Seule l’abrasion d’une pierre peut en enlever les aspérités
De l’actualité à la durée intemporelle
Ladrerie, soif du pouvoir, cupidité, convoitise, vanité et orgueil,
voilà ce que l’humanité véhicule depuis qu’elle en porte le nom. Et rien ne
laisse présager d’un avenir meilleur. Amer constat, mais qu’y faire?
Mario Chopard, Etoile du Jura, Bienne (Revue maçonnique suisse:
octobre 2006)
L’idéal que nous poursuivons en tant que francs-maçons serait-il en
mesure d’infléchir le cours de la funeste réalité, et nos principes généraux
seraient-ils une panacée? Questions auxquelles je vais tenter d’apporter un
éclairage personnel.
Si l’on se réclame de Darwin, l’on admet que les données physiologiques
propres à chaque espèce - minérale, végétale ou animale - changent en vertu
des règles de la sélection naturelle. Cela est vrai à l’échelle géologique,
alors qu’à l’échelle humaine on n’en perçoit pas les effets. La pensée
humaine obéit-elle aux mêmes principes que ceux énoncés par le naturaliste
anglais? Pour ma part je suis en droit de croire que non, puisque les mêmes
errements se répètent inlassablement depuis que l’homme est appelé à
cohabiter avec ses semblables: guerres, injustices, cruautés sont le lot des
relations humaines. Le tableau que je brosse n’est certes pas réducteur à
outrance. L’homme ne cultive pas toujours le macabre en vue de satisfaire
ses viles ambitions. Il peut aussi être animé de bonnes intentions et les
mettre en pratique. C’est, je pense, là qu’il faut chercher le germe d’une
évolution des esprits. Pourtant, vouloir que l’humanité change en l’espace
d’une vie est une utopie. Même Darwin ne serait pas parvenu à appliquer sa
théorie évolutionniste au domaine de la pensée car elle doit être forgée sur
une autre enclume que celle de la sélection naturelle.
La pensée n’est pas matérielle, elle échappe aux coups de marteau du
forgeron qu’est le temps géologique; elle n’est modulable qu’à titre
temporaire et doit être sempiternellement façonnée pour ne pas retomber dans
ses travers. Là nous intervenons comme francs-maçons en essayant de faire
valoir nos principes, dont nous n’avons d’ailleurs pas l’exclusivité.
Espérer les imposer à tout jamais est une cause perdue d’avance, connaissant
la gangue d’incompréhension qui entoure le cerveau de certains de nos
concitoyens. Il convient moins d’imposer un redressement que de limiter les
effets nauséabonds d’un égoïsme effréné, propre à tout individu imperméable
aux idées de partage.
Il faut le reconnaître, rares sont les personnes qui font preuve
d’abnégation et de don de soi. Il n’empêche, vus sous l’angle de
l’idéalisme, les principes de droiture, d’équité et de justice, autrement
dit de liberté, d’égalité et de fraternité sont des valeurs immuables
auxquelles toute société devrait aspirer. Mais elles vont à l’encontre de la
nature humaine qui par essence est prédatrice à des degrés plus ou moins
marqués.
La nécessité d’une action inlassable
Compte tenu de ce que j’ai exposé ci-dessus, il faut oser escompter un
résultat dans un avenir extrêmement lointain, si tant est que la notion
d’avenir soit applicable à une ambition dont la démarche est quasiment vouée
à l’échec. Certes, la nécessité d’un engagement au quotidien n’est pas à
nier. Nous constatons actuellement une déliquescence des valeurs morales à
tous les échelons de notre société. Plus la dérive s’accentue, plus l’ardeur
des nostalgiques de la rigueur se renforce. Malheureusement, ceuxci peinent
à imposer leur idéal d’ordre social parce que, nageant à contrecourant, ils
sont entravés dans leur progression par le flot des laxistes qui ne prennent
pas conscience du gouffre où les mène cette dérive. Or, il faut bien une
force capable de l’endiguer, et c’est par un message rédempteur comme sont
capables d’en délivrer des hommes issus de nos rangs qu’il sera possible de
faire triompher la rectitude, l’intégrité et la droiture.
L’actualité de nos principes est certes une réalité mais c’est davantage
de durée intemporelle qu’il faudrait parler car, limitée à la notion
d’actualité la démarche hic et nunc est aléatoire et jamais acquise
définitivement. Ce n’est que par une action inlassable qu’un mince espoir de
progrès peut humblement être escompté. L’adage «cent fois sur le métier
remets ton ouvrage» est d’une brûlante actualité et le sera à travers les
âges, à moins que…
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