Un état dont aucun mot ne saurait exprimer la réalité
Secrets d’appartenance et d’initiation
Le secret en franc-maçonnerie revêt plusieurs aspects. Il y a d’abord
celui des délibérations et décisions prises en loge. Cela ne nous est pas
particulier. Aucune association ne fonctionne sainement si ses membres vont
raconter à droite et à gauche ce qui s’y passe.
La Vraie Union, Nyon (Revue maçonnique suisse: mai 2005)
Le secret d’appartenance a chez nous l’importance que l’on sait. Il se
justifie à première vue par la persécution verbale dont souffre encore la
maçonnerie, y compris en Suisse. Dans certains cas facilement imaginables
cela peut aller jusqu’à des réactions préjudiciables sur le plan
professionnel. Mais n’avons-nous pas là comme un cercle vicieux?
Très largement pratiqué aujourd’hui, le secret d’appartenance agace le
monde extérieur, alimente la méfiance, suscite l’inimitié. De plus, repliés
sur nous-mêmes, nous faisons perdre à la maçonnerie des adhérents potentiels
de valeur. Au sein de la discussion sur ce thème, notre loge a fait
apparaître la pesanteur morale éprouvée par le secret que l’on s’impose. Il
nous prive du bonheur de témoigner à l’extérieur de tout ce que la loge nous
a procuré sur le plan de la vie de l’esprit. Même si la gr a nde majorité
des maçons décidaient de se dévoiler il subsisterait entre eux et les
profanes le problème du secret initiat i q u e .
Une distinction essentielle doit ici s’opérer entre ce que l’on doit
persister à taire et ce qui a été dévoilé par d’autres. Or, on le sait,
quasi tout a été divulgué sur nos cérémonies et nos rituels. Et bien avant
l’irruption d’internet on pourrait citer L’histoire pittoresque de la F r a
n c - M a ç o n n e r i e du frère Timoléon François Clavel (1798- 1852)
contenant la description minutieuse des initiations aux grades d’apprenti,
de compagnon et de maître. Seuls y sont cachés les signes et les mots de
passe ou sacrés. Tous les grands commentaires, d e Boucher à Bayard, peuvent
se voir sur les rayons de librairies, en libre service. Eux non plus ne sont
pas avares de détails. Le secret initiatique serait-il devenu secret de
Polichinelle?
Un des membres fidèle et actif de La Vraie Union aime à rappeler que le
livre de Christian Jacq La Franc-Maçonnerie, his - toire et initiat i o n
qu’il acheta en 1981 dans un kiosque de gare le décida à frapper à la porte
du temple, à cause de l’information que cet ouvrage donnait sur le troisième
grade, dont il ignorait tout jusqu’alors.
La surprise du néophyte demeure essentielle
Poussons plus loin la réflexion et demandons-nous si toutes ces
divulgations rendent caduc le serment de silence relatif aux circonstances
de nos initiations successives. Il nous paraît qu’une réponse négative
s’impose. Observons tout d’abord que la grande majorité de nos candidats
acceptés déclarent savoir peu de choses sur ce qui constitue la
franc-maçonnerie. Leur ignorance nous enjoint de respecter leur droit à la
découverte personnelle. En initiat i o n , la surprise du néophyte demeure
essentielle. Et puis, tout au fond, l’initiation poursuivie par
l’instruction vise à susciter, ensuite à développer chez l’adepte une
pénétration psychique, une intégr ation individuelle, une restructuration.
On passe ainsi de l’initiation cérémonielle à l’initiation intime. Plus que
de secret il faudrait à ce stade parler de mystère, celui d’un état dont
aucun mot ne saurait exprimer la réalité sinon par référence dérivée à nos
symboles et allégories avec la subtile mais très forte complicité qui s’en
dégage entre les frères. À ce point d’intimité, se dévoiler c’est blesser
gravement son âme. Bavarder, c’est se suicider sur le plan spirituel, se
profaner au sens le plus cruel que peut prendre ce mot.
Enfin, le secret prolongé jusqu’au mystère intime devient muraille de
forteresse, i n v i o l able donjon d’un Graal que nous portons à nos lèvres
afin de reprendre force et vigueur face aux assauts du monde extérieur. Q u
’ avons-nous de plus précieux en cette vie terrestre semée d’embûches, de
combat s et parfois de souff r a n c e ?
Sous forme imagée, l’une de nos trois grandes lumières énonce cette loi
d’universelle spiritualité. Voici, je me tiens à ta porte et je frappe; si
tu entends ma voix, j’entrerai et nous souperons tous deux ensemble. En
agape intime. Pas un trivial banquet de foule profane.
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