Et si la franc-maçonnerie n'existait plus ?
(Alpina 8-9/2013)
Si la franc-maçonnerie telle que nous la connaissons
n'existait pas il y aurait autre chose qui lui
ressemblerait. Ce serait un type de société initiatique
lié à l'art de construire, art universel par excellence
et pratiqué dans une forme élaborée par maintes
civilisations. Depuis toujours il fait l'objet de
coutumes et d'usages particuliers, quand il ne s'agit
pas d'un véritable culte. Cette franc-maçonnerie-là
aurait porté un autre nom que le nôtre, son symbolisme
aurait été peu ou prou différent dans ses aspects
extérieurs et cependant, par voie de propagation, il se
serait installé avec son ésotérisme, son mode de
fonctionnement et ses valeurs intrinsèques. L'esprit
humain se plaisant à se projeter dans l'imaginaire, on
pourrait gloser sans fin sur ce qui aurait pu remplacer
notre fraternité dans ses fondations et ses objectifs.
Il est également loisible d'envisager la situation
autrement, à savoir que si la franc-maçonnerie
aujourd'hui n'existait pas il faudrait alors la créer,
la faire de toutes pièces afin qu'elle soit crédible sur
le plan de la tradition opérative connue et sur celui
des idées qui en découlent logiquement. Cependant,
serions-nous capables en 2013 de remonter aux sources de
la tradition afin d'en tirer les fondamentaux
nécessaires à l'établissement de cette maçonnerie
inédite ? On peut en douter. Notre vision du monde n'est
plus celle de nos prédécesseurs, les développements en
tout domaine ont relativisé la foi quasi absolue de
l'ancien temps, les repères philosophiques se brouillent
et nombre de connaissances sont à jamais perdues. Une
franc-maçonnerie qui naîtrait en notre 21e siècle
relèverait peut-être davantage de la parodie que d'une
filiation authentique portée par les efforts de
générations successives. On trouverait toutefois de nos
jours suffisamment de personnes instruites et résolues
pour créer une institution qui dans ses exigences
relèverait le défi de perpétuer l'enseignement des
symboles par la voie de l'initiation. En fait, nous
devrions agir et penser comme si la franc-maçonnerie
n'existait pas, c'est-à-dire venir en loge et participer
aux travaux de manière à donner à chaque fois une
impulsion nouvelle à notre présence parmi nos frères.
Renforcer son affirmation maçonnique c'est refuser de se
laisser gagner par la routine qui tôt ou tard devient
lassitude. Faisons comme si nous posions la première
pierre de l'édifice et accomplissions notre premier pas
vers le perfectionnement.
Jacques Tornay
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