Alpina 4/2006
La franc-maçonnerie s’inscrit et s’illustre dans le siècle
des Lumières de façon quasi organique, elle en épouse les lignes et en
assume les tendances. L’enseignement du symbolisme par la voie initiatique
n’aurait pu, sous sa forme spéculative, connaître époque plus propice à son
éclosion. Sans doute serait-elle restée opérative encore longtemps sans
l’intervention d’un mouvement qui affecta tellement de sphères d’activité,
allant des dernières décennies du XVIIe au début du XIXe, embrassant
l’entier du XVIIIe siècle, celui de Voltaire, Helvétius, Montesquieu,
D’Alembert, Mozart, Lessing, Herder et de combien d’autres.
Il n’est guère de pays de l’Europe avancée qui n’ait, alors,
produit de figures marquantes dans l’un ou l’autre domaine. Si les temps
favorisent voire proclament le libertinage – Casanova en étant le plus
parfait représentant -, la galanterie, le romantisme, le bonheur lié à la
nature et au sensualisme, ils n’exaltent pas moins les sciences,
l’éducation, l’éthique sociale. La religion ne constitue plus un frein au
Savoir. Le philosophe règne sur la cité. Les connaissances se décloisonnent,
exemple: l’Encyclopédie. Gardons-nous toutefois de brosser un tableau par
trop idyllique d’une situation qui eut ses excès.
La pensée derrière cette effervescence est du Vieux-Monde,
certes, mais si le terrain politique des Lumières se situait
outre-Atlantique, vers ces Etats en train de s’unir? George Washington,
premier des freedom fighters modernes, combattant pour la liberté, amorce la
décolonisation bien avant qu’elle ne devienne effective ailleurs. Les idées
de libéralisation économique, d’indépendance et d’individualité trouvent une
terre d’élection rêvée. Les Lumières, ce sont aussi les droits de l’homme,
donc un art de vivre, de penser, d’être au monde, un élan d’émancipation et
de progrès que l’on désire pour soi autant que pour la communauté des
nations. Les Lumières ne furent pas un système ni une idéologie mais un
moyen de contribuer à l’élaboration de la personne dans sa totalité, et de
concevoir les rapports sociaux sous un jour nouveau. En ordre dispersé, les
francs-maçons ont suivi, accompagné, parfois anticipé les différents
courants qui se sont développés. Parmi eux des noms prestigieux sont restés
dans les mémoires, écrivains, musiciens, théoriciens ou savants. Il serait
vain d’en établir une nomenclature, un simple énoncé de personnages a
forcément un côté musée ne cadrant pas vraiment avec le principe de la vie.
Penchons-nous plutôt sur leurs oeuvres puisque ce sont en elles qu’ils
persistent. Et voyons quelles en sont les ramifications dans le temps qui
est le nôtre aujourd’hui
Jacques Tornay
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