Thème
Quelle société
voulons-nous?
En ce début de 21e siècle, la globalisation
des échanges commerciaux et des
systèmes d’informations a profondément
modifié les équilibres socio-économiques
des pays occidentaux et de la
Suisse en particulier. Cela pose-t-il un
vrai défi à la gouvernance du Conseil
fédéral et aux types d’évolution politiques
de notre société démocratique
actuelle ?
AndréMoser-FidélitéetPrudence,Genève (Revue maçonnique suisse:
août/septembre 2010)
Depuis l’instauration de la Constitution
fédérale de 1848 la Suisse vit dans une
relative paix politique et son régime
démocratique reste en parfaite adéquation
avec la déclaration universelle des
droits de l’homme qui stipule dans son
article 21 que «La volonté du peuple est le
fondement de l'autorité des pouvoirs
publics ; cette volonté doit s'exprimer par
des élections honnêtes qui doivent avoir
lieupériodiquement, ausuffrage universel
égal et au vote secret ou suivant une procédure
équivalente assurant la liberté du
vote». D’autre part, le Conseil fédéral a
toujours su s’adapter aux réalités sociétales
si diverses en natures et en faits de la
Suisse ainsi qu’aux nouveaux paradigmes
du capitalisme financier sans toucher aux
droits fondamentaux tels la liberté d’opinion
et de réunion, l’indépendance de la
presse et de la justice.
Pourra-t-il encore longtemps s’adapter
auxprofondesmutations économiques et
écologiques que nous allons inévitablement
subir dans les prochaines décennies
sans réformer ses structures institutionnelles
et, par là même, changer notre
société démocratique ? Pour essayer de
caractériser et de définir cette nouvelle
société en devenir il faut tout d’abord s’intéresser
aux potentialités d’adaptation de
l’homme dans une démocratie politique
directe et de l’évolutiondes valeursdémocratiques
du citoyen de base dans un pays
moins richeoùlemanque des besoins fondamentaux
pourrait générer des inégalités
sociales et salariales .
Faceàundevenir incertain il est important
de rappeler les valeurs de la démocratie
tellesqu’ellesont été introduitespar Jean-
Jacques Rousseau, lephilosophe des libertés
qui affirme que «le citoyen est un être
éminemment politique qui exprime non
pas son intérêt individuel mais l'intérêt
général. Cet intérêt général ne se résume
pas à la somme des volontés particulières
mais la dépasse». Mais aussi par Montesquieu,
Robespierre et Saint-Just parce
qu'ils ont placé au centre du système
démocratique les vertus morales tels la
tolérance et la charité ainsi que les vertus
cardinales et intellectuelles que sont
respectivement le courage, la prudence, la
tempérance et l’intelligence.
L’ensemble de ces vertus ne sont pas
étrangères à la franc-maçonnerie puisque
nous les retrouvons dans nos rituels et
qu’ils participent à l’édification d’une personnalité
maçonnique. Il est donc aisé
d’affirmer que le contenu démocratique
procède de la démarche initiatique.
Une volonté commune de gouverner
ensemble
Alexis de Tocqueville, ce grand érudit de la
société moderne, avait parfaitement
reconnu la démocratie commeun procédé
initiatique inséparable d’un principe
initiatique personnel qui renvoie à l’intuition
démocratique. Une telle démarche
présuppose bien sûr qu’il existe une unité
de la pensée démocratique en quelque
sorte inscrite dans le “surconscient“ du
citoyen qui permet d’appréhender la
démocratie dans sa partie à la fois visible
et métaphysique. C’est donc par l’acceptationd’unprincipeévolutif
et structurant
de l’égalité des conditions associé à une
destinée humaine que le citoyen peut
affronter les contradictions permanentes
de la vie démocratique. En vivant cette
unité par la raison du coeur et avec une
vision utilitariste il est à même de ne pas
se décourager devant les crises naturelles
et par conséquent de faire taire l’histoire
qui dit qu’après la révolution viennent
toujours la terreur et la tyrannie.
C’est encore une fois avec Tocqueville que
l’on trouve une porte de sortie respectueuse
de la réalité démocratique puisqu’il
préfère parler d’«intérêt bien entendu»
plutôt que de la vertu. La défense de la
vertumène naturellement à laguerre tandis
que la pratique d’une «doctrine peu
haute, mais claire et sûre» qui «ne cherche
pas à atteindre de grands objets ; mais qui
atteint sans trop d’effort tous ceux auxquels
elle vise….»mèneàune coexistence
pacifique et consensuelle d’une communauté,
bien sûr, rarement éblouissante
mais toujours respectueusedes intérêtsde
tous.
Ne retrouvons-nous pas dans ces principes
de Tocqueville la confirmation que ce
qui est important n’est point dans l’affirmation
péremptoire d’une certitude dogmatique
aussi vertueuse soit-elle mais la continuation du processus démocratique
avec sa capacité de transmission des
valeurs dans l’intérêt de tous.
«Connaître, craindre et espérer» sont les
mots qu’utilise le philosophe pour donner
du sens au processus initiatique mais aussi
pour mettre en évidence que les principes
démocratiques peuvent se renverser en
leur contraire et conduire au paradoxe.
Liberté et esclavage ne sont pas très loin,
d’où l’extrême prudence que nous
devons tous avoir dans la sublimation
du mot liberté puisqu’elle
n’est jamais donnée et resteàconquérir
tout au long de sa vie. La
démocratie est par nature un processus
historique, elle est donc
naturellement en crise perpétuelle.
La franc-maçonnerie, laboratoire
du contenu démocratique, ne participe
pas du processus historique
puisqu’elle défend une méthode
initiatique basée sur la tradition.
Elle est donc génératrice d’un contenu
politique qui organise une
manière d’être, de penser et de se
comporter. Elle prépare donc à la
citoyenneté non pas dans la passivité
mais pour gouverner. Elle
pratique l’Art Royal non pas par l’exaltation
des vertus aristocratiques de l’Ancien
Régime, mais par celles de la démocratie
respectueuse à la fois des diversités et des
caractères, toutefois dans le respect
absolu d’une règle qui, comme l’affirme
Kant, transcende toutes les différences et
devient l’universel de tous. Le centre de
l’union est donc la règle. Elle n’est point un
dogme mais exprime une volonté commune
de gouverner ensemble afin de rassembler
ce qui est épars.
Confiance dans le processus démocratique
En période de crise de la démocratie, chacundenous
peut sedemander si l’accomplissement
de l’homme ne se retrouve pas
dans ses contradictions et sonmanque de
confiance dans l’avenir du genre humain.
Les contradictions de l’enchantement de
l’idéal démocratique procèdent des fractures
du monde social et politique, mais
aussi des questions de religionet de liberté
qui peuvent faire douter du bien-fondé
démocratique. Une réponse positive est à
trouver dans les pays anglo-saxons où la
métaphysique du bien-vivre ensemble
démocratique résulte d’un pragmatisme
utilitariste issu du 19e siècle et initié par
Jeremy Bentham. C’est grâce à ce processus
que la religionne fut pas combattue et
participaenquelque sorteaumaintiendes
institutions démocratiques. Ce fut aussi
une tentative de traduire rationnellement
le commandement «Aime ton prochain
comme toi-même» et de donner une définition
rationnelle de l’altruisme, ciment de
la construction de l’Etat moderne et égalitaire.
En France et en Suisse, la liberté
dans ladémocratie estnéeducombat contre
les religions. Elle a donné naissance à
la laïcité qui autorise toutes les religions et
les croyances dans lamesure du droitmais
a amoindri considérablement la foi publique
dans les institutions démocratiques.
Ce déficit de métaphysique est la principale
cause de l’affaiblissement et de la
confiance dans le processusdémocratique.
Altérité et respect mutuel
membre de la loge Akazia de Winterthour,
Grand Orateur de la Grande Loge Suisse
Alpina en 1844 puis, quatre années plus
tard, premier président de la Confédération
helvétique a participé à la rédaction
de la Constitution fédérale de 1848. Nous
lisons dans le préambulede laConstitution
toute la quintessence de l’esprit de Tocqueville
et des valeurs maçonniques. Jonas
Furrer avait en quelque sorteparfaitement
compris que la foi démocratique doit être
vivifiée ad Vitam Aeternam dans la Constitution
fédérale afin de palier aux crises
inévitables du processus historique démocratique.
Nous trouvons dans le préambule
troisphrasesd’inspirationmaçonnique qui
sont les suivantes: «Au nom de
Dieu Tout Puissant» rappelle l’importance
du Grand Architecte de
l'Univers et de la composante
métaphysique de la démocratie.
«Déterminés à vivre ensemble
leurs diversités dans le respect de
l’autre et l’équité» qui enjoint les
citoyens à vivre comme des
initiés. «Sachant que seul est libre
qui usedesa libertéetque la force
de la communauté se mesure au
bien-être du plus faible de ses
membres» qui propose de vivre
ensembleselon lespréceptes de la
chaîne d’union. Enfin, pour couronner
le tout le Conseil fédéral
est composé de sept membres, ce
qui le relie analogiquement à une
loge maçonnique juste et parfaite. Nous
sommes, en Suisse, des privilégiés puisque
nous n’avons pas à nous poser la question
: «Quel type de foi est-il possible d’envisager
à l’intérieur de la condition démocratique
». Nous la connaissons puisqu’elle se
nourrit d’altérité, de respect de l’autre et
des diversités ethniques, de dialectiques
constructives au service des équilibres
sociaux et politiques. En période de crise
la tentation est très forte de vouloir réformermais
si la réforme consiste à faire disparaître
la démocratie métaphysique c’est
commevouloirpenser la foi sans lareligion
ou la démarche initiatique sans les rituels,
c’est une façonde séculariser l’idéalmétaphysique
de la démocratie. Le voulonsnous
vraiment ? Ecoutons encore Alexis de
Tocqueville qui en quelque sorte nous met
en garde contre les réformes : «J’ai pensé
que beaucoup se chargeraient d’annoncer
les biens nouveaux que l’égalité promet
aux hommes, mais que peu oseraient
signaler de loin les périls dont elle les
menace».
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