«Essayons d’être des hommes perfectibles»«L’homme devrait tendre
constamment à la recherche de l’idéal»
Entre l’idéal et la réalité
Précisons tout d’abord ce qu’est l’idéal. Selon le Larousse, en tant
qu’adjectif il est «ce qui n’existe que dans la pensée et non dans le réel.
C’est ce qui relève de l’idée et qui est conçu par l’esprit». Donc possédant
toutes les qualités souhaitables et qui tend à la perfection.
ESPÉRANCE ET CORDIALITÉ, LAUSANNE (Revue maçonnique suisse: octobre
2004)
Prenons maintenant l’acception du substantif: «Modèle d’une perfection
absolue, qui répond aux exigences esthétiques, morales, intellectuelles de
quelqu’un ou d’un groupe».
L’idéal est donc aussi une projection individuelle et collective
d’avancer dans la vie en tant que personne ou groupe social tels que la
famille, la patrie, un mouvement idéologique, etc. En tant que véhicule de
vie, l’existence de l’idéal est positive, le sujet ou l’objet de celui-ci
peut toutefois aller à l’encontre de la morale et de la vie ellemême.
Staline, Hitler, Ben Laden ont pu, par exemple, représenter un idéal, même
si leurs objectifs et les moyens de les atteindre sont profondément
anti-humains. Dans ce cas l’idéal devient négatif.
Quant à la réalité, elle correspond à l’existence de la chose ou du fait
sans qu’il soit question d’éléments qualitatifs propres.
La perception de la réalité
Nous sommes constamment confrontés à la problématique et aux
tiraillements relatifs à notre application «humaine» des notions d’idéal et
de réalité. Il suffit de simplement regarder les publicités télévisées
quelques minutes pour s’en rendre compte. Toutes vantent un produit devant
améliorer ou faciliter notre vie d’être humain. Prenons la réclame d’une
voiture. Le contexte dans lequel les images sont présentées donne au
téléspectateur une sensation de liberté de mouvement, de facilité
d’utilisation et de parfaite intégration à la vie de tous les jours. Cela
devient alors idyllique. La réalité est souvent bien loin de cette image.
Nous avons même vu une compagnie pétrolière essayant de démontrer que son
action rejoignait l’idéal écologique… C’est presque trop beau. Où est notre
réalité?
Nous connaissons les séminaires de gestion de stress, d’amélioration des
relations humaines, d’où l’on ressort plein d’espoir mais nous déchantons
lors de la mise en application car nous sommes confrontés à des situations
concrètes, à des réalités. Nous pouvons alors évaluer l’écart entre l’idéal
que nous souhaitons atteindre et la cruelle et difficile réalité à laquelle
nous devons faire face.
L’homme devrait tendre constamment à la recherche de l’idéal. Le passé
nous montre que nos semblables, aux idées parfois considérées dans le
contexte de leur époque, ont réussi ou réalisé des exploits qualifiés
d’irréalisables. Par exemple accéder au sommet du Mont-Blanc sans oxygène.
Il en est de même des francs-maçons qui ont oeuvré pour la reconnaissance
des droits de l’homme. N’est-ce pas là un idéal élevé? L’idéal à atteindre
est ainsi le moteur pour celui qui cherche à s’améliorer. Il génère une
force, une dynamique et une motivation nécessaires à l’accomplissement des
tâches dévolues. Nous devons rechercher en permanence à rejoindre cet idéal,
tout en restant conscients des réalités. Cette façon d’être permet de rester
crédible et sincère, et surtout d’avoir un esprit permettant d’innover,
d’évoluer
«Entre»: différence
Le titre de notre thème d’étude comporte les deux noms communs: idéal et
réalité, mais aussi la préposition «entre», qui est lourde de sens.
Faudraitil entendre ce terme comme une différence, une évolution, voire une
illusion?
La différence ne peut être ressentie comme négative uniquement. Nous
devons accepter qu’elle soit également la complémentarité des choses et des
événements. Hélas, dans notre monde cette différence est le plus souvent
comprise comme élément de disparité. Nous avons lu récemment dans les
journaux des prises de position quant au retour de l’uniforme dans les
écoles sous couvert de gommer les différences. La France a contrario nous
inonde du problème relatif au voile islamique dans ces mêmes établissements
scolaires. Il s’apparenterait à de la provocation ou, pour le moins, à une
forme de prosélytisme. Y a-t-il une moyenne entre ces deux opinions, ces
deux différences? Oui, bien sûr. Nous francsmaçons l’appelons tolérance, et
celle-ci va de paire avec les concessions à faire des deux côtés. L’autre
moyen serait d’utiliser nos différences pour établir un modus vivendi qui
serait profitable à toutes les parties. Nous ne parlons pas ici des exemples
cités plus haut mais de ceux à l’échelle humaine, avec notre voisin,
l’épicier ou le collaborateur
La connaissance, la communication, l’intérêt d’autrui facilitent
l’acceptation de la différence et nous poussent presque automatiquement vers
la concession. La différence devient alors un enrichissement. Il est vrai
que ce que nous appelons en général différence n’est en fait qu’une
complémentarité qui peut être ou non découverte, acceptée ou reconnue. Mais
cette complémentarité est absolument nécessaire à notre évolution. Dans ce
cas la réalité et l’idéal s’enrichiront l’un de l’autre. La réalité pourra
être un peu idéalisée et l’idéal se situer plus près de la réalité. Ils ne
seront donc que différents et complémentaires. Il ne faudrait pas voir ou
percevoir la différence par les extrêmes car nous nous retrouverions en
présence d’une opposition. Cette forme de «entre» serait dès lors
automatiquement négative, car elle ne laisserait pas de place à la
concession, à l’acceptation. L’opposition incite l’être humain à la
fermeture d’esprit et à l’agressivité. Cela nous fait penser à ces enfants
qui veulent l’un et l’autre être le plus fort; le perdant fera tout pour
prendre sa revanche, entraînant ainsi des vengeances sans fin avec son lot
de brutalité. Les opposés ne sont pas des différences, ils ne se rejoignent
pas, bien au contraire. L’opposition ferait qu’idéal et réalité
deviendraient deux entités distinctes. Le monde réel, palpable, connu,
reconnu, définissable, à l’opposé du monde fabriqué ou conçu par l’esprit,
idyllique, irréalisable.
«Entre»: évolution
Nous sommes avant tout des évolutionnistes. Nous sommes amenés à
considérer que toute culture est le résultat d’un processus constant
d’évolution. La franc-maçonnerie ne pourrait être ce qu’elle est si nous ne
recherchions pas de manière constante une évolution, la nôtre pour
commencer, afin de la refléter dans le monde.
Ce «entre» correspond bien à la franc-maçonnerie et il est du devoir de
chacun d’évoluer pour devenir volontairement et consciemment tolérant. Notre
vie journalière doit être ainsi faite que le profane ait envie d’en prendre
exemple, ou en soit pour le moins interpelé. Par l’évolution seulement la
réalité de la vie sera tendue vers un idéal, évolution qui seule permettra à
notre idéal maçonnique de se rapprocher de la réalité, celle vécue en loge
et que nous pouvons transmettre au dehors. Certains pourront estimer utopies
les propos ci-dessus, point de vue qui serait axé notamment sur le fait que
chaque année les francsmaçons voient leur nombre diminuer. Il importe de ne
pas considérer cette conjoncture sur trois ou cinq ans mais sur une plus
grande durée et se rendre compte qu’il s’agit presque d’un cycle. La
situation actuelle ne saurait nous inciter à baisser les bras et renoncer à
être des exemples.
«Entre»: illusion
L’idéal est une création de l’esprit. L’illusion, elle, représente soit
une interprétation erronée, soit une erreur de jugement, une croyance
fausse. Nous ne pourions accepter que notre «entre» soit une illusion, nous
ne pourrions plus croire en nous-même en sachant la base erronée. À moins
que notre société ne devienne une forme de pensée dogmatique à l’instar de
certaines croyances ou sectes. Que faire alors des espoirs mis en elle et
des recherches qu’elle représente? Pourrions-nous concevoir une chose ou une
action fausse dès son origine? Il serait en revanche illusoire de prendre
l’idéal pour la réalité, mais aussi de penser que la réalité est conforme à
l’idéal dans le contexte actuel. Si la réalité est matérielle et rattachée
au passé, l’idéal est immatériel et concerne l’avenir.
Revenons à la définition de l’idéal stipulant une inaccessibilité car
«l’idéal relève de l’idée et est conçu par l’esprit». Il n’est donc pas réel
et nous pourrions par conséquent présumer qu’il relève de l’illusion. De
nombreux philosophes, et parfois le bon sens, nous disent que tout n’est
qu’illusion. La parabole de la caverne de Platon en est une démonstration.
Les choses, les êtres et les événements ne sont pas ce qu’ils sont (réalité)
mais cela que nous leur attribuons. L’important n’est pas ce que l’on vit
mais comment on le vit. Illusion là encore, influencée par les idées de la
superstructure dont nous faisons partie. Comme l’affirme Guy de Maupassant:
«Lorsque nous regardons un objet, nous sommes habitués à utiliser nos yeux
en nous souvenant uniquement de ce que toutes les autres personnes, qui nous
ont précédées, ont pensé à ce sujet». À partir du moment où nous sommes
persuadés de la réalité de l’illusion, elle cesse d’en être une et devient
réalité. Mais est-elle bien réelle?
Apprendre à être
Qu’il soit industriel, économique ou social, notre monde évolue à grande
vitesse. Nous sommes presque dépassés par son évolution, dont nous ne
comprenons certainement pas bien le pouvoir et les retombées. Nous la
subissons et en même temps l’utilisons et l’acceptons. Exemples: le
téléphone portable et l’internet. Par contre, l’emploi que nous en faisons
est souvent passif car nous sommes, chacun, de petits utilisateurs, de
surcroît peu évolutifs. Nous ne connaissons pas la puissance de l’évolution.
En franc-maçonnerie également nous sommes de petits utilisateurs. Tous
n’ont pas encore pris conscience de la force qui peut en résulter. Nous
parlons du pouvoir évolutif que nous détenons, en plus de l’entraide
mutuelle que nous pourrions nous apporter - qu’il s’agisse de maçons ou de
profanes - et nous en sommes presque satisfaits. Trop souvent nous
considérons notre vie comme tracée. Cela se peut mais dans les grandes
lignes uniquement, et nous sommes en mesure d’en influer le cours par le
désir d’évoluer ou par l’évolution en soi. L’idéal maçonnique, lui, est plus
élevé. Il tend à construire, construire sans cesse le temple de l’humanité.
Celui-ci concerne d’abord soi-même, puis la fraternité universelle, ensuite
tous des humains.
Au premier chef il faut se connaître, puis se reconnaître afin d’agir
ensemble pour bâtir un avenir meilleur, dans l’esprit de tolérance, du
respect de l’autre, de la liberté, du sentiment fraternel et de l’amour. Les
moyens que se donne la maçonnerie pour aller vers ces objectifs lui sont
propres, ce sont ses rites, rituels, outils et symboles. Cependant, le
néophyte, le récipiendaire, et même l’apprenti maçon, ne connaissent pas cet
idéal. C’est peu à peu qu’il va le découvrir, comme il pourra aussi être
déçu par la réalité de la vie dans une loge constituée d’homme ayant leurs
qualités et leurs défauts. En fait, si l’idéal des maçons est d’apprendre,
de comprendre, d’agir et de partager, la réalité n’en reste pas moins que
même certains d’entre nous ne sont pas motivés à «être» mais à «paraître» et
à «avoir». Le but de la maçonnerie est donc d’apprendre à être. Il est en
quelque sorte une école de vie dans le microcosme, applicable par la suite
au macrocosme.
Malgré ces considérations nous évoluons tous entre la réalité et l’idéal.
Bien qu’illusoires, ces deux entités représentent une dualité opposée et
complémentaire. Toujours nous nous situons quelque part entre elles.
Sommes-nous plus près de la réalité, plus de l’idéal? Si selon la définition
le second est inaccessible, les voies qui y mènent sont bien réelles et nous
pourrions redéfinir le «entre» par la notion plus dynamique d’»être en
chemin», par exemple par Amour.
Une chaîne de force
En maçonnerie comme dans la vie en général nous nous trouvons en
permanence sur une voie qui chemine d’une réalité de notre passé vers un
idéal de notre avenir. Nous avons besoin de la lumière pour nous orienter,
celle que nous avons demandée et reçue lors de l’initiation. C’est elle qui
éclaire notre route afin que nous puissions avancer, confiants, sereins,
vers notre idéal. Qu’elle devienne Lumière-Amour pour que le maçon devienne
Maçon et pour le moins homme.
Oui, la franc-maçonnerie est actuellement entre l’idéal et la réalité.
Formons une chaîne d’union qui deviendra chaîne de force pour que la réalité
soit beaucoup plus près de l’idéal et que notre idéal entre dans la réalité.
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