«La Bible sert d’axe dans la loge»
Histoire, ésotérisme et tradition
La maçonnerie est composée d’obédiences et de Grandes Loges reconnues
entre elles ou non. Leur approche de la Bible est différente, par la lecture
dans un premier temps, et par l’importance donnée à ce livre.
ROBERT EDMOND LAVERRRIÈRE (Revue maçonnique suisse: décembre 2004)
Passant de la gravité dans certains textes à la portée du message
transmis, la Bible fait autorité dans la culture occidentale. Parler de son
importance dans la maçonnerie en général ne serait-il pas faire une mauvaise
interprétation du thème qui nous est proposé aujourd’hui? Car cela nous
entraînerait dans une vision de commentaires et de jugements non appropriés
pour ce passionnant sujet. Nous devons donc cerner le débat sur l’influence
de la Bible dans nos loges. Vouloir traiter un tel sujet nous oblige à
regarder à travers notre parcours maçonnique, dans notre propre approche
vécue et livresque, sans aller chercher des références ailleurs.
Les maçonneries écossaise et anglaise dont nous sommes issus ont donné
une place prépondérante à la Bible et par déduction à certains passages de
ses écrits. La Bible prend une dimension symbolique par son enseignement
religieux, certes, mais aussi par sa lecture dans une optique de libre
penseur respectueux envers une philosophie et des vérités. Notre propos peut
donc commencer.
La Bible trône dans les loges à une place définie. Pourtant il existe une
exception qui confirme la règle, un rituel où la Bible est absente
matériellement. C’est celui dit noachique comme le Royal Ark Mariner. La
raison est logique. Dans l’histoire de Noé, celle décrite dans le livre de
la Genèse qui sert de référence, la Bible en tant que livre écrit n’existe
pas encore. Ou, pour celui qui ne se considère pas comme un béotien, cette
histoire fut certainement écrite dans une langue qui nous échappe, n’étant
plus enseignée et connue à notre époque. On pourrait étendre notre thème aux
hauts grades et autres loges de perfection, mais pour une raison évidente de
lecture au niveau de ce propos nous laissons le lecteur avisé faire les
déductions qui s’imposent sur l’importance de la Bible à chaque degré de la
maçonnerie. À ce moment de notre sujet nous ne traiterons pas des problèmes
soulevés dans d’autres obédiences qui remettent en cause la présence dans la
loge de ce livre qu’est le Volume de la Loi Sacrée.
Après le postulat ci-dessus voici une manière de préambule. Nous
connaissons la Bible sous la forme d’un livre. Dans une atmosphère empreinte
de solennité, le préposé au cérémonial s’approche de l’autel des serments,
ouvre le livre à la page que lui indique le signet. Puis il dispose le
compas et l’équerre sur ce livre ouvert. Un acte sacré vient d’être
accompli. Il s’agit d’un rituel qui accompagne tous nos travaux. Nous sommes
des loges de Saint- Jean. Le ruban est placé aux premières phrases de
l’évangile de notre protecteur.
En effet, la Bible fait partie de notre éducation sous nos latitudes.
Elle est la référence écrite pour approcher l’aspect religieux et son
enseignement. C’est parfois un petit bouquin aux caractères minuscules qui
annonce la future cécité du lecteur, mais est transportable. C’est aussi un
gros bouquin qui est passé de la table de nuit de nos grands-parents à
l’étagère située dans le salon du mécréant et sur le meuble de travail du
dévot. C’est un volumineux ouvrage décoré qui se trouve toujours sur le
présentoir des églises pour les besoins de l’office.
La Bible occupe-t-elle une place essentielle dans l’organisation spatiale
et livresque de notre ordre? Un exemplaire selon les définitions ci-dessus
fait partie des objets dans l’organisation de la loge et mis à une place
privilégiée qui dépend du rituel. Est-il placé dans la loge pour notre
élévation d’esprit? Son importance ne dépendrait-elle pas avant tout de
notre ressentir? Paradoxalement, le nom que l’on attribue à ce livre découle
de Biblos, la ville phénicienne où l’écriture fut inventée ou perfectionnée,
c’est selon notre approche intellectuelle. Le nom donné à la Bible est
dérivé du grec Ta Bibla qui signifie «les livres». La Bible est un recueil
de textes écrits. À l’origine de la Bible est une bibliothèque. Pour mémoire
nous avons réuni dans le même ouvrage les livres des prophètes, les livres
poétique et sapientiaux, les livres historiques et le Pentateuque, ainsi que
les quatre évangiles, les épîtres et l’Apocalypse.. On distingue par
conséquent l’Ancien et le Nouveau Testament. Chaque livre a son propre
message et s’inscrit dans une époque précise de l’Histoire. C’est le contenu
de la mémoire écrite, le symbole de la transmission du savoir et des
enseignements.
Outre les histoires édifiantes, la Bible contient la Loi de référence du
monothéisme, celle de Moïse. Combien de lecteurs peuvent se targuer d’avoir
lu entièrement la Bible? Source livresque inépuisable, elle sert de départ
et d’arrivée à bien des questions référentielles. Pourquoi donner le nom de
sacré, donc avec la connotation religieuse au livre de base des religions
monothéistes, si ce n’est une façon de placer le Grand Architecte de
l’Univers comme notre reconnaissance en Dieu? Selon les traditions juive et
chrétienne, Dieu a donné son enseignement aux hommes. Alors histoire de le
transmettre, ceux-ci l’ont écrit sur les supports qu’ils pouvaient
conserver, dans la langue et l’écriture de leur temps. Le mérite de ces
premiers scribes fut certainement de codifier le surnaturel et le sacré en
faisant acte de mémoire, rappelant des épopées du début de l’humanité. Ainsi
que l’histoire des faits divers d’une nation, voire de plusieurs peuples.
Il faut reconnaître que la rédaction de la Bible s’étale sur un
millénaire. Selon les historiens spécialisés dans ce domaine, les plus vieux
écrits, soit les livres des prophètes, sont rédigés entre le VIIIe et le 1er
siècle avant JC. Mais ils nous apprennent que la réécriture d’autres textes
transpose des écrits composés vers l’an 1000 avant notre ère.
Certains écrits plus anciens ont inspiré les cinq premiers livres de
l’Ancien Testament, soit le Pentateuque qui fixe sur le papier les légendes
et les histoires des ancêtres d’Israël. On peut parler du papier, du papyrus
ou du vélin suivant l’état de l’ouvrage et la période où il fut rédigé. La
plume et l’encre pour la calligraphie, l’esprit et la connaissance pour le
texte, le scribe de l’antique Alexandrie va passer le témoin, plutôt le
texte, aux moines de Cluny. Les manuscrits furent recopiés et traduits, et
même modifiés jusqu’à l’invention de l’imprimerie.
L’écriture de la Bible va jouer un rôle décisif, car elle commence
vraiment en 538 avant JC sous le règne de Cyrus, roi des Perses. La
communauté juive, exilée, se doit de préserver son identité et de restaurer
la nation sainte. Une certaine cohérence va être mise en place dans la
manière de relater des faits de légende.
Un événement culturel sans précédent se produisit à Alexandrie au IIIe
siècle avant JC avec la traduction en grec de la Torah. Cette adaptation
d’un patrimoine littéraire oriental allait permettre un véritable bain de
jouvence à des livres devenant de vocation occidentale par l’écriture et la
langue. D’un moyen d’identification juif, la Bible fut de ce fait un facteur
de reconnaissance et un monument littéraire et culturel, une sorte
d’instrument de promotion du peuple juif. Pendant les siècles qui suivirent,
la langue grecque servit pour la traduction de ces livres, langue des
lettres, des affaires commerciales et juridiques. Cette traduction allait
être reprise par les auteurs chrétiens, jusqu’au milieu du IIe siècle après
JC ils considérèrent la Bible comme des écrits dotés d’une autorité
particulière, voire divine.
C’est à ce moment de l’histoire que les écrits contenus dans la Bible
allaient prendre l’expression de l’Ancien Testament, histoires de référence
et de Nouveau Testament, sélection d’oeuvres d’origine directement
chrétienne. Car il fallut unifier les nombreux textes afin d’éviter les
hérésies. La Bible contenait d’une part la Loi de Moïse et d’autre part les
enseignements expurgés de Jésus Christ.
On peut relever que la considération chrétienne dénote une hiérarchie
dans la manière de rassembler les écrits. En effet, la dénomination «ancien»
montre un rejet des écrits tout en acceptant leur existence. L’emploi de
l’hébreu pour le texte puis sa traduction en grec était difficilement admis
dans le monde latin. À la fin du IVe siècle Jérôme se fit le champion de la
«ventôse» hébraïque et établit une version latine de textes
vétérotestamentaires. C’est l’origine de la fameuse Vulgate qui sera la
Bible dans toute l’Eglise romaine jusqu’au milieu du XXe siècle.
À l’époque de saint Augustin la Bible était vraiment née. Durant la
période des copistes du moyen âge sa traduction, ses adaptations et autres
corrections vont faire évoluer les textes. Cela de manière à donner à
l’Eglise une force et un pouvoir dans son enseignement. Encore fallut-il
savoir lire et déchiffrer l’écriture des moines-copistes. L’enseignement de
toute la religion chrétienne se base sur l’Ancien et le Nouveau Testament.
Pour qui ne sait pas lire, mais a la faculté de voir, les chapiteaux des
cathédrales et autres églises ne sont que des livres de pierre historiés
comportant les diverses vicissitudes racontées dans la Bible. Alors
l’invention de l’imprimerie permettra à Gutenberg de vulgariser ces livres
en 1455. La Bible connut un essor éditorial sans précédent. L’imprimerie
aura de multiples effets. Elle exigea la rigueur dans l’établissement du
texte. Erasme, notamment, joua un rôle primordial dans la recherche et la
quête des meilleurs manuscrits hébreux, grecs et latins, ouvrant ainsi la
voie à la critique textuelle, avec les effets historiques que l’on connaît.
Enfin, chose non dépourvue de grande importance, l’imprimerie rendit
possible des traductions en langues courantes. L’Eglise du pape n’avait plus
le monopole du savoir et de l’enseignement.
Peut-on argumenter que l’imprimerie désacralisa l’Ecriture? Cette
question n’est pas si innocente à première vue, car le fait de sortir de
l’atelier du copiste permit la diffusion et la prise en charge par divers
traducteurs. Cette désacralisation ne peut se comprendre que par un débat
théologique entre ceux qui avaient le pouvoir. L’imprimerie donna
certainement un nouveau souffle aux livres contenus dans la Bible. Et d’une
certaine manière, car permettant la critique dans l’analyse et les
explications ainsi que les recherches, la Bible devint le livre de référence
des littéraires et des théologiens du monde moderne.
La Bible en maçonnerie
Alors les premiers francs-maçons se sont inspirés de la Bible pour nous
donner le support de nos références. Appelée soit le Volume de la Sainte Loi
soit le Volume de la Foi Sacrée dans nos rituels, ouverte pendant la
cérémonie, la Bible est considérée comme l’une des trois Grandes Lumières.
Selon nos pratiques, à l’ouverture des travaux le compas et l’équerre sont
placés sur elle. Dans d’autres rituels on trouve également l’épée disposée
sur ce livre que nous considérons comme sacré. Pour nous, en loges dites
bleues, l’Ancien Testament s’ouvre aux livres des Rois et aux livres des
Chroniques en ce qui concerne le Temple de Salomon. L’histoire d’une
construction donne les fondements de nos recherches ésotériques et
symboliques. Nos légendes ou histoires font référence aux pérégrinations des
héros mentionnés dans les livres de la Bible. Deux rois: Salomon et Hiram,
un architecte: Hiram-Abi sont à l’origine de la construction d’un temple
mythique. Sa description est issue des textes bibliques. Et nos rajouts sont
puisés dans les récits véhiculés par d’autres confréries qui nous
précédèrent. Rien de surnaturel ne vint modifier l’histoire biblique, et
rien de merveilleux n’est venu altérer la communication d’une approche
symbolique. Si les rajouts que nous évoquons sont parfois mystérieux de
prime abord, lors de nos recherches nous trouvons toujours une explication
biblique pour nous guider. Enfin, pour être complet, le Nouveau Testament
sert aussi d’approche pour comprendre certaines cérémonies par la lecture
des chapitres aux évangiles traitant de la vie de saint Jean le Baptiste et
les enseignements ésotériques de saint Jean l’Evangéliste.
L’acte d’importance dans le début des travaux est celui où le volume de
la Loi sacrée est ouvert aux premiers versets de l’évangile de saint Jean.
Evangile de l’Amour et de la Connaissance, il a une influence que l’on nomme
johannique et nous propose une philosophie transcendantale. La
francmaçonnerie est dépositaire de ce prestigieux héritage. Loin de tout
dogmatisme, cet écrit commence par l’apparition de la Lumière. Celle aussi
qui illumine symboliquement nos travaux.
La Bible sert d’axe dans la loge. Placée sur l’autel des serments,
ouverte au début de l’évangile de Jean, elle devient le témoin de la mémoire
et de la révélation. Moment intense lors de son ouverture, le livre sacré,
lumière de la loge, préfigure l’arbre de vie. Nous prêtons serment sur les
trois grandes lumières. La Bible devient notre guide livresque. Lors de
l’initiation d’un profane il est rappelé par le Vénérable Maître que le
serment sera prêté sur les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie et
que dans cette respectable loge le Volume de la Loi Sacrée est la Bible. Si
cela était un inconvénient pour le futur initié, certaines loges admettent
de remplacer la Bible par la Thora ou le Coran, autres livres sacrés du
monothéisme.
A chacun de savoir
Sous réserve des situations amusantes expliquées aux apprentis friands de
telles anecdotes, nous apprenons ces phrases de tuilage: «D’où venezvous? ».
«D’une loge de Saint-Jean». En tendant la main dégantée sur les trois
lumières, l’initié n’a pas fait un serment qui se perd dans le vent. Le
compas et l’équerre sont posés sur le Volume de la Loi Sacrée ouvert au
début de l’évangile de Jean. Cette mémoire des siècles fut écrite par les
scribes des civilisations qui précédèrent la nôtre, afin que la connaissance
soit transcrite pour l’élévation de notre esprit. En étudiant les passages
qui nous concernent nous devenons dépositaires d’un message. L’importance de
la Bible en maçonnerie n’est pas que livresque, elle est ésotérique,
historique et certainement hermétique. À chacun de savoir, dans sa propre
démarche, où est la place de l’enseignement de ce livre d’importance.
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