Pourquoi rendre l’autre responsable de ses propres faiblesses?
La xénophobie éternelle et semblable
La xénophobie n’a d’autre nerf que la peur et c’est précisément
pourquoi elle est dangereuse car des idéologies n’ont de cesse de l’aviver.
Le sentiment d’insécurité se tapit sournoisement chez beaucoup d’entre nous,
quoique l’on s’en défende, et il n’est besoin de le solliciter beaucoup pour
qu’il se détende comme un ressort, toujours au détriment d’autrui.
Jacques Tornay (Revue maçonnique suisse: novembre 2005)
À ce stade il s’agit davantage qu’une crainte face à celui qui nous est
différent, dont l’origine et la culture répondent à d’autres normes que
celles auxquelles nous sommes habitués. Il faut invoquer ici la phobie,
aussi profonde que celle d’un gosse que l’eau effraie.
Nous vivons dans un système où rien n’est définitivement acquis. Ce que
nous croyons posséder aujourd’hui peut s’éroder, disparaître, voire nous
être brutalement retiré par une de ces mille et une circonstances de la vie
qui s’ingénient à faire dévier la route que nous nous étions tracée
rectiligne pour l’éternité des siècles. Dès que l’on ôte quoi que ce soit à
l’homme civilisé il redevient sauvage, violent, sort griffes et crocs à
l’instar de l’animal contrarié dans ses habitudes. Et puisque la plupart des
individus sont lâches et de mauvaise foi, il est tout indiqué de s’en
prendre à l’étranger plutôt qu’à soi-même quand une situation se dégrade.
Cette logique infernale peut aller très loin, jusqu’aux confins de l’absurde
et de l’horreur, que les régimes totalitaires ont atteint.
Il y a des instincts xénophobes inconscients. L’autre jour un Australien
m’affirmait le plus sérieusement du monde que la trésorerie de son pays se
porterait mieux si elle n’avait à débourser pour offrir des infrastructures
de base aux Aborigènes. Ces derniers, les natifs, sont environ 100 000 face
à 17 millions de personnes dont l’arbre généalogique plonge ses racines
ailleurs qu’en Australie...
Il est faux de croire que la xénophobie se limite aux mouvements qui en
font leur profession de foi. Il est faux de penser que la mentalité qui a
donné naissance au national-socialisme a disparu de nos moeurs et coutumes,
et que nous sommes désormais engagés franchement sur la voie de la sagesse
politique. Le ressentiment racial couve sous les apparences. La nouvelle
Europe sera peut-être un modèle sur bien des plans mais rien n’indique
qu’elle saura ou pourra se préserver des excès de la xénophobie. Elle sera
certainement un phare de cultures alimenté par les nations qui la composent,
toutefois les oeuvres de l’esprit n’ont jamais arrêté les démons. Elles ont
au contraire tendance à leur ajouter du venin.
Depuis quelques années nous assistons régulièrement à des agressions contre
des personnes et communautés d’émigrés, des centres de requérants d’asile sont
mis à sac par des activistes, des rixes éclatent avec meurtre à la clé. Sans
parler de la recrudescence de profanation de tombes, maculées de propos
orduriers, preuve que le racisme s’exerce même sur les morts. Ce sont autant de
signes révélateurs qu’il faut se garder de banaliser. Quelle que soit la
doctrine dont se réclament les fauteurs, elle est porteuse d’un élan destructeur
et fait le jeu des ennemis de la démocratie qui postulent qu’une société
fonctionne mieux dès que l’on inféode ou annihile tous éléments décrétés
nuisibles. Pour le partisan des solutions radicales le monde se résume à une
simple équation et l’existence humaine à un petit nombre de besoins
fondamentaux. En réalité, toute chose est complexe, foisonnant de
contradictions, comme le système parlementaire, les institutions publiques,
comme la liberté. Il n’est rien de plus compliqué que la liberté puisqu’elle
implique une gestion et une responsabilité constantes.
En Suisse nous voyons peu ou prou les mêmes débordements qu’ailleurs. Si
les actes flagrants inquiètent, on peut aussi s’interroger sur le silence
d’une majorité que l’on qualifie justement de «silencieuse» et qui à force
de mutisme minimise les agissements xénophobes. Pourtant, personne n’est à
l’abri d’un fou. Il n’empêche, l’on constate avec effroi que beaucoup de
citoyens ont une certaine aptitude à banaliser l’odieux.
Lorsqu’il ne prône pas lui-même la violence, l’étranger est une richesse
supplémentaire. Il nous fournit un supplément d’âme, l’ouverture sur un
horizon insoupçonné. Il nous offre la possibilité d’augmenter notre
potentiel par la belle et fructifiante vertu de l’échange. Il procède au
développement des terres d’accueil, des plus vastes comme les Etats- Unis
d’Amérique aux plus modestes comme le nôtre. Et, pour évoquer le mouvement
inverse, nous sommes-nous jamais demandé comment les habitants des pays dits
du tiers monde pouvaient percevoir les conquérants au temps où les
puissances européennes colonisaient la planète armes en main?
Se nourrir de méfiance à l’égard de l’autre, c’est cultiver la rancoeur.
Il faudrait évoquer aussi parmi les xénophobies soft celle qui met à mal
notre solidarité confédérale.
Décréter que celle-ci n’a plus de raison d’être dès lors que chaque
groupe linguistique se doit de préserver ses intérêts est une autre dérive
pernicieuse. En bref, l’attitude d’exclusion restreint notre espace et
limite notre respiration, comme si nous avions peur de vivre.
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