ou restriction de caractère étatique
ou religieux. Et, inversement, la philosophie
des Lumières a largement contribué à l'éclosion
d'une pensée libre et responsable au sein de
l'espace privé et discret des Loges. Nombreux
sont les grands esprits se prévalant de la
philosophie des Lumières qui étaient également
francs-maçons.
«Sapere aude» : la
devise de la philosophie des Lumières
Selon l'interprétation que
Kant en a faite, «sapere aude» signifie «aie le
courage d'utiliser ton propre entendement».
Cette citation trouve sa source dans l'essai
publié en 1784 par Emmanuel Kant (1724-1804)
sous le titre Réponse à
la
question: Qu'est-ce que la
philosophie des
Lumières ?
Dans cette contribution, publiée
dans l'édition de décembre de cette année-là de
la Berlinischen
Monatsschrift, Kant
répondait à la question posée par le pasteur
Johann Friederich Zöllner
Qu'est-ce que les Lumières ?
publiée une année
auparavant dans la même revue. Dans son essai,
Kant fait figurer sa définition restée célèbre
de la philosophie des Lumières : «La philosophie
des Lumières représente la sortie de l'être
humain de son état - dont il est le seul
responsable - de mineur aux facultés limitées.
Cette minorité réside dans son incapacité à
utiliser son entendement de façon libre et
indépendante, sans prendre l'avis de qui que ce
soit. Il est seul responsable de cette minorité
dès lors que la cause de celle-ci ne réside pas
dans un entendement déficient, mais dans un
manque d'esprit de décision et du courage de se
servir de cet entendement sans s'en référer à
autrui. Sapere aude ! - aie le courage de faire
usage de ton propre entendement ! – doit être la
devise de la philosophie des Lumières ».
Par la suite, Kant a donné
dans un autre de ses ouvrages une autre
définition de la philosophie des Lumières,
encore plus condensée que la précédente : «La
maxime enjoignant à chacun de raisonner en toute
chose par lui-même». Lorsque Kant évoque cette
minorité intellectuelle dont l'homme concerné
est le seul responsable, il met l'accent sur le
fait que la philosophie des Lumières n'est pas
un état, mais un processus pour trouver une
"voie de sortie" d'une situation qui n'est plus
appropriée à un être adulte. Kant ne dit pas que
l'homme est devenu majeur et responsable. Il
constate simplement que l'irresponsabilité
domine. Dans sa réponse à la question :
qu'est-ce que les Lumières ? Kant explique sans
prendre le moindre ménagement pourquoi la plus
grande partie de l'humanité, bien que ses
représentants soient depuis longtemps parvenus à
l'âge adulte, et qu'ils seraient donc capables
de raisonner de façon individuelle, restent
cependant pour la durée de leur vie mineurs et
irresponsables et, qu'en plus, ils apprécient
cet état de fait. Les raisons de cet état
seraient la paresse et la lâcheté. Car il serait
confortable de se maintenir au stade d'un humain
mineur. L'obligation contraignante de la pensée
autonome peut en effet ainsi être transférée à
d'autres. Qui fait appel à un médecin n'est pas
obligé de décider par lui-même du régime qu'il
doit suivre. Qui peut se payer un guide
spirituel peut se dispenser d'avoir une
conscience.
De ce fait, il n'est plus
nécessaire de penser de manière autonome, et
c'est bien de cette possibilité que la plus
grande partie de l'humanité fait usage. Il est
dès lors facile pour certains de jouer le rôle
de "tuteur" de ces individus. Ces tuteurs
veillent alors à ce que les êtres humains encore
à l'état de mineurs considèrent le pas à
franchir jusqu'à leur "majorité" non seulement
comme pénible, mais encore comme dangereux. Kant
ose ici une comparaison saisissante entre ces
humains vivant dans l'obscurité de l'ignorance
et le "bétail" que l'asservissement à l'homme a
rendu stupide. Ces humains sont comme des
enfants enfermés dans un youpala. Au XVIIIe
siècle, cet engin consistait en un châssis en
forme de corbeille, monté sur roues, avec lequel
les enfants apprenaient à marcher. Ces personnes
ainsi "mises en cage" se voient sans cesse
rappeler par leurs "tuteurs" des dangers qui les
menaceraient au cas où ils tenteraient d'agir de
manière autonome.
Cette situation rendrait
évidemment difficile pour une personne agissant
individuellement la tâche de se libérer de sa
"minorité". Ceci premièrement parce qu'elle
s'était "liée d'affection" avec cet état de
minorité, car il lui paraissait confortable, et,
secondement, parce qu'il lui était devenu
pratiquement impossible d'utiliser son
entendement, du fait qu'on ne l'aurait jamais
laissé entreprendre la moindre tentative dans ce
sens et qu'on l'aurait même fermement dissuadé
de l'entreprendre.
Mais, selon les
développements de Kant, on doit admettre que
l'homme a malgré tout peu à peu compris qu'il
était dans sa nature de conserver son intégrité
et qu'il lui appartenait de penser par lui-même.
La possibilité de réaliser quelque chose
implique la connaissance de ce que l'on peut
faire et du fait qu'on peut le faire. Mais cette
connaissance ne constitue pas encore une
certitude. Car ce n'est que lorsque l'on fait ce
qu'on est capable de faire que l'on a la
certitude d'avoir pu le faire. Mais, pour
franchir ce pas, il y a une condition nécessaire
et indispensable : le courage. En opposition
avec le penchant - devenu une seconde nature - à
la paresse, à la lâcheté et au confort à
n'importe quel prix, Kant place l'esprit de
décision et le courage. L'impératif est donc ici
: oser quelque chose. «Sapere aude !». Aie le
courage de penser ! Kant sait qu'il s'agit là de
la maxime de l'un de ses auteurs préférés, qu'il
n'a d'ailleurs pas hésité à citer à maintes
reprises. C'est Horace (65-8 av J.-C.) qui, dans
une lettre à Lullius Maximus, encourage ce jeune
ami à ne jamais se laisser aller à l'oisiveté et
à la paresse spirituelle, mais d'être au
contraire actif et de bander ses forces
spirituelles : «Sapere aude, incipe. Aie du
courage, commence. Décide-toi pour la sagesse !
Ose entreprendre !». Car celui qui projette
d'entamer une nouvelle vie, mais remet sans
cesse le premier jour de son entreprise ne
changera jamais rien à rien.
Kant fut l'un des philosophes
les plus éminents du siècle des Lumières. Dans
ses trois oeuvres principales
Critique de la
raison pure
(1781),
Critique de la raison
pratique
(1788) et
Critique de la faculté
de juger
(1790), il s'attacha à définir
les limites de la connaissance. L'éthique de
Kant, guidée par la raison, est centrée sur la
pensée, sur l'action et sur le sentiment de
l'homme éclairé. «Agis de manière que les
maximes de ta volonté puissent en tous temps
servir également de principe fondateur d'une
législation d'application universelle». Cet
aphorisme célèbre de Kant (l'«impératif
catégorique») précise son exigence d'une
législation qui, loin de favoriser les intérêts
des puissants, prend sa source dans le
discernement et le comportement strictement
éthique du citoyen. Avec sa Critique de la
raison pure Kant explore systématiquement les
limites de cette raison pure. En dépit de ces
limites, il voit dans la raison l'attribut le
plus important de l'être humain, ceci en
particulier en relation avec la possibilité de
concevoir un principe pratique de l'éthique.
L'époque connue sous le nom
de siècle des Lumières correspond à celle de
l'éclosion d'une vie spirituelle en Europe et en
Amérique aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle est
marquée par un mouvement de sécularisation et
par l'abandon progressif d'une vision
absolutiste de la notion d'Etat, remplacée par
une vision démocratique. C'est à ce moment que
le libéralisme et sa conception des droits de
l'homme et du citoyen ont vu le jour. Ce
mouvement prônait une pensée conforme à la
raison et s'opposait aux préjugés et aux
superstitions religieuses, à la place desquelles
il développait une «religion de la raison». La
science et l'instruction devaient être
encouragées et développées dans toutes les
couches de la population. La Révolution
française marque communément la fin du siècle
des Lumières, selon le sens que l'on attribuait
à l'époque à ce terme. Nous devons cependant
constater que, malheureusement, cette «minorité
spirituelle» de l'individu due - rappelons-le -
à sa seule responsabilité est un phénomène
encore très répandu de nos jours. C'est pourquoi
nous ne pouvons en aucun cas parler de sa fin.
Le projet consistant à faire de la philosophie
des Lumières un modèle de pensée est encore loin
d'être réalisé !
L'esprit de la
philosophie des Lumières au sein des
corporations de tailleurs de pierre
Tout autant que le projet
«philosophie des Lumières» est encore loin de sa
réalisation complète, est-il vraisemblablement
difficile d'en fixer le point de départ de façon
définitive, c'est-à-dire le moment à partir
duquel les humains commencèrent, avec le secours
de la raison, à se libérer des représentations,
préjugés et idéologies anciens, rigides et
dépassés. Les racines de la philosophie des
Lumières s'enfoncent jusqu'à l'époque de la
Renaissance et à la naissance de l'humanisme. Et
aujourd'hui, après avoir, avec quelques frères
de ma loge, vécu pour la deuxième fois une
visite de la cathédrale de Strasbourg en ayant
présent à l'esprit la pensée des frères de
l'ancienne Loge de l'Empire allemand, j'ai -
merais exposer ici une thèse qui m'est venue, à
savoir qu'une certaine mentalité déjà semblable
à la philosophie des Lumières s'était manifestée
dans les ateliers du Moyen Âge.
Erwin von Steinbach
(1244-1318) était un tailleur de pierre et un
architecte allemand et passe pour être
l'architecte principal à qui l'on devrait la
cathédrale de Strasbourg. Les plus anciens
statuts d'une loge connus au monde qui nous
aient été transmis sont ceux des tailleurs de
pierre de Strasbourg. Ils datent de 1459. Comme
ce fut le cas pour d'autres architectes de son
temps, Erwin von Steinbach prit comme modèle de
la cathédrale qu'il projetait le Temple de
Salomon. De telles vénérables cathédrales sont
imprégnées d'une puissance symbolique
impressionnante.
Ceux qui comprennent cette
symbolique comprennent sans difficulté ce que
nos anciens maîtres ont voulu nous dire. On
pourrait résumer les principes ayant servi à
configurer une cathédrale par la formule «deux
colonnes et troispas». Lemodèle des deux
colonnes du Temple de Salomon a atteint son
apogée dans les deux tours d'une cathédrale. Ces
deux colonnes représentent deux mondes
différents. L'un d'eux est le monde visible et
correspond aux connaissances limitées de
l'homme. On le représente par le
chiffre4oulafigure du carré. L'autre monde est
invisible, c'est celui de l'ignorance, de
l'incompréhensible et finalement celui du divin.
On le représente par le chiffre 3 ou la figure
du triangle. Pris ensemble, ces deux nombres
donnent le chiffre 7, le nombre parfait.
Les exemples d'une symbolique
remontant à l'origine des temps et se retrouvant
systématiquement dans le Temple de Salomon puis,
par suite, dans les cathédrales et, de là, dans
les loges des tailleurs de pierre, puis dans les
loges spéculatives, pourraient être multipliés à
l'infini. À mon avis, le côté «philosophie des
Lumières» se situe dans le caractère abstrait
des symboles, sur lequel ne pèse pas le poids
dogmatique des représentations de l'Église
catholique. Ce que nous trouvons dans les
symboles des tailleurs de pierre, c'est que ce
monde non-matériel peut être bien sûr rendu
visible par étapes successives à l'aide d'une
pensée débarrassée de tout a priori et de la
recherche scientifique mais, qu'en même temps,
chacune de ces étapes fait apparaître de
nouvelles questions se refusant à l'application
de la science.
Les tailleurs de pierre de
cette époque ne se sont pas laissés induire en
erreur par les images à caractère trop concret
que l'Église catholique cherchait à imposer,
relatives à Dieu, aux saints et au Diable, mais
ils se concentrèrent au contraire, dans leur
représentation du monde invisible, sur des
symboles abstraits. Et même le plus instruit des
Maîtres parmi les tailleurs de pierre se faisait
enterrer à l'angle nord-est de la cathédrale, au
nord-est, à l'endroit donc où se tient
l'Apprenti après son initiation. Ceci parce que,
parvenu au terme de sa vie, au moment de son
entrée dans l'Orient éternel, le Maître se
présente avec le symbole de la règle, car il ne
sait effectivement encore rien du monde
non-visible.
Et, à partir de ce point, où
nous trouvons l'homme éclairé qu'est le Maître
Maçon, qui, au contraire du clergé figé sur ses
dogmes, est conscient de ce qu'il ne peut pas
savoir, nous parvenons directement au Maçon
spéculatif qui, lui aussi, fait appel à sa
raison et l'utilise de façon personnelle, tout
en évitant lui aussi de se faire une image
concrète du Divin. C'est pourquoi nous,
francs-maçons, comme Kant l'exige de l'homme
éclairé, nous opposons à l'hétéronomie d'une
raison fixée par d'autres l'autonomie d'une
pensée indépendante. Ou, comme Kant l'exprime,
«penser par soi-même signifie chercher en
soi-même la vraie pierre de touche de la vérité
(c'est-à-dire dans sa propre raison), et la
maxime : En tout temps penser par soi même,
constitue la base de la philosophie des
Lumières».
Conformément à la tradition
des tailleurs de pierre, marqués par l'esprit de
la philosophie des Lumières, les maçons
d'aujourd'hui font également usage du symbole du
Grand Architecte de l'Univers (GADLU). Le
chercheur Helmut Reinhalter écrit à ce propos :
«Ce symbole repose sur la responsabilité éthique
du Maçon. En Maçonnerie, la valeur de l'homme ne
se mesure pas à l'aune de sa profession de foi
d'une religion ou d'un dogme, mais à celle de sa
loyauté intellectuelle. Le GADLU symbolise par
son efficacité l'arrière- plan éternel et le
cadre universel duquel la vie acquiert un sens
et une responsabilité humaine».
La lumière de la
philosophie doit continuer à briller dans nos
loges
Comme je l'ai déjà souligné,
il semble que le projet de la philosophie des
Lumières agissant comme l'élément déclenchant de
la pensée ne trouvera jamais son aboutissement !
Aujourd'hui encore, près de deux cents ans après
Kant, l'appel du roi des penseurs de Königsberg
«sapere aude» n'a rien perdu de son actualité.
Le danger que représente un ensemble sociétal
qui n'a encore jamais été effleuré par l'esprit
de la philosophie des Lumières nous est
actuellement démontré à l'envi par les dérives
effrayantes de l'islam. Il va de soi que tous
les musulmans ne sont pas des terroristes. Mais,
par contre, «il apparaît clairement que presque
tous les terroristes sont musulmans». Cette
citation parue en 2004
dans la revue
Stern est
due à Abdel Rahman al-Rachid, directeur de la
station de télévision Al
Arabiya. Cette citation
est l'image prégnante d'une réalité à laquelle
le monde occidental se trouve actuellement
confronté du fait que la philosophie des
Lumières n'a pas encore fait son entrée en
Orient.
L'islamisme est une idéologie
politique, une régression politique et radicale
de l'islam, un «rétrécissement» radical de
l'islam. Les adeptes de cette idéologie, les
fondamentalistes islamiques, méprisent les
droits fondamentaux, les droits de l'homme et la
liberté de religion. Ils sont opposés à toute
séparation entre l'Etat et la religion et se
présentent comme adversaires de la démocratie.
Il est significatif de constater qu'ils sont
explicitement contre tout ce que nous
considérons comme des conquêtes de la
philosophie des Lumières.
Les islamistes assurent le
maintien de leur pouvoir en mettant en exergue
l'intangibilité du Coran, alors qu'en réalité,
c'est leur interprétation du Coran qu'ils
protègent. Les fondamentalistes musulmans
considèrent toute déviation par rapport à leur
interprétation du Coran comme une hérésie par
rapport à la vraie foi : ils empêchent ainsi
toute remise en question ou modification de
l'islamisme. Qui exprime un avis mettant en
doute le credo des fondamentalistes n'est pas
considéré comme émettant une critique, mais bien
comme un incroyant, un ennemi, un traître à
Allah. On comprend dès lors à quel point un Kant
du XXIe siècle serait nécessaire dans le monde
islamique.
Il nous appartient également,
à nous francs-maçons, de prendre position contre
ce défi. Mais cela risque bien d'entraîner
quelques divergences de points de vue sur l'idée
que nous nous faisons au sujet du principe
maçonnique de la tolérance... Il n'y a pas que
le fondamentalisme islamique à nous poser un
défi. Les modifications de climat, les
inégalités entre le Nord et le Sud, la guerre
pour le contrôle des ressources et des matières
premières du globe, la crise financière, la
crise économique, le défi démographique, un
système de santé bientôt impossible à financer,
les pandémies, la perte du sens des valeurs, la
crise des sentiments, voilà en quelques mots les
défis qui nous attendent. La Sagesse, la Force
et la Beauté nous montrent le chemin, mais
aurons-nous le courage de nous servir de notre
propre raison et d'emprunter de nouveaux
chemins? Prenons courageusement position à
l'égard des grands défis de notre temps ! C'est
précisément parce que nous sommes les
descendants des tenants de la philosophie des
Lumières et que nous en portons la tradition que
nous avons, dans cette démarche, une
responsabilité particulière à assumer. Ne
laissons jamais la Lumière des philosophes
s'éteindre au sein de nos loges ! Considérons, à
l'avenir également, notre travail permanent sur
la pierre brute comme une pensée autonome
s'opposant à une autorité imbue de son pouvoir,
aux préjugés, comme ligne directrice destinée à
nous éviter les erreurs, le manque de
rationalisme, la superstition, la tendance à
l'absolutisme et à nous permettre de lutter
contre les dogmes et les vérités définitives.
À l'époque actuelle, qui a vu
l'éclosion des sciences cognitives, éclairons
encore mieux nos loges à l'aide d'une nouvelle
philosophie des Lumières, plus développée, qui
soit à même d'écarter les obstacles qui
parsèment notre chemin et empêchent la
dissémination de la connaissance critique et de
la raison, compte tenu des menaces de caractère
global et des crises politico-sociales qui nous
guettent. Ne nous bornons pas à faire briller la
lumière de la raison à l'intérieur de nos loges.
La «race humaine», pour employer l'expression de
Kant, n'a aucune chance de survie si elle
s'écarte de la raison. Utilisons donc notre
chaîne fraternelle universelle pour répandre
dans tous les types de société la lumière d'une
nouvelle philosophie maçonnique ! Combattons,
partout où nous avons de l'influence, la
déraison universelle avec l'arme de la «raison
aimable» postulée par Épicure (341-271 av.
J.-C.). Car c'est à lui que l'on doit
l'aphorisme : «Le savoir sans l'amour est un
poison mortel ». C'est dans cet esprit que nous
devons, guidés par notre solide expérience et
appuyés par la «raison aimable», avancer tous
ensemble et affronter avec courage les grands
défis de l'avenir. «Sapere aude», mes très chers
frères.
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