L’oeil physique dans sa fonction de réception de la lumière
Le Delta lumineux tel qu’il nous est connu
D’éminents linguistes nous assurent que le mot le plus
usité au monde, dans toutes les langues du globe, c’est «O.K.» Il marque
l’accord, et remplace le banal «oui». On sait moins peut-être que l’objet le
plus employé au monde provient également des Etats- Unis: le billet de
banque d’un dollar, le «greenback» comme on dit là-bas.
Roger Jomini – Tolérance et Fraternité, Genève (Revue
maçonnique suisse: mai 2008)
Prenons-le en main.A l’avers voici le portrait de George Washington,
franc-maçon, premier président des Etats-Unis. Son tablier de vénérable fut
brodé par l’épouse du marquis de Lafayette, maçon aussi, envoyé par le roi
de France au secours des insurgés américains.Traditionnellement, aujourd’hui
encore, chaque président des USA, maçon ou non, prête serment sur la Bible
provenant du temple où Washington était vénérable. Ce Frère posa la pierre
angulaire du Capitole national à Washington, en septembre 1793. On considère
cette cérémonie comme le plus grand événement de l’histoire maçonnique
américaine. Au revers du billet de banque parmi d’autres symboles l’un nous
intéresse particulièrement ici: le Delta lumineux, qui passe ainsi de main
en main chaque minute dans le monde.
L’un de nos plus frappants symboles est assurément le Delta lumineux,
signe du ternaire. Il y a trois parties dans l’ensemble de l’emblème:un
triangle, qui porte en son centre l’oeil de l’intelligence ou du principe
conscient; des rayons exprimant l’activité, l’expansion constante de l’être,
en vertu de laquelle le point mathématique sans dimensions, qui est partout,
remplit l’immensité sans limite; un cercle de nuages figurant le retour sur
elles-mêmes des émanations expansives, ou plus exactement leur condensation
sous la pression de leur rencontre, puisqu’il s’agit de vibrations provenant
d’une infinité de foyers, écrit Oswald Wirth.
Ce ternaire comporte la thèse (affirmation), l’antithèse (négation) puis
la synthèse (solution). Autrement dit: bien dire, bien faire, et bien
penser.
Aux cinéphiles on rappellera «L’homme qui voulut être Roi» de John
Huston, d’après Kipling. Sans doute le film le plus célèbre consacré à la
franc-maçonnerie. Le Delta lumineux y tient une place de premier plan. En
passant, relevons que le Delta lumineux est aussi fort en honneur chez nos
«Bons Cousins», les Compagnons du Devoir. Ils y voient justement la force
qui entreprend, la beauté qui orne, la sagesse qui harmonise.
Suivant les cas, on voit dans le Delta le tétragramme sacré ieve, en
lettres hébraïques: Iod, Hé, Vav, Hé sont les lettres du nom divin dont la
prononciation était réservée au grand prêtre une seule fois l’an, dans le
Debir (Saint des Saints) du Temple de Jérusalem.
Dans notre tradition, l’oeil du Delta symbolise sur le plan physique le
soleil, d’où émanent la vie et la lumière; sur le plan intermédiaire ou
astral,le verbe, le logos, le principe créateur; sur le plan spirituel ou
divin, le Grand Architecte de l’Univers. L’oeil unique, sans paupière est le
symbole de la connaissance divine. Inscrit dans un triangle, il est en ce
sens un symbole à la fois maçonnique et chrétien. L’oeil unique du Cyclope,
au contraire, indique une condition sous-humaine, de même que la
multiplicité des yeux d’Argus, deux, quatre, cent yeux dispersés sur tout le
corps et ne se fermant jamais tous ensemble; ce qui signifie l’absorption de
l’être par le monde extérieur, et une vigilance qui n’est jamais tournée que
vers l’extérieur.
Usages, croyances et interprétations
Parce que l’oeil tient une place essentielle dans notre Delta lumineux,
il paraît intéressant d’élargir notre champ de réflexion en abordant
d’autres cultures, là surtout où il relève aussi du ternaire.
Sa symbolique y demeure celle de la perception intellectuelle. On
considère successivement l’oeil physique dans sa fonction de réception de la
lumière. Puis l’oeil frontal, le troisième oeil de Civa, enfin l’oeil du
coeur, qui reçoivent l’un et l’autre la lumière spirituelle. Selon Platon et
saint Clément d’Alexandrie, l’oeil de l’âme est non seulement unique, mais
sans mobilité. Il n’est susceptible que d’une perception globale et
synthétique. La même expression d’oeil du coeur ou de l’esprit est relevée
chez Plotin, saint Paul et saint Augustin. C’est aussi une constante de la
spiritualité musulmane (ayn-el-Qalb). On la trouve chez la plupart des
soufis, notamment chez Al-Hallâj. Mais, également, le mauvais oeil est une
expression très répandue dans le monde islamique, symbolisant une prise de
pouvoir sur quelqu’un ou quelque chose, par envie et avec une intention
méchante. Le mauvais oeil, dit-on, est cause de la mort d’une moitié de
l’humanité. Le mauvais oeil vide les maisons et remplit les tombes. Auraient
des yeux particulièrement dangereux les vieilles femmes et les jeunes
mariées. Y sont particulièrement sensibles les petits enfants, les
accouchées, les chevaux, les chiens, le lait, le blé. Heureusement, il
existe des moyens de défense contre le mauvais oeil: des dessins
géométriques, des objets brillants, des fumigations odorantes, le fer rouge,
le sel, l’alun, des cornes, le croissant, une main de Fatma. Le fer à cheval
est aussi un talisman contre le mauvais oeil. Il semble réunir à cause de sa
matière, de sa forme et de sa fonction les vertus magiques de plusieurs
symboles: corne, croissant, main et cheval (animal domestique et
primitivement sacré).
Chez les Egyptiens, l’oeil Oudjat (oeil fardé), était un symbole sacré,
que l’on retrouve sur presque toutes les oeuvres d’art. Il était considéré
comme une source de fluide magique, l’oeil-lumière purificateur. On connaît
aussi la place du faucon dans l’art et la littérature religieuse de l’Egypte
ancienne. Or, les Egyptiens avaient été frappés par la tache étrange qu’on
observe sous l’oeil du faucon, oeil qui voit tout. Autour de l’oeil d’Horus
se développe toute une symbolique de la fécondité universelle. Rê, le dieu
soleil, était doté d’un oeil brûlant, symbole de la nature ignée; il était
représenté par un cobra dressé, à l’oeil dilaté. Les sarcophages égyptiens
sont souvent ornés d’un dessin de deux yeux censés permettre au mort de
suivre sans se déplacer le spectacle du monde extérieur. Pour nous
francs-maçons encore sur terre, l’oeil du Delta lumineux, dans le symbolisme
constructif,devient l’oeil du dôme,au sommet de la voûte ou du temple. Il
exprime la porte étroite située au zénith du cosmos, ou de la voûte étoilée
qui ouvre sur l’inconnaissable. Ce qui est en haut est comme ce qui est en
bas. La voie parcourue passera de la porte étroite franchie par l’apprenti,
à la porte étroite du maître maçon.
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