Deux termes à première vue contradictoires:
Hiérarchie maçonnique et démocratie
On vient de retirer le bandeau à l’impétrant qui reçoit ainsi la
Grande Lumière. Tout ébloui, il cligne des yeux et tente de comprendre ce
qu’on lui dit, et surtout ce qu’il voit. Spectacle nouveau pour notre
nouveau frère? Bien sûr! Et pourtant, dans les multiples pensées qui
bouillonnent sous son crâne: une impression fugace de déjà vu.
Roger Jomini – Tolérance et Fraternité, Genève (Revue maçonnique
suisse: août/septembre 2008)
Notre nouveau maillon a fait du scoutisme, puis son service militaire. Il
réalise que les personnages sur les marches forment une hiérarchie, avec des
galons et des décorations. Le langage qu’ils utilisent, à voix claire et
intelligible, rappelle le scoutisme et le service militaire. Bref, il
comprend qu’il fait face à une hiérarchie maçonnique. Au fur et à mesure
qu’il travaillera sa pierre brute, il pourra tirer des parallèles entre la
maçonnerie et le scoutisme. Ce dernier naquit en 1907 en Angleterre sous
l’impulsion de Baden-Powell. Le mot anglais scout est issu du vieux français
escouter et le traduire par éclaireur est parfaitement correct.
Le scoutisme est une méthode d’éducation fondée sur des principes de
pédagogie visant à former le caractère, donner un esprit de service. Il vise
à une vie communautaire fraternelle, dans laquelle l’exemple du chef doit
s’affermir. Ces groupes, comme la maçonnerie, ont leurs rites et leurs
traditions. Des signes de reconnaissance. C’est ainsi que le salut scout se
fait avec trois doigts. Il y a aussi des promesses solennelles. Si
Baden-Powell ne fut pas lui-même franc-maçon, on relèvera que la branche la
plus jeune du scoutisme, les louveteaux, a fortement subi l’influence des
récits initiatiques de notre frère Rudyard Kipling, et notamment du Livre de
la jungle. C’est Genève qui est le siège international du scoutisme pour les
garçons, Londres l’étant pour les filles.
Hiérarchie semblable à celle du militaire? On se gardera de trop
solliciter les parallèles, par respect pour les objecteurs de conscience.
Simplement, on rappellera l’un des Principes maçonniques généraux de la
Grande Loge Suisse Alpina: «Le franc-maçon suisse est fidèlement et
entièrement dévoué à sa patrie. Il reconnaît comme un devoir sacré de
défendre les libertés et l’indépendance de son pays ainsi que de contribuer
à maintenir la paix intérieure». Et parce que notre armée est un corps de
milice, à caractère défensif uniquement, indispensable au demeurant lors des
catastrophes naturelles, le peuple suisse a clairement manifesté sa volonté
de la maintenir. Il faut aller plus loin dans notre réflexion.
Des étapes qui marquent une progression logique
La hiérarchie dont on vient de parler est en quelque sorte extérieure, ou
de fonctions. Pour des raisons matérielles évidentes les loges sont
structurées à peu près comme nombre de sociétés profanes. À l’instar de la
plupart des sociétés initiatiques, la franc-maçonnerie répartit ses membres
en un certain nombre de degrés ou grades; elle est à ce titre profondément
hiérarchisée. À côté, plusieurs hiérarchies de fonctions sont liées, quant à
elles, à l’organisation interne de notre ordre. Au delà, nous avons la
hiérarchie initiatique, qui correspond aux différents grades et dont la
signification est liée à l’étymologie grecque: de hiéros, sacré, et arkhê,
commandement. Dans notre esprit, chaque niveau – chaque grade – est
indissociable, en tout cas théoriquement, à un certain état de développement
suffisant, du moins pour l’assimilation de nouvelles connaissances et leur
mise en oeuvre. Ces niveaux sont autant d’étapes marquant la progression de
l’être vers le but ultime que propose la maçonnerie: l’initiation réelle.
Dans cette conception de la hiérarchie le passage d’un degré à un autre lui
étant immédiatement supérieur ne peut se faire que par cooptation. Le
premier degré, le grade d’apprenti, est le point de départ correspondant au
profane, symboliquement la pierre brute, et le dernier degré le niveau final
correspondant à l’initiation réelle effective et totale.
Les divers rites maçonniques définissent un nombre variable de grades,
mais ils reconnaissent tous les mêmes trois premiers: apprenti, compagnon,
et maître, constituant la maçonnerie dite bleue. Il est évident que dans la
hiérarchie initiatique chaque grade correspond à un état définitivement
acquis. Il n’y a pas de retour en arrière.
Qu’en est-il de la démocratie? Selon le Genevois Jean-Jacques Rousseau, l’un
des pères spirituels du monde moderne, c’est «le règne de la volonté générale».
Pour les Américains, c’est «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple». Telles sont les deux définitions les plus structurées de la démocratie.
Notre Frère Winston Churchill disait «c’est le pire des régimes à l’exclusion de
tous les autres». Au vrai, l’on n’a jamais vu un peuple se gouverner de lui-même,
excepté dans de minuscules régions de la Suisse où il était possible de
rassembler la population tout entière sur la place du village, et de la
consulter sur tous les sujets. Quant à la «volonté générale» de Jean-Jacques,
qui n’est pas à confondre avec l’expression d’une majorité de citoyens, elle
suppose la résiliation de toutes les volontés particulières, genre d’abnégation
qui ne se rencontre que dans les monastères contemplatifs. La démocratie n’a
donc jamais existé nulle part, si l’on ne tient pas compte des deux petites
exceptions susmentionnées. D’où l’on voit que chez les humains, comme chez les
abeilles – qui ont fourni à notre ordre le vocable essaimage – la hiérarchie est
pleinement nécessaire. Ainsi, la maçonnerie que nous pratiquons est à la fois
hiérarchique et démocratique. La Constitution de la GLSA est claire dans sa
définition et son énumération des organes d’une loge. Citons le point 2 de
l’article 69: «Dans la réunion, les Maîtres, Compagnons et Apprentis ont le même
droit de suffrage». Enfin, les Principes susmentionnés le disent: «Les Maçons
peuvent se retirer de l’Association dès que leurs convictions ou leur situation
l’exigent». La porte de sortie demeure donc démocratiquement grande ouverte...
La franchir? Quitte à citer encore Kipling … «Mais combien je voudrais
les revoir tous, mes Frères, une fois encore dans la loge où je fus initié,
là-bas» (The Mother Lodge).
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