Thème
Que peut offrir la franc-maçonnerie à ses jeunes frères?
Le jeune frère nous arrive d’un contexte
sociétal en mutation. La société occidentale
dans son ensemble devient en
effet matérialiste et individualiste, en
rupture d’avec les valeurs traditionnelles
pourtant profondément ancrées dans le
subconscient collectif. Elle se base sur le
pouvoir et l’avoir, ainsi que sur la
consommation de biens et de loisirs.
Loge Espérance et Cordialité – Lausanne (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2009)
La satisfaction immédiate de nos
désirs, transformés en besoins, est
primordiale, le respect d’autrui se
dissipe, le dialogue peine à s’établir.
La vie même semble n’avoir plus
guère de valeur. L’influence des religions
et de la spiritualité s’affaiblit,
les moeurs se relâchent, les familles
éclatent, la tolérance disparaît. Le
rythme du quotidien s’accélère et agir
empêche de s’accorder l’espace
nécessaire au recueillement. Journaux,
télévision, radio et internet
proposent des solutions d’emploi du
temps en augmentant leur attrait et
faisant assaut de fantaisie.
Il est certes plus facile de succomber à
toutes ces sollicitations et de s’y abandonner
que de fournir un effort dans le
sens d’un développement personnel, plus
facile de paraître que d’être. On se replie
volontiers dans un monde virtuel, artificiel,
qui souvent s’exprime par l’indifférence
ou la violence.
L’être a tendance à s’égarer au sein d’un
univers dont s’estompent les repères
d’autrefois, indispensables pourtant à
notre épanouissement. Nombreux sont
les jeunes insatisfaits de leur existence
superficielle et qui se posent la question
de son sens véritable, de même que sur
les enjeux politiques, l’écologie, la protection
de l’environnement en général,
l’égalité hommes-femmes. Ils réfléchissent
aussi à leurs responsabilités, droits
et devoirs dans la société. C’est parmi
ceux-là, qui non seulement subissent en
quelque sorte les événements et tendances
actuels mais encore s’interrogent,
que nous pouvons trouver des
futurs franc-maçons.
Un humanisme orienté vers l’extérieur
Rappelons-le, la franc-maçonnerie est
une institution universelle d’orientation
humaniste qui propose la fraternité,
une structure, des outils et un
symbolisme susceptibles de servir à la
taille de la pierre brute et à la recherche
de la lumière. Vue de l’extérieur elle
offre une image d’unité bien qu’elle soit
multiple si l’on considère la diversité
des obédiences et des rites. Ne devraiton
pas dès lors parler plutôt de francsmaçonneries,
au pluriel, en raison de
ses différences nombreuses ? Elles sont
considérables même dans le cadre de
celle dite régulière. Dans ces conditions
il paraît abusif de généraliser le
thème de ce mois et nous préférerons
évoquer l’expérience vécue en particulier
dans notre loge Espérance et Cordialité,
à l’Orient de Lausanne. Nous
nous occuperons alors également de
savoir ce que peut offrir la franc
maçonnerie du Rite Ecossais Ancien et
Accepté à ses jeunes frères.
Dans les «Obligations d’un Franc-
Maçon» de 1723 James Anderson
écrit en substance : «La maçonnerie
devient le centre d’union et le moyen de
nouer une amitié sincère entre les personnes,
qui n’auraient pu
que rester perpétuellement
étrangers». Cette notion
demeure pertinente et la
fraternité reste un pilier
essentiel de la maçonnerie.
Il s’agit d’une fraternité initiatique
car chaque membre
est passé par la cérémonie
de l’initiation pour, après la
mort symbolique, renaître à
vie nouvelle, ou pour le
moins différente.
La fraternité conduit à un
enrichissement individuel,
mais aussi à un humanisme
et à une tolérance orientés
vers l’extérieur, empreints de
valeurs traditionnelles, où
l’on n’est plus seul. Comment
mieux affronter l’adversité
qu’en faisant partie d’un
groupe dans lequel on se sent
libre et qui donne la possibilité
de partager des idées
sans être jugé ?
Une voie vers l’approfondissement
La loge se présente comme un lieu protégé
de l’extérieur, où dans le calme et
un esprit fraternel il nous est possible
de nous rencontrer afin d’entretenir des
liens constructifs. Nous nous trouvons
dans un espace hors du temps, c’est-àdire
à distance de la vie trépidante et
souvent chaotique qui nous
entoure. Ainsi éloigné de l’agitation,
l’endroit est propice à la
réflexion. Nous pouvons y chasser
le surmenage, nous ressourcer,
rééquilibrer nos énergies,
créer de nouvelles amitiés.
La franc-maçonnerie propose
une structure, c’est-à-dire des
repères qui semblent manquer
au dehors. Chacun garde son
indépendance à tout point de
vue mais se doit de respecter les
règlements prescrits par l’atelier
d’une part, l’obédience de
l’autre. Ceux-ci incluent
notamment l’horaire des réunions,
le vestimentaire, les
rituels, les travaux imposés. Ces
dispositions valent dès l’initiation,
quand le nouvel apprenti
fait ses premiers pas «selon les
droits et les devoirs».
Le travail en loge est source
d’enseignements tant exotérique
qu’ésotérique et sa diversité
permet à chacun d’acquérir
des connaissances ou d’ouvrir
une voie vers leur approfondissement.
Toutefois, la maçonnerie
spéculative n’est pas intellectuelle,
son instruction se veut essentiellement
de type traditionnel et fait
appel à un certain nombre de valeurs.
Elle nous rappelle des savoirs perdus. En
effet, plus le temps passe et plus on
oublie des notions fondamentales.
Ainsi le respect de la vie, de la nature
et surtout de l’humain deviennent-ils
cruciaux.
La connaissance de soi-même est primordiale.
Dans ce sens la maçonnerie
fonctionne comme un extraordinaire
outil de développement personnel et
des ressources humaines, mettant à la
disposition des frères, et des jeunes en
particulier, toute une panoplie d’instruments
symboliques utiles pour cheminer
vers la lumière, autrement dit vers
une amélioration individuelle (on taille
sa pierre) et une meilleure intégration
avec ses semblables (construction du
temple de l’humanité). La lumière permet
de voir et surtout de se voir. L’assimilation
des rituels, les séances d’instruction,
ainsi que les discussions élargissent
l’horizon du jeune frère qui dès
lors pourra, en oeuvrant par et sur luimême,
progresser et tracer son chemin.
Libre en paroles et en actions
Le symbolisme représente une
démarche par laquelle on attribue une
signification nouvelle à celle, visible,
que nous connaissons. Les symboles ont
un contenu universel mais aussi individuel.
Plusieurs sens peuvent être
attribués à un même objet comme à un
même événement. L’interprétation de
l’un d’eux sera ainsi un acte cognitif.
Le symbolisme maçonnique encourage
la réflexion qui toujours devrait précéder
l’action. On y apprend à penser au-delà
de ce qui est, et surtout par ses propres
moyens. La thèse, l’antithèse
et la synthèse prennent alors
toute leur importance. Le cabinet
de réflexion, l’injonction
latine vitriol et le fil à plomb
proposent une introspection,
mais, en sus, une méditation
sur la vie et la mort, par conséquent
sur le sens de notre existence.
La règle nous rappelle à
la réalité, l’équerre à la droiture,
le compas à l’ouverture et
au mouvement. En se conformant
à ces principes nous
acquérons une base immuable.
Ces symboles et d’autres sont
disponibles au jeune frère
comme le serait la partition
d’une merveilleuse musique.
Cependant, même en connaissant
le solfège il ne serait pas
évident de la jouer. Notre tâche
consiste alors à insister sur le
développement de chacun.
L’apprentissage est un travail
sur soi accompli avec l’aide de
l’ensemble des frères. Découvrir
ses défauts et relever ses
qualités est important, être
conscient d’avoir un défaut et
le nommer représente le premier
pas vers l’amendement et l’amélioration,
approche bénéfique au jeune
frère qui se ferait corriger vertement
dans le monde profane alors que notre
approche s’imprègne de pacifisme et de
tolérance.
Afin de participer au bon fonctionnement
de notre société nous devons nous
rappeler que les relations entre personnes
seront moins tendues lorsque
l’on sait écouter, respecter, tolérer. Au
cours de son apprentissage le jeune frère
écoute et observe. Plus tard, il devra
continuer à pratiquer ces deux fonctions. Surtout, il devra s’exprimer et agir
en homme libre et réfléchi. Bien que les
métaux gouvernent le monde, la valeur
intrinsèque de l’homme ne change pas
et nous souhaitons la faire apparaître
sans artifices ni maquillage.
Par ailleurs, comme de nos jours le
temps consacré à ce domaine primordial
qu’est la vie de l’esprit est compté,
la maçonnerie peut offrir des moments
privilégiés pour la cultiver. André
Comte-Sponville écrit : «Notre époque
est marquée par un retour à la spiritualité.
Mais l’offre n’est pas au rendezvous,
car nous sommes confrontés à la
crise de la religiosité. Les gens cherchent
donc ailleurs. C’est, peut être, une
chance pour la franc maçonnerie, qui
leur propose une spiritualité laïque».
Notre force est de pouvoir établir la différence
entre nos vrais besoins et les
envies, mais un travail immense est à
consentir pour réussir. Il peut aboutir à
un nouvel être, posé, libre dans ses
paroles et ses actions, détaché des
métaux, tolérant et respectueux,
mieux à l’aise avec lui-même et les
autres, un être accompli et engagé qui
agit selon la devise : Fais ce que tu dois,
advient que pourra.
La maçonnerie est à même de tendre à
ses jeunes récipiendaires la possibilité
d’acquérir les vertus ci-dessus. Elle en
a les moyens de par sa composition et
ce qui la constitue sur les plans rituel
et symbolique. Hélas, elle ne peut et ne
pourra jamais offrir davantage qu’une
possibilité. Le reste dépendra autant du
frère concerné et de sa disposition au
travail, que des maîtres qui l’entourent,
de la façon dont ils agissent et de l’intérêt
qu’ils seront en mesure de susciter.
Sans parler du climat de la loge et
de celui de notre institution en général.
Les jeunes d’aujourd’hui ne voulant pas
d’idées préfabriquées et préférant décider
seuls, notre rôle est de les entourer,
de partager la fraternité, de susciter
leur curiosité et avant tout de leur
montrer un exemple de tolérance et
d’amour. Ainsi seulement pourront-ils
bénéficier pleinement de tout ce que la
franc-maçonnerie leur offre.
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