Alpina 8-9/2002
N'en déplaise aux intellectuels purs, le monde des idées et celui des
objets ont de tout temps partie liée. La découverte d'objets usuels nous
apprend beaucoup sur la vision du monde et la manière de penser de telle
civilisation. Outre son rôle fonctionnel, s'il en a un, l'ustensile le plus
anodin reflète un art de vivre. Nous nous penchons ce mois-ci sur
l'artisanat dans la franc-maçonnerie. Le sujet est vaste si nous considérons
le nombre et la variété des réalisations en tout genre depuis le tournant
spéculatif du XVIIIe s., pour ne pas remonter plus loin dans le temps. Ce
thème, curieusement, ne suscite pas toujours l'engouement souhaité auprès
des maçons alors que nous travaillons dans des temples ornés d'objets dont
une partie relève assurément de l'artisanat le plus accompli. Peut-être
sont-ils trop proches de nous pour que nous les remarquions ? Il n'empêche, nous connaissons tous de fervents
collectionneurs qui écument brocantes, magasins d'antiquités, salles de
ventes, et ne regardent pas à la dépense lorsqu'il s'agit de s'offrir ce
dont ils rêvaient. En général ils n'exhibent pas leurs acquisitions, ils les
montrent aux happy few en se réservant à eux-mêmes le bonheur de contempler
et de dessiner à loisir les contours de leurs trouvailles, nimbées d'une
aura spéciale à leurs yeux et qui à force d'être aimées acquièrent une vie
en propre. Subtil est le rapport entre l'amateur et les pièces de sa
collection, une sorte de complicité s'établit dépassant la simple
matérialité. Il faut dire que les objets du monde maçonnique ont dans leur
majorité un attrait à part. On s'en rend compte lors des visites de loges.
Chacune d'elles, même de dimension modeste, possède un espace où sont réunis
des témoignages concrets de son histoire, certains sont de merveilleuses
fabrications. Quant aux ateliers de nos principales villes suisses, ils
recèlent un ensemble d'objets qui à eux seuls méritent le déplacement. Notre
ravissement devant une mécanique de précision, un point de broderie, la
finesse d'une gravure dans un ivoire, une polychromie sur céramique, nous
ramène à l'enfance où l'on s'étonne de tout ce qui attire le regard.
D'autant que l'ingéniosité conceptuelle est souvent de mise. Il y eut et il
y a encore de grands manufacturiers, d'autres ont un rayon d'action limité à
une région; enfin, il y a les particuliers travaillant à domicile. Tous se
retrouvent autour de notre symbolique mais tous ne sont pas maçons, comme il
existe des chercheurs profanes. L'ampleur du phénomène déborde le cadre
maçonnique.
La meilleure occasion d'en connaître davantage nous est
offerte par l'exposition Le franc-maçon dans son habit de lumière qui a lieu
à Tours jusqu'au 8 septembre. Manifestation interobédientielle organisée à
l'initiative de l'Association des musées maçonniques européens.
Jacques Tornay
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