Thème
Le sens de la vie
en temps de crise
Chaque fois que l'humanité vit une crise
majeure, les hommes éprouvent le
besoin de dépasser leur banalité. Pour
beaucoup d'entre eux, cette situation
est le déclenchement d'un processus de
recherche des tenants et aboutissants
du conflit ainsi que d'une analyse des
conséquences pour lui, sa famille et son
pays.
André Moser – Fidélité et Prudence, Genève (Revue maçonnique suisse: janvier 2010)
Ce qui motive une telle attitude c'est
bien sûr, en premier lieu, la peur de
souffrir et de perdre les acquis sociauxprofessionnels,
puis dans un deuxième
temps la nécessité impérieuse de calmer
la révolte qui gronde dans le for intérieur.
Le sentiment d'injustice est souvent
le moteur qui entretient cette prise
de conscience. Plus il est fort et entretenu,
plus il développe des réactions
contrastées selon le niveau, justement,
de conscience. Au bas de l'échelle
l'homme s'abreuve à la source des idéologies,
de la propagande qui définit les
stéréotypes de la politique dominante.
Au sommet de l'échelle l'homme utilise
sa raison et son esprit critique voire ses
convictions intimes pour définir un
comportement qui tient compte de la
réalité familiale mais aussi de l'évolution
du genre humain. Ces deux attitudes
et toutes celles comprises entre
les deux pôles, pour importantes
qu'elles soient dans la résolution des
tensions psychiques, restent profondément
insuffisantes en regard de la réalité
métaphysique. Il en résulte que
l'homme est insatisfait et qu'il a l'impression
d'être un jouet manipulé par un
chef d'orchestre dont il peut identifier
les gesticulations mais en aucune façon
influencer sa volonté.
Cette impossibilité d'être un acteur de la
réalité du conflit est très frustrante et
amplifie encore la soumission à l'information.
L'enchaînement rapide des faits
non soumis à une critique objective
aveugle en quelque sorte la lucidité, et
développe pour les plus faibles un comportement
défaitiste et pour les plus forts
un besoin d'en découdre le plus rapidement
possible. Ainsi, la nature reprend
vite ses droits puisque nous retrouvons
chaque fois que la peur s'installe l'avènement
des instincts primaires définis par
le couple dominant/dominé. Dans cette
disposition le cercle est fermé puisque
seuls les instincts de survie dictent les
comportements sociologiques. Sans possibilité
de libération par le haut, tout se
passe à l'intérieur du cercle, dans le seul
plan possible, celui où les faits naissent
et meurent à l'infini, sans espoirs d'évolution
et dans un désert spirituel.
Toutes les voies qui enrichissent
À ce stade de l'analyse, en tant que francmaçon
nous devons nous poser la question
du sens de notre quête initiatique en
situation de crise morale et de ses rapports
avec la psychologie, la raison, la vie
et l'Esprit. Etre initié signifie accepter la
voie du sens de la vie par le sens de la
mort. Celle-ci est fondamentalement
distincte de la voie du sens de la vie par
la révélation des dogmes et des sacrements
chrétiens. Ce distingo est fondamental
quant à la compréhension de ce
qui va suivre, et non exclusif puisque
l'initiation maçonnique accepte toutes
les voies qui enrichissent l'acte de transcendance.
Elle part du principe de base
que tout est en nous, y compris l'intentionnalité
primordiale, ce qui bien sûr
laisse ouvertes toutes les possibilités de
recherche. Mais elle présuppose que la
confusion des genres nuit à la lucidité
intérieure, ce qui signifie qu'il faut choisir
une voie principale et si possible s'y tenir.
D'autre part, si le sens de la vie passe par
la quête initiatique maçonnique, elle
demande une exigence supplémentaire
qui consiste à rejeter tout ce qui est
superficiel et non adapté à une quête
d'ordre métaphysique. Il existe en effet
chez l'homme de multiples possibilités de
s'abriter derrière des croyances moralistes
telles que celles de l’idolâtrie du travail,
des progrès techniques et sociaux. Toutes
les actions moralistes accordent aux
actions humaines une valeur en soi, mais
elles ne sont en fait que des artefacts
créés dans le substrat d'une idéologie
dominante, en l'occurrence aujourd'hui le
néo-libéralisme, pour entretenir la confusion
et façonner le libre arbitre vers les
principes de nécessité.
Il en sera ainsi de même pour tous les
idéalismes humanistes. Nous devons
faire très attention à ne pas tomber dans
le piège d'un humanisme athée et matérialiste,
dont la seule fonction est d'attribuer
de l'importance à l'homme pour l'homme, ni dans celui d'un humanisme
théiste dans lequel toutes les actions
sont des actes de reconnaissance envers
le créateur du monde.
La confusion extrême pour l'entendement
humain apparaît lorsque l'humanisme
matérialiste rejoint l'humanisme théiste.
Un exemple de cette attitude est fourni
aujourd'hui par la guerre en Afghanistan
où, au nom de Dieu, on tue et en même
temps on parachute des vivres.
Le paradoxe métaphysique est total
lorsqu'il est vécu dans un idéalisme sentimental.
C'est pourquoi il faut vaincre
avec acharnement tout ce qui nous
sépare du principe universel.
C'est dans ce parcours escarpé, violent,
souvent à la limite de la fracture, qu'apparaît
en point de mire la lucidité intérieure
et la clarté intuitionnelle qui fortifie
notre courage à affronter la réalité
de la dualité.
Dans l'apprentissage de la vie communautaire
maçonnique, le jeune apprenti
vit ce parcours en respectant la loi du
silence. Cela n'est pas anodin car c'est
dans la méditation et la recherche
sublime de sa vérité qu'il peut entrevoir
le reflet de ce qu'il recherche, c'est-à-dire
donner un nom à sa vie et y trouver un
sens. Nommer sa vie c'est découvrir, bien
sûr, une part d'objectivité ; c'est accepter
une potentialité universelle qui éclairera
ses travaux. En dépassant la dualité et en
allant au-delà des notions du Bien et du
Mal, il s'affranchira alors de l'erreur
moraliste qui veut le dissoudre dans la
banalité. Rappelons que le sens de la vie
passe par le sens de la mort, et que le sens
de la mort passe par la quête initiatique
qui développe le discernement.
Au-delà de la banalité
Mais qu'est ce que le discernement ?
C'est avant tout la possibilité de distinguer
le réel de ce qui ne l'est pas. En
maçonnerie il existe deux symboles utiles
dans ce travail, le miroir et l'Etoile flamboyante.
Par cette dernière le maçon
peut espérer se situer dans le monde terrestre,
cosmique et éternel. Le discernement,
à ce stade, est vraiment savoir distinguer
sa réalité dans l’unité. Sur terre
l'on vit dans la dualité et l'on est enfermé
dans une banalité où tout se déroule
indéfiniment et sans but. Dans une telle
situation, comment trouver du sens à
l'histoire des hommes, sans chercher le
sens de la souffrance et quel est le sens
de la souffrance puisque sa limite est
définie par la mort ?
L'Etoile flamboyante nous oblige à regarder
au-delà de la banalité et de la dualité.
Elle exige un choix, et une sorte de jugement
qui est d'accepter profondément
que l'Esprit vivifie et que la lettre tue.
Lorsque ce choix est fait en son âme et
conscience, le discernement s’estompe
puisque l'homme a vaincu la dualité et
qu'il est dans la pure essence. Il se trouve
dans le domaine des potentialités et des
relations. Là, il peut vraiment créer et
redécouvrir sa dimension cosmique et
son amour infini de la lumière.
L'aventure humaine commencée il y a fort
longtemps peut donc se poursuivre dans
l'objectivité, dans cet état particulier de
l’initié qui a accepté le sacrifice symbolique
comme voie de salut et hors de tout
sentimentalisme moral. Ainsi, les guerres
ne seront pour lui que la résultante de la
vanité humaine qui prône la banalité et
l’irresponsabilité. Ainsi, verra-t-il avec
douleur les hommes enfermés dans leurs
dogmes idéologiques rester les esclaves
d’eux-mêmes ? Egalement imaginera-t-il
les initiés armés du glaive de la justice
reconstruire avec l’aide de l’amour une
société où l’harmonie et le bien-vivre
ensemble reflèteront les diversités ethniques
?
Signalons que cette société idéale ne
pourra se réaliser que si l’énergie destructrice,
profondément ancrée dans la
nature humaine se transforme en énergie
reconstructive, à l’instar des réactions
nucléaires dans le soleil qui réchauffe la
terre. Nous comprenons bien qu’une telle
transformation ne peut se faire sans une
éducation adéquate ni sans acceptation
d’un principe universel qui transcende
tous les liens qui fondent la réalité. La préservation
de la liberté de conscience a un
prix et suppose a priori que la règle du jeu
soit connue et respectée de tous, même
si le jeu n’existe plus ou, pire, s’il est en
moi tapi à l’ombre de mon ignorance.
Donner du sens à sa vie
À côté de l'Etoile flamboyante symbolisant
l'Esprit, il y a le miroir qui rappelle l'impérieuse
impossibilité d'agir en haut tant que
l'ego n'a pas été sacrifié. Mais comment
sacrifier l’ego s’il n’existe pas une cohérence
psychique structurant la réalité
duale par la raison ? En maçonnerie, cette
lucidité est nourrie du devoir qui, jaillissant
de la loi morale et de l’éthique des droits
de l’homme, définira pour chacun de nous
le chantier dans lequel nous serons les vrais
constructeurs d’une société nouvelle malgré
les affres de la crise.
Le miroir reflète ce qui unit, mais aussi
ce qui discrimine. Comprendre cette
subtilité revient encore une fois à choisir
entre cela enflammant les coeurs et cela
les assèchant. En effet, rompre le lien
avec la Lumière c'est développer l'orgueil
de la condition humaine, c'est vouloir
magnifier la raison raisonnante et le
veau d'or, c'est à nouveau entretenir le
cycle infernal de la banalité.
Mais lorsque le miroir rassemble ce qui
est épars il révèle une lumière inspiratrice
d’une réalité métaphysique qui enjoint le
franc-maçon, dans le théâtre de la vie
humaine, à ne voir qu'un seul spectateur
dans la salle : sa conscience. Une fois
reconnue et respectée, elle guidera ses
pas et donnera du sens à sa vie quelle que
soit la nature des crises de la société.
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