Thème
Fraternité, première de nos valeurs
Le simple énoncé du mot valeurs a souvent, de nos jours, une teinte passéiste. On l'utilise le plus souvent pour déplorer une perte de repères dont nos sociétés seraient frappées. On se lamente facilement sur le déclin voire l'absence de critères, de vertus ou de qualités à même de guider les nations et les individus.
Jacques Tornay, Pensée et Action – Martigny
C'est oublier que de tout
temps on s'est plaint d'une déliquescence des
moeurs. Platon déjà stigmatisait les exemples de
déviations et d'incivilités dont il était le
témoin. Il s'agit donc d'une vieille antienne,
d'une réaction récurrente somme toute logique et
pas forcément dénuée de fondement puisque basée
sur l'observation du monde comme il va. Par
conséquent il tombe sous le sens que chacun
d'entre nous a un devoir de vigilance pour le
maintien de certaines normes assurant la vie en
commun et les usages d'une culture dont nous
sommes à la fois les héritiers et les
transmetteurs. Dans ses Constitutions, le
révérend James Anderson (1684-1739) indique les
valeurs que le maçon doit faire siennes. Il y
est notamment question de l'obéissance à la loi
morale, l'honneur, la bienfaisance, l'honnêteté,
la liberté de conscience, la dignité, le respect
des institutions, l'amour fraternel. Quelquesuns
des termes utilisés peuvent actuellement sembler
un peu désuet et on les remplacera par d'autres
ayant le même sens. Toujours est-il que les
propositions du pasteur valent indéniablement
pour l'ensemble des humains où qu'ils vivent et
quelle que soit leur dénomination religieuse,
ethnique, sociale, etc.
Elles sont pour le
franc-maçon une obligation intérieure,
contractée en luimême, de s'imprégner des
principes essentiels qui nous constituent. Il
lui est demandé de les pratiquer de manière
assidue, faute de quoi il se trouverait en
défaut de concordance avec nos idéaux. Il serait
vain d'énumérer les valeurs dont la
franc-maçonnerie est porteuse. À bien y regarder
elles ne sont pas très nombreuses, mais
fondamentales, profondes, et suffisantes aux
objectifs de perfectionnement que nous
poursuivons. Nous nous accorderons à constater
que la première d'entre elles est la fraternité.
Nous pourrions ajouter que, peut-être, d'une
fraternité bien comprise et appliquée à meilleur
escient découle toutes nos autres valeurs. Son
nom s'écrit partout dans notre enseignement,
comme le mot liberté
dans le célèbre poème de
Paul Eluard. Son énoncé commence par le Code
maçonnique, mince recueil de préceptes remis à
l'apprenti lors de sa réception dans l'assemblée
des frères et qu'il est appelé à méditer tout au
long de sa carrière. Admirable dans sa
formulation, il n'a pas pris une ride au fil de
sa diffusion, il garde son actualité en 2013 et
parions qu'il inspirera encore de nombreuses
générations d'adeptes.
Une et indivisible
L'éventail du sentiment
fraternel est large. Il va d'un simple sourire
bienveillant jusqu'au sauvetage de vies humaines
lors de catastrophes naturelles ou de conflits
armés. Son résultat est toujours concret,
visible, le geste fraternel signifie une réalité
tangible que l'on interprète de façon directe,
souvent sans même avoir recours au langage. Nul
besoin de l'expliquer, de le justifier ou de le
commenter tant il va de soi.
La fraternité est une et
indivisible, elle ne saurait être tiède, ou de
niveau moyen. Toutefois elle n'est pas non plus
une idéologie avec un programme, des mots
d'ordre et ses inévitables restrictions. Chez le
franc-maçon, l'esprit est sensé supplanter la
lettre. Il dispose, dans l'idéal, d'une largesse
de vues qui le fait agir avec une égalité d'âme,
quelle que soit la personne ou la cause qu'il
estime devoir épauler, sans obligatoirement
observer des critères d'opinions limitatifs.
Aujourd'hui plus que jamais nous sommes
sollicités avec les meilleures intentions qui
soient par des demandes d'aide ou d'assistance.
Pas plus qu'aucune autre institution, la
franc-maçonnerie n'a vocation de soulager à elle
seule toutes les misères qui nous entourent. On
peut cependant espérer que les frères agissent
avec le discernement nécessaire et dans un souci
d'efficacité lorsqu'ils entreprennent une action
grande ou modeste. Charles du Bos (1882-1939)
écrivait : «Ne pourrait-on même soutenir que
c'est parce que les hommes sont inégaux qu'ils
ont d'autant plus besoin d'être frères ?».
Nous pensons que mis à part
certains cas pathologiques, toute personne peut
être éveillée au comportement altruiste.
Une dimension
universelle
Les références à la
fraternité abondent dans nos documents de Grande
Loge, dans les planches que nous traçons et les
paroles prononcées lors des cérémonies au
temple. À l'occasion de celles-ci, le moment le
plus explicite est la chaîne d'union qui par la
pensée nous relie aux maçons répartis de par le
monde, y compris les défunts que nous avons
connus, puis, il ne faudrait pas l'oublier, à
l'ensemble de nos frères et soeurs en humanité.
Notre alliance prend ainsi une dimension
authentiquement universelle. Dans ce court laps
de temps le recueillement de chacun des maîllons
est intense, une force particulière s'en dégage
comparable à nulle autre.
Evitons un excès d'angélisme
et reconnaissons que la fraternité maçonnique
n'a pas toujours été ce que nous aurions pu
souhaiter qu'elle soit. Nous ne reviendrons pas
sur l'exclusion à nos travaux pratiquée jadis
sur plusieurs catégories de gens.
Those were the days
- ainsi fut l'époque - comme
disent les Anglais avec un brin de fatalisme. En
revanche, il est autrement préoccupant que des
maçons et des obédiences, souvent régulières,
aient fait acte d'allégeance auprès de régimes
dictatoriaux - pour être balayés ensuite car on
ne s'allie pas impunément les faveurs d'un
potentat, imprévisible par nature. «L'égoïsme et
la haine ont seuls une patrie ; la fraternité
n'en a pas», disait pour sa part Alphonse de
Lamartine (1790-1869). Que dire, par ailleurs,
des brouilles incompréhensibles qui parfois
interviennent au sein d'un atelier ? Certaines
surgissent pour trois fois rien : un mot
malheureux ou mal interprété, un geste voire un
regard jugés hostiles. Ce type de situation, si
infréquent qu'il puisse être, démontre à l'envi
qu'il reste beaucoup à faire en l'occurence. Le
polissage permanent de la pierre brute prend ici
sa pleine signification. Etablir des fraternités
sincères et durables dans le rappel de notre
serment est à ce titre le plus conséquent de nos
chantiers.
Enfin, il est également une
fraternité que l'on se doit à soi-même et qui
consiste, par exemple, à ne pas trop s'accabler
de reproches, à être heureux de sa vie, de ce
que l'on possède, et cultiver de bonnes
dispositions d'esprit. Cela aussi rejaillit sur
les autres.
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