Un parcours long, sinueux et chargé de sens
Aux sources de la franc-maçonnerie
La maçonnerie est à vocation initiatique. Profondément religieuse dans
le sens de la spiritualité, elle suit le courant de la source «ésotérique»,
à la recherche de la vérité.
Robert Edmond Laverrière, Flumen Fraternitatis - Genève (Revue
maçonnique suisse: mars 2005)
Nos origines sont multiples et remontent certainement à l’Antiquité. Et
si l’on prend le temps de se pencher sur le berceau de la fo n d ation de
notre ordre, ces diverses origines vont nous amener dans la modernité du
XXIe siècle. Avant de coucher sur le papier les constat ations suivantes,
force est d’admettre que la complexité et la diffusion tous azimuts des
influences recensées demande de faire une sorte de tri, cela pour éviter de
se perdre dans les dédales du temps, de l’histoire et des my t h e s . Le
labyrinthe de la connaissance étant par essence même une recherche
maçonnique, ce travail fut un parcours livresque qui reste une vision sur le
thème ab o rdé. Le but de cette contribution n’est certainement pas
d’établir la tab l e des matières des nombreuses influences qui ont imprégné
la franc-maçonnerie. En partant du constat que le lecteur assidu de notre
revue connaît l’histoire de l’Ordre, nous pouvons effectuer un survol de ses
débuts. Issu de la maçonnerie dite opérat i v e , son nom n’apporte pas de
commentaire dans le sens étymologique.
Les tailleurs de pierre
Le terme «maçonnerie» nous renvoie aux constructeurs. Ceux qui élevèrent
les temples sacrés, qui défièrent les éléments pour ériger des constructions
dans le pay s age des cités, et cela depuis l’Antiquité. Le maçon est celui
qui débute le chantier, celui qui trace au cordon les bases d’une chimère
sur papier pour qu’une fois matérialisée elle s’élève vers les nuages. Le
maçon antique est l’architecte dans la vision historique de cette ap p e l l
ation. Il travaille la pierre, il la taille et la sculpte. C’est pour
certains le premier corps de métier, assimilé aux tailleurs de pierre. Ils
utilisent la géométrie pour concevoir leur oeuvre. Laissons, si vous le
voulez bien, de côté la notion de charpentier liée à l’utilisation du bois,
car nous y reviendrons.
Maçons libres, de par leurs conditions en rapport aux puissants de leur
époque, ces hommes se donnaient une règle de conduite pour interv enir dans
la société humaine. Les premiers maçons sont-ils issus de l ’ E gypte
d’Euclide? La légende le laisserait entendre. La recherche n’est plus
seulement géographique et historique, elle devient autre. Une triple dies
irae peut résumer la mise en place des messag e s , et cela ramène la
légende à l’espace visuel et construit. Partons alors dans le sens inverse
de la course du temps, pour remonter de l’océan par les torrents et rivières
de légendes afin d’arriver à ces petites sources. Ces minces filets d’eau
pure légués par la mémoire des premières tribus de l’humanité. Ces histoires
nous sont parvenues grâce à des écrits couchés sur le parchemin ou gr avés
dans l’argile. Il a fallu traduire, décrypter, puis transmettre. Ces
légendes sont devenues une source, ensuite plusieurs ruisseaux dans la
pensée humaine. L’origine de divers mouvements étant la même, c’est la
portée du message qui peut être compris d’une manière différente selon
l’époque et le lieu. Dès lors, ce que l’on pourrait prendre pour des
chapitres différents de la table des mat i è r e s du grand livre des
initiés renvoie à la sempiternelle question: quel fut le départ historique
effectif des premières loges?
La notion de loge
D’où la source mythique originelle - le départ de la franc-maçonnerie est
à chercher auprès des premiers architectes - que l’histoire écrite a bien
voulu nous indiquer. Ils travaillaient sur les chantiers et mettaient en
place un lieu de réunion et de stockage desmat é r i a u x , dès le début de
leur intervention. C’est la Bauhutte des constructions du haut moyen âge. La
loge des opérat i f s , petite cabane protégeant ces créateurs des éléments
du temps et de la météo, ainsi que de la poussière, devint donc par souvenir
l’ap p e l l ation de base de nos groupes et de notre lieu de réunion.
Les compagnons constructeurs se regroupent selon leurs métiers sous les
bons auspices des religieux. Ils sont germains, saxons et nordiques. Avec
naturellement des ouvriers très qualifiés qui remontent de l’Orient, via les
ports et comptoirs créés par les Phéniciens dans l’Antiquité. Villes qui
sont devenues les plaques tournantes de cette nouvelle civilisation. En
contact avec les druides devenus moines par logique d’intégr ation face à la
chrétienté, qui modèle la recherche spirituelle, les constructeurs des
premières églises vont se mettre sous la protection d’une filiation
biblique. C’est la trouvaille fabuleuse! Des religieux vont découvrir dans
leur lecture un passage pour rendre chrétiens des païens qui véhiculent un
sav o i r-faire venu du fond des âges.
La maçonnerie opérative issue de ce mélange de traditions va chercher son
histoire dans la construction mythique du Temple de Jérusalem. La force du
message est que Salomon reste un my t h e , car ce roi n’est pas un juif
très religieux d’après les canons prescrits en conformité avec la Bible.
Ayant eu plusieurs épouses de religions diverses, il devient notre père pour
chacun selon notre naissance géographique et notre appartenance à une tribu
du nord comme de l’orient. L’histoire des Compagnons du Devoir est riche en
anecdotes à ce sujet. Si de prime abord elle semble être un récit assez
difficile à admettre selon le déroulement de l’histoire se rapportant à
Salomon et aux faits se déroulant en Europe. On peut émettre un jugement de
circonstance en se reportant au retour du peuple d’Israël de Babylone.
L’histoire peut être démontrée si l’on se réfère à la construction du
«second» temple sous l’égide de Zorobab e l . En tant que descendants de ces
génies nous avons créé la maçonnerie spéculative.
Notre première source part de la date charnière de 1717, soit la fo
ndation de la première Grande Loge. Depuis un temps indéterminé existaient
des loges de maçons de métier. Au XVIe siècle, l’usage d’admettre dans ces
loges des membres qui n’étaient pas maçons allait trouver une formidable
force en créant notre maçonnerie dite spéculative. Afin de répondre aux
besoins et aux aspirations d’un XIXe siècle ap r è s les directives
intellectuelles du siècle précédent, et puiser sa vitalité dans le mouvement
dit humaniste. Cela amène à parler de l’influence des Old Charges et, de ce
fait, des nombreux emprunts aux mythes et légendes des Compagnons du Devoir.
Et des apports de l’alchimie, pour arriver aux références des ordres
religieux du moyen âge, aux légendes celtes et nordiques en passant par
diverses hérésies au début de la chrétienté. Pour cela, les méandres
historiques nous entraînent avec les chevaliers du Temple, pendant les
croisades. Le chercheur va poser ses pieds sur l’esplanade du Temple de
Jérusalem, en compagnie de ces preux chevaliers, moines et soldat s . Ce que
nous sommes aujourd’hui: un peu constructeur, un peu moine, un peu soldat ,
chacun à sa mesure et suivant sa conception de son intégration dans la
société moderne.
La source mythique
Nous sommes au départ de la vraie source, celle mythique avec les récits
bibliques se rapportant à la construction du temple, base invar i able de
toute la franc-maçonnerie. Passons sur les diverses histoires transmises par
les livres des Rois et des Chroniques pour ne retenir que cette évidence qui
nous intéresse aujourd’hui. Deux rois et un architecte organisent la
construction du temple sacré. Salomon roi d’Israël et Hiram roi de Tyr.
L’architecte est Hiram-Abi. On savait que sa mère était de la tribu de Dan,
et que son père était de Phénicie. Il est à la fois une énigme et le trait
d’union entre deux rois. Selon les r e c o m m a n d ations d’Hiram roi de
Ty r, il construit le temple sur une vision de Salomon. Mais certainement
après avoir eu une belle carrière d’architecte-sculpteur- alchimiste. Dans
la légende, l’architecte qui façonne les métaux, principalement l’or et le
bronze, va être le centre d’un drame. Dans nos rituels nous devons cet
aspect aux Old Charges. Car le choix de l’architecte mythique, digne
descendant de Tubalcaïn, est primordial. Dans la Bible, il disparaît de la
narration. Le constructeur est-il rentré chez lui à Tyr? Il est oublié dès
que son travail est accompli.
Dans un ouvrage de référence Jules Boucher cherche aussi une explication
aux différents Hiram donnés dans la Bible. C’est un exercice assez
périlleux, car il faut rester logique et ne pas confondre les personnages,
qui sont nombreux. De plus, la traduction produit également des confusions.
Vuillaume dans son Tuileur de 1820 nous dit qu’il faudrait écrire
«Adonhiram». Hiram-Abi signifie le seigneur Hiram, autre manière de marquer
sa déférence. Au sujet d’Adonhiram, il serait le fils d’Abda. C’est un haut
fonctionnaire qui va servir trois rois d’Israël au Xe s. avant notre ère.
Secondant le roi David pendant son règne, il dirige sous le roi Salomon la
coupe des bois de cèdre et de cyprès en Phénicie, pour les besoins de la
construction du temple. (1 RS 4/6, 5/ 13- 14).
Dans diverses cérémonies et rituels maçonniques le V é n é r able maître
est associé à Adonhiram, chargé de conduire les travaux. Et ce qui devient
digne d’intérêt c’est l’élément bois qui prend une certaine importance. Liée
à la construction des navires et à l’arche de Noé, la loge primitive est une
petite hutte de bois comme décrite plus haut. Hiram signifiant père, nous
avons donc la trilogie suivante: Adon-hiram assis sur le trône du roi
Salomon, qui représente la sag e s s e , soit la compréhension et la
conduite des trav a u x . Il est aussi associé à l’élément feu. Hiram roi de
Tyr possède la force de la royauté, c’est l’élément air. Et Hiram-Abi
détenteur des connaissances de la beauté correspond à l’élément air. Par lui
commence la renaissance à la vie d’initié. Le quat r i ème élément, la
terre, se rapporte au couvreur de l’atelier et, par synthèse, aux frères qui
ornent les colonnes. A quelles divinités celtiques et nordiques cet analogie
biblique fait-elle référence? Lug, la divinité au marteau? C’est très
probable. Quelles runes magiques décrivent cette tradition? La loge est donc
dirigée par trois Hiram, soit trois pères.
Les derniers morceaux d’une vision ésotérique
Nous sommes bien dans la recherche voulue, mythique et certainement
ésotérique avec une volonté historique. Dans nos rituels trois dirigent la
loge. Le V é n é r able maître associé à Salomon; le premier surveillant, à
Hiram roi de Tyr, en Phénicie; et le deuxième surveillant, à Hiram-Abi
l’architecte. Pour être complet notons dans l’ordre: sagesse, force, beauté,
ainsi que les trois dimensions créant le volume. Cependant, il ne nous vient
pas l’idée de mettre en rapport Hiram-Abi et le deuxième surveillant lors de
nos trav a u x . C’était le maître de tous les ouvriers. Et celui qui doit
les surveiller reste le premier surveillant qui leur remet leur salaire à la
fin des travaux. Et pourtant la démonstration est faite. Ainsi, en remontant
aux sources de la franc-maçonnerie nous pouvons découvrir certains aspects
de nos rituels, riches en complexités ésotériques et en références
bibliques. Nous devons à quelques druides devenus moines et abbés du haut
moyen âge, la mise en place ésotérique de la Bauhutte des compagnons
germains et wisigoths qui iront vers l’an mille rechercher sur les ruines du
Temple de Jérusalem les derniers morceaux d’une vision ésotérique.
|
|