Thème
Le carré magique
Un carré magique est un carré de nombres
disposés de telle sorte que par le
carré formé, la somme des nombres est,
pour chaque verticale, horizontale, ou
diagonale, la même. On ne sait trop
pour quelle raison le carré de 3 est dit
de Saturne. Néanmoins, celui de 4 est
dit de Jupiter, celui de 5 de Mars, celui
de 6 du Soleil, celui de 7 de Vénus, de
8 de Mercure et de 9 de la Lune ; c’est
ainsi enfin qu’on les nomme.
Le Progrès, Lausanne (Revue maçonnique suisse:
juin/juillet 2010)
Il est vrai que le traité De Occulta Philosophia
(1521) de CornéliusAgrippa exposait
une théorie s’appuyant sur la Kabbale
et mêlant astrologie et carré magique,
attribuant à ce symbole la puissance
de capter, par magie, la vertu des planètes
correspondantes. Le carré magique
devenait par là-même une sorte de sceau
planétaire. Toutefois, en 1526, dans son
traité De l’incertitude, la vanité et l’abus
des sciences le même Cornélius Agrippa
devait renier ses précédents travaux, les
considérant vains et puérils.
Entraînement à la pensée
mathématique
Le carré magique est originaire, comme
il est probable, de Chine où l’onemployait
différents emblèmes à sa réalisation. Par
la suite ce furent les chiffres arabes, aux
Indes - où ils furent i0nventés – que l'on
utilisa. On le retrouva, dès lors, toujours
avec une connotation religieuse, dans de
nombreuses civilisations asiatiques et
indo-européennes. Ce type de construction
mathématique se rencontra aussi
dans les écoles pythagoriciennes. Ce
furent pourtant les Arabes qui au Xe siècle
en usèrent les premiers à des fins de
pures mathématiques. Il devint particulièrement
à lamode en Europe au XVIe et
XVIIe s. Etait-ce, comme Daniel Ligou se
l’est demandé dans son dictionnaire, un
jeu de société ou une lecture géniale de
l’ordre des choses et des structures de la
matière, accessible seulement aux amateurs
de mathématiques, anciens ou
modernes, mathématiciens, physiciens,
alchimistes, numérologues, et autres
mages ? N’avait-il pas été, par naïveté,
confondu avec tel code de lecture
occulte de diverses influences planétaires
ou en était-il réellement un ? On peut
légitimement se demander aujourd’hui
s’il y a une proposition concrète dans le
carré magique autre que celle d’un
entraînement à lapensée mathématique.
L’espritmathématique se développe également
de façon ludique et l’intuition y a
sa place, comme l’exercice mécanique
des facultés. Les mathématiciens le
savent, l’instinct dans le jeu mathématique
est souvent fécond. On ne peut négliger
la dimension poétique de cette science.
Ainsi, par exemple, la théorie des
deux carrés dite «conjecture de Fermat»
énoncée par le mathématicien français
Pierre de Fermat en 1641, n’ayant qu’un
rapport éloigné avec le carré magique,
n’a pu être résolue que trois siècles et
demi plus tard, en 1994, par le mathématicien
anglais Andrew Wiles. Dans cet
intervalle, de nombreux scientifiques, tel Euler au XVIIIe, furent occupés à ce problème.
Leonhard Euler dont les travaux
sur le carré magique font référence puisqu’il
est le premier à mettre en évidence
les difficultés particulières propres à la
réalisation des carrés pairs. Néanmoins,
ces travaux, leurs questions et les réponses
apportées, demeurent le fait de scientifiques
spécialistes et de mathématiciens.
En 1657 Fermat déclarait «À peine
trouve-t-on qui pose des problèmes
purement arithmétiques, ni qui les comprenne.
N’est-ce pas parce que jusqu’ici
l’arithmétique a été traitée géométriquement
plutôt qu’arithmétiquement ?»
En liaison avec notre symbolisme
Par lecarré magique, le plus manifeste est
que nous touchons à l’énigme des
langues chiffrées et des lectures doubles
et triples. L’alphabet maçonnique avec
ses 18 lettres en forme un. Le système de
ce code consiste à tracer, sur un carré de
3, la case correspondante à la lettre envisagée.
Si nécessaire, la seconde lettre est
distinguée par un point, la troisième - s’il
y a lieu - par deux. Ce qui permet évidemment
toutes sortes de spéculations
numériques. Ce mode cryptographique
nous est familier et nous rappelle aussi
divers alphabets codés d’anciens ordres
monastiques et militaires. Cependant, ces
cryptogrammes, plus naïfs que réellement
occultes, doivent nous paraître bien
enfantins en regard des méthodes informatiques
contemporaines utilisées pour
chiffrer les communications des chancelleries
ou des états-majors.
C’est pourtant par là, comme l’écrivait
Oswald Wirth, que le carré magique est
en liaison avec le symbolisme maçonnique
et la planche à tracer. Quant à un
éventuel rapport avec la Kabbale, rappelons
que ce nom signifie, entre de nombreuses
interprétations : compréhension
et transmission. Dès lors on voit mal comment
le carré magique pourrait faciliter
la compréhension de la splendeur divine
et ce qu’il pourrait transmettre d’autre
que le service d’un instrument intellectuel
propre à l’entranement des facultés
mentales de l’homme.
Enfin, une différence possible entre les
scientifiques et les symbolistes dans leur
lecture du carré magique pourrait être
que, ces derniers le considérant comme
une source d’enseignement qui s’appuierait
sur d’anciennes traditions hermétiques,
les premiers n’y trouveraient qu’un
simple outil propre à soutenir leurs travaux.
Les uns et les autres demeurent au
reste sensibles à ses qualités métaphoriques.
Il est donc difficile au néophyte de
considérer le carré magique autrement
que comme une sorte de sodoku archaïque,
sauf à l’envisager comme le symbole
d’une appréhension matérielle originale
de la création. Position subjective rendant
sa lecture infiniment personnelle et
son interprétation essentiellement adaptée
aux sensibilités des chercheurs qui
voudraient bien s’y intéresser.
Fragilité de la pensée humaine
La franc-maçonnerie n’étant pas une
société savante, elle ne peut développer
autrement qu’à titre individuel les connaissances
nécessaires à la compréhension
du domaine mathématique couvert
par le carré magique. La maçonnerie est
une école où toutes les connaissances
humaines, orthodoxes ou dissidentes,
depuis sa fondation jusqu’à nos jours ont
été intégrées ou du moins interprétées.
Elle a toujours puisé à toutes les sources
de savoirs dans un souci de synthèse herméneutique
et elle descend des Lumières
où la preuve par l’acte ou par l’expérimentation
furent les premières conséquences
de l’usage de la Raison. Elle
demeure donc une société «en recherche»
qui questionne plus qu’elle n’apporte de
réponse affirmée.
Peut-être est-elle une des seules confréries,
dumoins l’une des dernières, à offrir
par cette ouverture d’esprit une fraîcheur
de réflexion propre à l’absence de doctrines.
Elle n’accepte en effet aucune
réponse formelle ou certitude hors la
dimension humaniste de sa fraternité.
Sa vertu est sans doute d’avoir en toute
situation continué de poser des questions
tout en restant consciente de la fragilité
de la pensée humaine.
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