Les trois voyages initiatiques
(Alpina 6-7/2012)
Qui se souvient du déroulement exact des trois
voyages initiatiques, ou plutôt : qui s'en souviendrait
sans les avoir revécus par la suite, à l'occasion
d'autres réceptions ? Certainement bien peu.
Eventuellement personne. Les cérémonies maçonniques sont
composées de gestes et de paroles que l'on pourrait
qualifier d'insaisissables une fois terminées. Les
choses sont dites et faites mais on serait en peine de
les récapituler. Un nimbe s'est glissé entre l'action
accomplie et son souvenir. Il devait en aller
pareillement des anciens mystères dans les sociétés
antiques. Par son oubli relatif du rituel, l'initié
était rendu incapable de divulguer au dehors son contenu
précis. Mais également, ce contenu lui devenait neuf à
chaque fois qu'il y participait. Ce rappel lui était une
garantie de renouveau spirituel, une redécouverte dont
il se réjouissait. Cela n'est en grande partie plus le
cas puisque désormais chacun, adepte et profane, peut à
tout moment se plonger dans le symbolisme initiatique
par l'abondance de livres et de sites internet qui lui
décrivent l'activité d'une loge. Le mystère est pour
ainsi dire défloré. Certes, l'essentiel est ailleurs, et
il ne reste dès lors au franc-maçon, pour authentifier
son engagement, qu'à s'imprégner au plus profond de
lui-même des pratiques nôtres afin qu'elles lui
demeurent exceptionnelles, porteuses d'un Savoir unique
auquel on accède par un long travail intérieur. À cet
égard il ne devra négliger aucune étude sur les symboles.
Et se pencher sur les trois voyages et les autres
moments qui leur sont liés revient à rester dans une
jeunesse maçonnique, à ne pas perdre de vue que les
premiers pas sont décisifs et que l'on peut continuer
d'avancer en se rappelant son départ. Pendant la triple
épreuve voyageuse le récipiendaire pressent l'importance
de ce qu'il effectue sans toutefois la comprendre. La
décantation des événements viendra plus tard, souvent à
son insu, à force de réfléchir sur le sens de ses
déplacements dans le temple. L'enseignement maçonnique
est ainsi conçu qu'il suggère presque tout mais ne
révèle rien de rien. L'apprenti frais émoulu se mettra
immédiatement à l'oeuvre pour se dégrossir, se dégourdir
; et le maçon d'expérience n'oubliera jamais le seuil
d'où il est parti. Ars longa, vita brevis.
Jacques Tornay
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