De hier à aujourd’hui, les fausses idées
L’Opprobre
L’institution destinée à être une «alliance d’hommes éclairés, groupés
pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de
l’Humanité», issue de divers courants, dont le Compagnonnage, a été créée au
début du 18e siècle en Angleterre. En ce sens la franc-maçonnerie était
d’abord et avant tout «humaniste».
Loge Tradition, Lausanne (Revue maçonnique suisse: fevier 2006)
Philippe IV le Bel, envieux des Templiers du fait de leurs richesses et
de leur puissance a essayé de les utiliser à ses fins. Cherchant au départ à
en devenir le grand maître tout en restant roi de France, il joua un jeu de
trahison qui finit par l’arrestation, le vendredi 13 octobre 1307 au matin,
de tous les Templiers du royaume. Pour justifier cet acte odieux il disait
ne pas souffrir de voir s’instituer «un État dans l’État». Un procès inique
suivra cette arrestation bien orchestrée. Cependant, nombre de Templiers
ayant fui la France ont trouvé refuge dans les pays limitrophes. Pendant
sept ans ils chercheront à se justifier auprès du pape, le seul à qui ils
devaient théoriquement des comptes. Menacé par Philippe le Bel et ses
sbires, ou peut-être même partie prenante, le souverain pontife ne les
écoutera souvent même pas! Le 22 mars 1312 le pape Clément V abolit l’Ordre
du Temple.
La Compagnie de Jésus qui sauva l’Église de Rome du naufrage auquel elle
se trouvait confrontée au 16e siècle fut elle aussi sujette à l’opprobre
d’une institution ecclésiale qui supportait mal de voir une cohorte d’hommes
éclairés qui, selon les circonstances, substituait la casuistique à
l’infaillibilité des dogmes. Elle fut également confrontée à l’opprobre et à
la calomnie comme le fut la maçonnerie au fil du temps. On doit rappeler à
cet endroit que le R.P. Riquet s.j. est intervenu à la fin du siècle dernier
en faveur d’une réhabilitation de la franc-maçonnerie régulière auprès du
Saint-Siège. Doit-on voir là un signe de reconnaissance envers celui qui
recueillit la Compagnie de Jésus à l’heure de sa dissolution par le pape
Clément XIV en 1773: Frédéric II de Prusse, qui selon de nombreuses sources
était franc-maçon?
On rapporte qu’Ignace de Loyola avait coutume de dire: «S’il advenait un
jour que nous devinssions populaire, cela voudrait dire que nous avons
failli à notre mission». Remarque univoque, sans appel, qui démontre bien
dans quel esprit la ligne de la Compagnie de Jésus s’inscrivait aux yeux de
son fondateur.
Ce serait cependant une erreur de croire que la catholicité fut de tout
temps opposée à la franc-maçonnerie. Du temps où celle-ci respectait aux
yeux de l’Eglise ses propres préceptes, il n’y a jamais eu de contraintes
exercées par l’Eglise de Rome. En revanche, aussitôt que la maçonnerie
devint protestante (Anderson, Désaguliers), les réactions ne se firent pas
attendre. Rappelons néanmoins que l’Irlande, berceau du catholicisme
européen, vit une première loge fondée en 1539 et que la franc-maçonnerie
irlandaise y a toujours été active sans être l’objet d’une quelconque
fustigation de la part de l’Eglise de Rome.
Ce que nous sommes devenus
Ce qui semble plus important est ce que nous sommes devenus. Il est hors
de doute que la franc-maçonnerie a évolué, pas forcément d’ailleurs dans le
sens que nos anciens auraient voulu. À cet égard le conflit entre l’Église
romaine et la franc-maçonnerie doit être relativisé ; il ne semble pas que
cela soit l’unique raison qui conduisit au jugement négatif du monde profane
sur notre institution, bien que la décision du convent du Grand Orient de
France de renoncer en 1877 de travailler à la gloire du GADLU et à la
présence du Livre de la loi sacrée sur l’autel des loges, n’ait pas
contribué à «arranger la situation». On doit cependant remarquer que
l’opprobre en question est beaucoup moins sensible dans certaines régions.
En Suisse alémanique par exemple, probablement moins touchée par l’intox
propagée par le gouvernement de Vichy durant la dernière guerre et les
scandales qui ont défrayé la chronique en France voisine, le sentiment
vis-à-vis de la francmaçonnerie semble moins négatif qu’en Suisse romande.
L’Islam – en dépit de l’intermède de l’émir Abd el-Kader – ne reconnaît pas
la francmaçonnerie. Le seul pays musulman où elle est reconnue, autorisée,
et même encouragée est la Turquie. En Asie, hormis l’Inde et le siècle de
présence britannique, et en dehors de quelques cercles intellectuels
occidentalisés, en raison probablement des philosophies et religions en
vigueur, la franc-maçonnerie est peu active, mais n’est certainement pas
vilipendée.
Voilà pour ce qui concerne notre perception toute relative de l’opprobre
qui pèse sur la maçonnerie. Il y a lieu néanmoins de considérer, et
permettez- moi là une digression, qu’au delà des bulles papales nous
condamnant, nous ne pouvons passer sous silence deux graves obstacles. Il
est peu probable, sinon inconcevable, que les rapports entre l’Eglise et la
francmaçonnerie puissent être normalisés tant que deux obstacles
subsisteront. Le premier est le Droit canon, le Codex luris Canonici (CIC),
promulgué par le pape Benoît XV, le 27 mai 1915. Il est infiniment plus
difficile de l’amender que de passer outre à une bulle, même si celle-ci est
déclarée par son auteur valable à perpétuité. Et le second obstacle, encore
plus fort que le premier, est l’attitude intransigeante de l’Eglise qui n’a
pas donné le moindre signe de sa disposition à renoncer à la position de
supériorité qui est la sienne depuis toujours et se déclarer prête à traiter
notre Ordre dans un esprit de conciliation. Tant que l’Eglise n’acceptera
pas l’idée qu’elle aussi peut et se doit même de prononcer les mots mea
culpa et peccavi lorsqu’elle a commis une faute, il est bien difficile de
croire à un rapprochement aussi désiré et réclamé soit-il par de nombreuses
personnes de bonne foi. Il est vain de parler de paix tant que l’une des
parties maintient l’état de guerre.
Nettoyons les écuries d’Augias
Mais la raison majeure de l’opprobre que nous subissons reste la
pollution. Les propos d’un Grand Maître d’une obédience française,
recueillis le 27 octobre 1999 dans un journal parisien sont édifiants: «Pour
entrer dans une loge, il y a une enquête sur la bonne moralité du futur
membre. Mais les gens peuvent agir subrepticement. Une personne peut
paraître sympathique et l’on ne va pas plus loin… C’est un manque de
rigueur! Par exemple, quels sont les buts de l’extrême- droite en infiltrant
une loge maçonnique? Leur objectif consiste en premier lieu en une mission
de renseignement, afin de savoir ce que nous faisons, en pensant bien
évidemment que nous sommes une société occulte qui pourrait éventuellement
leur servir d’instrument de pouvoir.» La pollution encore, dans toutes les
«affaires» qui jettent le discrédit sur nos loges, affaires qui pour la
plupart ont été le fait d’une petite minorité entrée en maçonnerie pour
faire du business en se croyant quelque peu protégée par le système. Fort
heureusement, il existe des exceptions, notamment dans l’affaire d’un frère,
ancien maire d’une ville du Sud de la France qui devait être jugé pour
corruption, détournement de biens sociaux, etc. Le juge en charge du
dossier, lui-même franc-maçon, a préféré démissionner de l’Obédience à
laquelle il appartenait, avant d’entreprendre sa mission. À cette pollution,
on doit évidemment ajouter les élucubrations d’un Léo Taxil, le scandale de
la Loge P2, Les Protocoles des Sages de Sion, «l’affaire des fiches», et
bien d’autres choses qu’il serait malheureusement difficile de dénombrer
ici.
Le fameux «secret» semble aussi à l’origine de bien des confusions. L’un
des nôtres - et non des moindres - rapporte cette remarque entendue chez un
profane: «Mais vous avez un secret, sans cela vous ne vous cacheriez pas
dans vos temples pour faire vos simagrées et vos séances seraient
publiques». Comment expliquer à ce profane que le corollaire du secret est
le sacré? Et pourquoi devrions-nous le faire? Les prêtres de quelque
religion que se soit ne sont pas toujours ordonnés en public et chaque
passage à un échelon supérieur de la hiérarchie catholique se fait entre
«pairs».
Mythe et réalité
Comment expliquer la nuance entre le mythe et la réalité? Ceux qui se
procurent en librairie toutes sortes de documents maçonniques les liront
comme on lit le «Da Vinci Code», même le très respectable Umberto Eco
confond tout dans son ouvrage: le «Pendule de Foucault». Il ne viendrait à
l’idée de personne de nos jours d’accorder une quelconque véracité
physicobiologique au mythe de l’Immaculé Conception, alors que sa beauté
éclatante apparaîtra à celui qui en comprend le sens ésotérique. La pratique
maçonnique est avant tout affaire de vécu et celui-ci n’est pas accessible
par les livres.
L’opprobre est difficilement supportable, nous devons cependant le
supporter. La très grande majorité des maçons sont des «gens bien». La
franc-maçonnerie est une institution honorable. Une preuve en forme de
paradoxe: le régime de Vichy et ses inspirateurs nazis ont condamné la
franc-maçonnerie, mettant au même niveau juifs et francs-maçons, les
traitant avec le même dédain et la même hargne. Peut-être devrionsnous y
voir un certificat d’honorabilité. Car c’est l’association que l’on aurait
faite de notre ordre avec les bourreaux nazis qui eût été infamante. Deux
lignes de conduite s’imposent alors à nous. Tout d’abord, la vigilance. Dans
un article paru dans la revue Alpina, la R.L. Tradition avait traité le
sujet du parrain, l’importance de la sélection, le rôle joué par la
commission de candidature. Souvenons-nous que nous sommes une société
élitaire d’aristocrates du coeur. Non, n’importe qui ne peut devenir
franc-maçon! Et il convient de rejeter catégoriquement sans scrupule ni
faiblesse, toute demande douteuse, indépendamment du souci légitime que nous
pourrions avoir de n’accepter que des profanes qui paraissent correspondre à
l’esprit et à l’unité de la loge. Deuxièmement, la communication. Il ne
s’agit pas par ce biais de «racoler», mais d’expliquer et dans ce dessein
parmi tous les moyens de communication à notre disposition l’internet est
sans doute le plus moderne et efficace.
Que faire?
Cela étant, nous n’empêcherons jamais qu’on nous salisse. C’est peutêtre
là un signe de notre valeur et de la peur irraisonnée que notre ordre
engendre auprès du monde profane. Peut-être devons-nous aussi nous adapter
et comprendre que le message maçonnique s’adresse aujourd’hui à des hommes
et à des femmes dont la formation intellectuelle et scientifique n’est plus
la même qu’au moyen âge ou même au 18e siècle. Si nos rituels sont
immuables, notre discours doit se conformer à la situation actuelle.
Cependant, nous ne pourrons jamais rien changer à la mentalité d’une société
dépérissant, en manque de spiritualité. Si les temples chrétiens ou
israélites en Occident se vident de «gens raisonnables » pour laisser la
place au fondamentalisme et à l’intégrisme le plus sanglant, notre rôle se
limite à pratiquer un humanisme moderne où le Grand Architecte et l’homme se
confondent et s’unissent pour le plus grand bien de l’humanité.
Est-il alors vraiment important que nous soyons impopulaires, que nous
suscitions la méfiance d’une cohorte de profanes qui ne connaissent la
francmaçonnerie que par ce que la presse people lui dicte? Chacun d’entre
nous apportera sa réponse.
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