Responsabilité de tous partagée au sein de la loge
Les conditions d’admission dans la franc-maçonnerie
- Qui frappe à la porte du temple et pourquoi?
- Quelles sont les qualités requises pour y pénétrer?
- Prenons-nous toutes les précautions nécessaires pour «trier le bon
grain de l’ivraie»?
Claude Felder, Loge Grevîre, Bulle (Revue maçonnique suisse: mars
2006)
Nous vivons actuellement une période de grande confusion et de
déstabilisation permanente. Notre civilisation progresse par ruptures de
plus en plus rapides et tout ce qui n’est pas nouveau est dénigré, rejeté
ou, au mieux, ignoré. À chaque rupture le nombre des laissés-pour-compte
augmente et accroît l’atomisation de la société en fonction de critères
basés sur l’âge, le niveau de formation, la richesse, le milieu
socio-culturel ou l’ethnie à laquelle on appartient. La peur des autres
entraînant celle de soi-même, la famille devient un clan, l’ethnie un ghetto
et la conviction religieuse: du fondamentalisme. René Guénon dans son
ouvrage La crise du monde moderne, décrit notre époque comme un âge de fer
qui a érigé en système la contre-initiation.
Un être humain libéré de ses entraves
Alors que les scientifiques, se basant sur l’idée du progrès en
croissance exponentielle, nous annoncent un monde meilleur, les
millénaristes nous prédisent la grande catastrophe universelle comme
punition à tous nos péchés. N’étant ni d’un côté, ni de l’autre, je pense
que si l’on peut effectivement considérer l’état de crise de notre monde, la
fin d’un monde ne peut être assimilée à la fin du monde. Nous et nos
successeurs avons donc l’opportunité de concevoir et de promouvoir, en
dehors des schémas archaïques, un monde dans lequel pourrait vivre un
nouveau type d’homme. L’initiation maçonnique peut réussir cette seconde
naissance de l’homme.
Les anciens chinois avaient un seul pictogramme pour désigner crise et
chance, les deux choses étant inséparables. Je vous rappelle cette phrase
d’Oswald Wirth: «la franc-maçonnerie est appelée à refaire le monde, elle en
a les moyens, à condition de devenir ce qu’elle doit être». Le climat
d’incertitude dans lequel nous baignons pourrait nous être favorable ;
encore faudrait-il que nous nous démarquions publiquement des sectes et
autres sociétés de type nouvel âge, souvent plus accessibles et attrayantes
à qui souhaite combler son vide spirituel.
La franc-maçonnerie n’est pas un prêt-à-penser dans lequelle on retrouve
un échantillonnage complexe de pseudo ésotérisme à la mode. Elle est source
de crise parce qu’elle est une recherche permanente susceptible, parfois, de
déstabiliser. Elle est chance parce qu’elle ouvre la voie à la découverte
d’un être humain libéré des entraves et des superstitions.
Catégories distinctes et expressions consacrées
Le candidat se recrute parmi quatre catégories principales d’individus:
1) l’héritier d’une tradition maçonnique familiale; 2) le maçon sans
tablier; 3) le chercheur d’idéal; 4) malheureusement aussi le chercheur de
combines. Eliminons rapidement le dernier de ces cas. Il désire rejoindre la
maçonnerie pour réaliser des affaires ou trouver le moyen d’escalader les
barreaux de l’échelle sociale. Ce type de candidat peut être difficile à
déceler. Il s’est renseigné, a lu, sait donner le change dans ses réponses
et fait bonne impression. Les participants au processus d’examen d’une telle
candidature doivent se montrer vigilants, perspicaces, et sans état d’âme
écarter pareil profil.
L’héritier d’une tradition maçonnique familiale connaît parmi ses proches
un ou plusieurs maçons affirmés pour lesquels il a de l’estime. Il éprouve
le besoin de les imiter, de connaître ce qu’ils ont connu. Même si le fils
n’a pas toujours la qualité du père, un tel candidat entrera sans difficulté
en loge et s’y intégrera rapidement. Le sans-tablier est une personne qui,
sans avoir adhéré à l’Ordre, et même parfois sans en avoir eu aucune
curiosité, se conduit dans sa vie comme devrait se conduire un francmaçon.
Ce genre de néophyte est généralement d’âge mûr. Il découvrira notre société
d’un oeil critique et sauf erreur de jugement initial fera un excellent
maillon.
Dans la catégorie du chercheur d’idéal nous trouvons la majorité de nos
candidats. Oswald Wirth nous en donne la définition suivante, je cite: «La
vocation initiatique se rencontre parmi ces vagabonds spirituels qui errent
dans la nuit après avoir déserté leur école ou leur église, faute d’y
trouver leur vraie lumière». Me référant aux Constitutions, j’estime qu’en
préalable à une initiation il importe de vérifier si le candidat est «libre
et de bonnes moeurs». Est libre celui disposant librement de sa personne. Il
ne subit aucune contrainte et son esprit n’est pas inféodé à une idéologie
totalitaire, de type religieux ou politique. Il faut noter la formulation
initiale: né libre, ce qui à l’époque soit excluait tout candidat soumis à
une servitude, soit le cantonnait au grade d’apprenti, exemple: les frères
servants. Etre de bonnes moeurs signifie être loyal, honnête, probe et
respectueux des lois morales du pays de résidence.
Dans l’absolu, notre candidat devrait être sérieux, motivé, capable de se
remettre en question, persévérant, acceptant la controverse et en recherche
spirituelle. Au final, comme l’écrit Maître Eckhart, le candidat «doit
accepter de cesser d’être ce qu’il est, et de tuer le vieil homme pour
devenir pleinement lui-même». Pour moi, là réside l’essentiel. Reste à
traiter, dans le cadre de notre obédience, du problème de l’athéisme.
Aucun processus n’apporte de certitude absolue
Revenons au texte des Constitutions traitant du sujet: «Un franc-maçon
est obligé, de par sa tenure (tenure est un terme féodal signifiant une
obligation contractée par le détenteur d’un fief: note de l’auteur), d’obéir
à la loi morale, et s’il comprend bien l’Art (c'est-à-dire l’Art Royal), il
ne deviendra jamais un athée stupide, ni un libertin irréligieux; mais
quoique, dans les temps anciens, les Maçons fussent obligés, dans chaque
pays, d’être de la religion de ce pays qu’elle quelle fût, aujourd’hui il a
été considéré plus commode de les astreindre seulement à cette religion sur
laquelle tous les hommes sont d’accord, laissant à chacun ses propres
convictions». Sans être un exégète éclairé des Constitutions, certains
passages me semblent prêter à interprétations. Le terme «athée stupide», par
exemple. Signifie-t-il qu’un athée est de facto stupide, ou que l’interdit
ne concernerait pas un athée intelligent?
Le texte est mis au futur: «il ne deviendra jamais» se dit en anglais «he
will never be». Ce n’est donc pas l’état du profane au moment de son
admission. D’autre part, comment définir le Grand Architecte de l’Univers
par rapport à cette religion, dénominateur commun minimaliste, «sur laquelle
tous les hommes sont d’accord»? Est-ce le Dieu des monothéistes, la Déesse
Mère des cultes polythéistes, le Grand Horloger de Voltaire et, pourquoi
pas, la Raison déifiée des tenants des Lumières?
Pour ma part je ne blackboulerais pas un candidat dont le seul défaut
serait de déclarer ouvertement son athéisme. Il me paraît injuste de
pénaliser quelqu’un pour son honnêteté alors qu’il lui serait facile, suite
à ses lectures ou aux conseils avisés de frères, de se réfugier dans le
politiquement correct. Il est parfois difficile de distinguer l’athée de
l’agnostique… et comme le doute doit profiter à l’accusé! Dans la mesure où
le profane manifeste la volonté et le désir de changer, supposer que son
athéisme perdurera est un mauvais procès d’intention.
Il existe au sein de nos loges différents processus d’admission, plus ou
moins compliqués, plus ou moins longs, mais aucun n’apporte de certitude
absolue car l’erreur reste humaine. Certains écueils sont cependant à
éviter. Le rôle des commissaires est de plus en plus important, leur choix
constitue une étape prépondérante. Dans un processus classique le candidat
est coopté par un frère qui, après l’initiation, deviendra son parrain. La
loge dispose ainsi dès la mise en route de renseignements de première main.
Avec la mobilité accrue des personnes et les candidatures spontanées via
internet les seules informations de bases dont disposent les commissaires
sont la lettre d’intention et, éventuellement, les différents rapports
officiels (casier judiciaire, certificat de bonnes moeurs).
Le commissaire n’est ni un sergent recruteur ni un détective privé,
plutôt un sondeur de l’âme humaine, d’où la difficulté et la complexité de
sa tâche. Trop souvent les rapports fournis ne sont que des curriculum vitae
redondants et ne permettent pas aux intéressés de se faire une idée sur la
personnalité du postulant.
Chacun vote à partir de ce qu’il connaît et ressent
Dans certaines loges l’interrogation du candidat sous le bandeau permet
souvent de lever légèrement le voile. L’interrogation sous le bandeau en
chambre d’apprentis a pour moi deux avantages: 1) elle offre à tous les
membres de l’atelier une prise de contact auditive, visuelle et gestuelle
sans intermédiaire. Chacun endosse ainsi sa part de responsabilité à
l’admission du profane; 2) la diversité et la pertinence des questions
posées sont mieux représentatives des attentes de la loge.
Enfin, penser que les points obscurs se résolvent a posteriori est une
erreur. Les admissions à contretemps sont une source de problèmes
potentiels. Je laisse à notre passé frère Edmond Gloton la conclusion de
cette planche: «Celui qui est reçu et après un temps plus ou moins long
déserte nos temples est un élément qui peut devenir dangereux. N’ayant pas
assimilé nos enseignements, il les dénigrera, les tournera en dérision et
c’est parmi ces ex-affiliés que l’on rencontre souvent les ennemis les plus
acharnés de la franc-maçonnerie». Soyons par conséquent vigilants.
Chacun vote à partir des informations connues et selon sa conscience. Il
serait irresponsable de cacher des informations pouvant autant mettre en
péril l’harmonie de l’atelier que trahir la promesse faite le jour de notre
propre initiation.
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