Thème
Le GADLU, dogme ou libre interprétation ?
En termes de théologie, le dogme désigne les positions d’une «doctrine religieuse » fondée sur la vérité révélée par un livre saint et s’imposant à ses fidèles. Dans le catholicisme, le dogme a deux sources : l’Ecriture sainte et l’autorité de l’Eglise. C’est aussi l’affirmation d’«une opinion doctorale, catégorique qui n’admet pas la critique».
Michel Warnery - Tradition, Lausanne
Ici, deux
termes méritent d’être explicités : s’il s’agit
de doctrines religieuses, il s’agit donc bien de
religions ; si la critique n’y est pas admise,
il n’y a pas de libre interprétation possible.
Cette notion de dogme n’est pas l’exclusivité du
christianisme sous quelque forme que ce soit,
qu’on se rassure, mais figure aussi dans
l’islam. Elle est le propre de religions
révélées comme nous le verrons plus loin. Et si
l’Eglise n’a pas changé parce qu’une partie des
fidèles s’y opposerait, beaucoup de ses adeptes
ne se complaisent plus dans le confort d’un
formalisme de mise et souhaitent respirer l’air
de la liberté de l’interprétation en dehors du
corset catéchétique de leur enfance. Nous devons
toutefois faire la différence entre le dogme et
la doctrine. Une doctrine est le fil conducteur
d’une pensée religieuse, la référence nécessaire
à l’édification d’une Eglise, le socle sur
lequel elle s’appuie. Tant que seule subsiste la
doctrine, la libre interprétation reste
possible. Dès lors qu’elle est inscrite dans le
marbre, elle ne l’est plus.
Le
Grand Architecte de l'Univers
Le concept
de Grand Architecte de l’Univers utilisé dans la
franc-maçonnerie est une métaphore qui ne lui
est pas propre. Il y a eu des précédents. En
effet, on lit chez Cicéron que «la demeure
céleste et divine a un habitant, mais celui qui
l'habite exerce sur le monde une action
directrice, il est en quelque sorte l'architecte
d'un si grand ouvrage et veille à son entretien»
(1). Calvin emploie le terme de grand architecte
à plusieurs reprises dans son
Institution de la religion
chrétienne. On le trouve
chez Leibniz au XVIIe siècle, ou bien encore
chez Locke à la même époque, qui considère notre
existence, comme la preuve que quelque être réel
existe ; en effet, si le non-être ne peut rien
produire, alors il y a un être qui existe de
toute éternité. Il résulte de la perfection
suprême de Dieu qu’en produisant l’univers il a
choisi le meilleur plan possible. La philosophie
newtonienne de son côté, sans élucider le
mystère, avance aussi l’hypothèse de la
perfection suprême de Dieu, et qu’en «produisant
l’univers, il a choisi le meilleur plan possible
». Or, qui crée un plan, sinon un architecte ?
Le concept
de GADLU préfigure le Siècle des lumières et
s’inscrit dans le cadre d’un déisme (2)
philosophique qui le situe à l’opposé d’un
théisme (3) théologique, doctrinaire et… parfois
dogmatique.
La
question de Dieu
Qu’est-ce
que Dieu ? Carl Gustav Jung y répond d’une
manière précise, lapidaire, où la valeur de
chaque mot est pesée : «Dieu est théorie,
conception, image que crée l’esprit humain, dans
son insuffisance, pour exprimer l’expérience
intime de quelque chose d’impensable et
d’indicible » (4). Mais un peu plus loin, dans
le même texte, l’auteur est plus précis et met
au défi celui qui s’aventurerait à en énoncer
une définition rationnelle : «(…) À moins que
quelqu’un n’en vienne à l’idée bizarre de
prétendre savoir avec précision ce qu’est Dieu»
(5). Toutefois une réponse, certes évasive, peut
être avancée : Dieu est mystère. Et pour tenter
d’élucider ce mystère, éloignons- nous un
instant des superstitions populaires et écoutons
Einstein se posant la question : «Dieu avait-il
le choix en créant l’univers ?». Cette question
n’induit pas qu’Einstein croyait en Dieu, mais
n’exclut pas non plus qu’il n’y croyait pas.
Stephen Hawking, dans la conclusion de son livre
Une brève histoire du
temps, s’exprime ainsi :
«Si nous trouvons la réponse à cette question,
le mystère de Dieu, ce sera le triomphe ultime
de la raison humaine – à ce moment nous
connaîtrons la pensée de Dieu». Dans les deux
cas Dieu est présent, implicitement.
La
préhistoire
À l’autre
extrémité du temps, observons la différence
essentielle entre l’hominien et l’animal. La
découverte fondamentale qui va les différencier
est «la maîtrise du feu par l’homo erectus»
vivant au paléolithique inférieur. Les plus
récentes recherches datent cette maîtrise à –
450 000 ans environ. Imaginons la vie dans nos
campagnes à cette époque. Chez l’hominien s’est
créé petit à petit un cerveau qui évoluera
constamment vers le développement néocortical
que nous lui connaissons aujourd’hui. L’hominien
réfléchit déjà au-delà des capacités d’analyse
du plus évolué des animaux de l’époque. Il
domine le feu, certes, puisqu’il sait l’allumer
et l’éteindre, mais il ne domine pas les
éléments naturels exogènes comme la foudre, les
séismes, la tempête. Dès lors il va tenter de se
concilier ces éléments procédant à des
sacrifices. Expérimentant des états altérés de
conscience, il tente de pénétrer l’au-delà, de
communiquer avec l’invisible, d’appréhender
l’osmose qui le relie au cosmos, d'accéder au
monde non phénoménal, d’abord pour se protéger,
ensuite pour tenter de percer le Mystère.
Processus voisin de ce que nous nommerions
aujourd’hui une exploration de l’inconscient :
«Visita Interiora Terrae Rectificando Occultum
Lapidem», formule alchimique que nous
connaissons bien, qui est la recherche de notre
être vrai en nous-mêmes, mais qui est peut-être
aussi la recherche de Dieu en nous-mêmes, le
Créateur nous ayant fait à son image, comme la
Bible nous l’enseigne.
Des temps
préhistoriques naîtra le chamanisme – la toute
première des expressions spirituelles – dont on
retrouvera beaucoup plus tard une pratique
évoluée chez les présocratiques, notamment chez
Empédocle d’Agrigente et sa doctrine physique
fait des quatre éléments (le Feu, l'Air, la
Terre, l'Eau) les principes composant toutes
choses, doctrine qui n’est étrangère à aucun
franc-maçon. «Connais premièrement la quadruple
racine/De toutes choses : Zeus aux feux
lumineux,/Héra mère de vie, et puis Aidônéus,/
Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels
s'abreuvent».
Immanence et transcendance
Bien avant
que ne se développent les religions telles que
nous les connaissons aujourd’hui, se sont créés
les mythes fondateurs à l’origine de toute
pensée religieuse et par conséquent de toute
civilisation. L’évolution croissante de la
pensée suit deux courants distincts. Les
religions révélées et celles qui ne le sont pas.
Cela étant, il est nécessaire de distinguer
d’abord les deux composantes de la spiritualité
: la transcendance et l’immanence.
Schématiquement, la transcendance est ce qui est
de nature supérieure et l’immanence ce qui est
intérieur à un être. Psychologiquement, on
pourrait aussi dire que la transcendance se
rapporte au surconscient alors que l’immanence
est de l’ordre de l’inconscient. On peut penser
ici que notre concept de GADLU est lié davantage
à l’immanence qu’à la transcendance.
Il paraît
intéressant de se rapprocher au passage de la
tradition chinoise, par exemple, où le mystère
de l’existence de Dieu est étroitement lié à
celui d’énergie immanente, créatrice de vie,
énergie qui se subdivise en une polarité
positive et négative transcrite dans le Yi-kingou
le livre des mutations par le yin et le yang
(VIIIe siècle avant J.-C.). On ne trouve là
aucune forme de transcendance dans le sens où
nous l’entendons.
Ainsi la
notion de GADLU reste-t-elle associée
étroitement à une forme indéfinie de
spiritualité où chaque individu se retrouvera
sans avoir dû renoncer à sa religion, à sa
culture, à ses ancêtres ou à la civilisation
traditionnelle à laquelle il appartient. Bien au
contraire, en ce qui nous concerne, la
cohabitation sereine de plusieurs formes de
cultures enrichira les membres de la communauté
maçonnique à l’exemple de cet adage indien : «Si
tu es différent reste avec nous, car ta
différence germera et nous enrichira». Le GADLU
n’est pas le dieu des chrétiens, ou des
musulmans, ou des juifs pour ne parler que des
religions révélées, ou même encore celui de
spiritualités lointaines qui nous restent
étrangères parce que nous n’y sommes pas nés, il
est Dieu. Un point c’est tout. Car, l’être
humain reste essentiellement spirituel, même
l’athée qui se défend de croire en ce Dieu que
sa religion d’origine lui a imposé.
Souvenons-nous de la boutade : «Je suis athée
moi, Dieu merci !».
Étant
créatures de Dieu ayant choisi cette voie
initiatique que nous offre la francmaçonnerie,
nous devenons créateurs de nous-mêmes,
responsables de notre devenir. En effet, notre
démarche à la gloire du GADLU, en dehors de tout
dogme contraignant, peut s’inspirer à l’évidence
de ces mots de Bergson : «La joie qu’éprouve le
créateur est une joie divine. Si donc, dans tous
les domaines, le triomphe de la vie est la
création, ne devons-nous pas supposer que la vie
humaine a sa raison d’être dans une création qui
peut, à la différence de celle de l’artiste ou
du savant, se poursuivre à tout moment chez tous
les hommes : la création de soi par soi,
l’agrandissement de la personnalité par un
effort qui tire beaucoup
de peu,
quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce
qu’il y avait de richesse dans le monde» (6).
Souvenons nous aussi des propos de saint
Augustin sur le Prologue de l’évangile de Jean :
«Le Verbe était Dieu… si tu ne peux arriver à le
comprendre, attends de grandir : c’est une
nourriture trop forte pour toi». Nous sommes
patients, étrangers à toute définition
théologique dogmatique… et nous sommes libres…
|
|