Les changements véhiculés par le XXe siècle transforment profondément notre vie personnelle

Tradition et progrès dans le contexte maçonnique

Ecrivain et général, pleinement homme du siècle des Lumières, Le prince de Ligne enjoignait à ses frères de loge d’écrire sérieusement sur des choses légères, et légèrement sur des choses sérieuses. Pour aborder la Tradition, tournons-nous donc vers deux maçons humoristes.

Roger Jomini, Loge Tolérance et Fraternité, Genève (Revue maçonnique suisse: juin/juillet 2007)

Pierre Dac aimait à dire que la Tradition est le droit de vote accordé aux morts. Mark Twain soutenait que moins il est facile de justifier une tradition plus il est difficile de s’en passer. D’autres ont pu dire que la tradition est une horloge qui donne l’heure qu’il était. Ou encore que la tradition de préserver les traditions devient une tradition. On pourrait allonger.

Il est vrai qu’à notre époque, la ou les traditions, comme on voudra, riment souvent avec routine, ornières,manies et marottes. Elles n’ont pas bonne presse. Même parmi nous francs-maçons, où d’aucuns souhaiteraient que la tradition ne se borne pas à rappeler dans le calendrier des loges de la revue Alpina: «habits foncés, chaussures et chaussettes noires exigés» (les Chaussettes Noires, quel beau nom pour un groupe de rap!). Ceux-là voudraient davantage de progrès. À quoi les nostalgiques du passé rétorquent que le progrès est souvent la substitution d’une nouvelle nuisance à l’ancienne. Certaines choses ne changent jamais. Ironiste à ses heures,KarlMarx nous dit dans Le Capital que l’amour et la nature de la monnaie sont les deux choses qui font le plus délirer les hommes. Nous avons à la GLSA une loge appelée Tradition et une autre: Le Prgorès. Contradiction? Non point! Renan disait que les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un profond respect du passé.Grand visionnaire, Thomas Edison se promettait de rendre l’électricité si bon marché que seuls les riches pourraient encore se payer des bougies. Eh bien, dans nos loges la tradition des bougies cohabite avec les progrès de l’électricité.

Alors, la franc-maçonnerie, une utopie ringarde? Certains le pensent, tout en se disant que c’est une utopie nécessaire. Sans elles les sociétés ne progresseraient pas; elles séjourneraient dans un état de stagnation politique etmoral décourageant pour lesmeilleurs, et beaucoup trop favorables aux entreprises des moins bons. Une société ne peut se passer d’un idéal. Que celui-ci soit inaccessible ne fait que le rendre plus durable, par conséquent plus efficace. Alfred Messerli nous disait l’an dernier qu’en France voisine, les maçons sont actuellement 140 000, de 35 000 qu’ils étaient en 1972. Les obédiences ont fait le travail de relations publiques nécessaires. Il faut aller plus profond encore. Dans une société où beaucoup s’interrogent sur le sens de leur vie, où les valeurs dévalent, où la morale semble dégringoler, c’est justement en France que refleurissent les traditions d’autrefois, les fêtes religieuses et profanes. Tout près de chez moi, la Fête du Saint-Suaire à Nice, de Saint Cassien à Cannes, du jasmin à Grasse. La bénédiction des troupeaux qui vont estiver à deux mille mètres d’altitude. La reconstitution, pendant quelques jours, de la «route du sel» d’autrefois, où trois mille mulets convoyaient jusqu’à Turin le sel de la Méditerranée, par les sentiers abrupts et les cols escarpés. Et un peu partout bien sûr, les feux de la Saint Jean, notre patron. Ce qui passait autrefois pour ringard, est devenu un repère qui engendre la paix sociale, où jeunes et anciens pactisent. Par peur du danger? Certes, mais surtout pour renouer avec une tribu, une chaleur humaine, un sourire, une heureuse parenthèse, unmessagemerveilleux etmagique, l’union de la Tradition et du Progrès. En 1848, les pères fondateurs de la Suissemoderne, qui comptaient de nombreuxmaçons, eurent la sagesse de faire ressurgir, voire de créer, des légendes et des traditions patriotiques: les Trois Suisses de 1291,Guillaume Tell,Nicolas de Flue, l’AvoyerWengi,Winkelried, Philibert Berthelier, le Major Davel, et on en passe.Avec l’imagination au pouvoir, et la collaboration de ceux des nôtres qui sont professionnels en relations publiques, la voie est toute tracée. Pas toujours facile de vaincre notre frilosité nationale,mais notre frèreWinston Churchill, qui s’y connaissait, n’a-t-il pas dit un jour: «le Progrès, c’est d’être capable d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme».

Je vous entends: ces belles figures du passé, qui intéressent-elles encore? Oui, on a célébré Mozart,mais il a pour lui sa musique! Pourtant, dans notre Suisse si variée, si riche de traditions, n’avons-nous pas de quoi faire, en plus de la très symbolique Fête des Vignerons de Vevey, qui n’a cependant lieu que quatre fois par siècle?

Je vous entends: ces belles figures du passé, qui intéressent-elles encore? Oui, on a célébré Mozart,mais il a pour lui sa musique! Pourtant, dans notre Suisse si variée, si riche de traditions, n’avons-nous pas de quoi faire, en plus de la très symbolique Fête des Vignerons de Vevey, qui n’a cependant lieu que quatre fois par siècle?