Les questions de l’absentéisme et de la relève maçonniques vont de pair puisque toutes deux sont liées au fonctionnement d’une loge. S’il existait une solution miracle pour l’une et l’autre de ces réalités nous le saurions depuis longtemps. En attendant, mieux vaut en débattre plutôt que d’observer le silence.
Jacques Tornay
Certains secrétaires notent le nombre des
absences à chaque réunion afin d’établir, à la
fin de l’année, le taux de participation aux
travaux et d’y remédier au besoin. Au cours de
discussions que l’on peut avoir entre Frères de
différents ateliers il apparaît que la tendance
à l’absentéisme augmente dans nos régions,
phénomène qui serait accentué au sein des loges
numériquement importantes. Que penser par
exemple lorsqu’une cérémonie d’initiation attire
à peine la moitié d’un effectif, ou qu’une tenue
funèbre réunit une douzaine de participants ?
Des Vénérables Maîtres en Chaire pensent de
ne pas faire l’unanimité autour d’eux si le
temple est clairsemé. La situation ne leur est
en rien imputable et l’on constate des chaises
vides ailleurs aussi. En ces moments-là les
visiteurs sont doublement les bienvenus. La
diminution n’est pas générale, il est des loges
qui affichent régulièrement une fréquentation de
80 % et plus. Toujours est-il, on doit
s’interroger sur le manque d’assiduité, qui est
d’abord une entorse au serment prêté lors de sa
réception. Chacun a ses raisons d’être absent.
Passons sur les cas de force majeure et sur ceux
d’entre nous âgés ou diminués dans leur santé
qui ne sortent plus le soir. Saluons ici
l’initiative de Lux Post Meridiem, à Genève, qui
depuis longtemps organise des réunions dans
l’après-midi pour les intéressés, avec un
service de transport. À notre connaissance il
s’agit d’une formule pionnière dans notre pays
et l’on s’étonne qu’elle n’ait pas été adoptée
dans d’autres villes.
Savoir répondre aux envies
Certains se font trop rares voire
s’abstiennent de s’excuser ou de revenir à
l’atelier. Un tête-à-tête fraternel les incitent
parfois à renouer avec la Chaîne d’Union.
D’autres fois, non. Les années passent et
celui-ci ou celui- là se présente à nouveau,
comme un vagabond égaré de nuit dans la campagne
aperçoit soudain la lumière d’une auberge. Ceux
qui semblent avoir définitivement rompu le lien
malgré les approches qui lui sont faites, ses
Frères se demandent alors s’il faut s’en séparer
pour clarifier la situation ou attendre encore.
Alertée du fait, la Grande Loge Suisse Alpina
proposait jadis aux loges de plancher sur les
moyens de rendre une loge véritablement
attrayante. Ne nous leurrons pas cependant, le
plus passionnant des programmes n’y fera rien si
le désir n’est pas au rendez-vous. Nous vivons,
il est vrai, une époque où les sollicitations et
obligations abondent plus que jamais. Il faut
choisir lesquelles nous sont prioritaires. De
par son élément initiatique la franc-maçonnerie
n’est pas une société comme les autres et s’y
engager n’est pas non plus une décision comme
une autre. Concernant la relève, comme s’en
inquiète Michel Zufferey, d’Evolutia « le nombre
des membres de notre obédience diminue ». Il
indique toutefois qu’une vraie demande existe. À
nous tous d’oeuvrer pour répondre aux envies de
nous rejoindre en tenant compte des réalités.
L’une d’elles est le paradoxe démographique :
nos effectifs actuels sont composés pour une
large part de grandes classes vieillissantes,
nées dans l’immédiat après-guerre. Malgré
l’immigration grandissante, relativement peu de
Suisses de parents naturalisés ont frappé à la
porte du temple. L’avenir peut-être démentira
les pronostics pessimistes que nous pourrions
formuler.
Susciter l’intérêt dans une perspective
durable
Depuis 2005 la Grande Loge Unie d’Angleterre
a instauré un « Universities Scheme », programme
à l’intention des étudiants poursuivant un
cursus universitaire susceptibles de
s’intéresser à la franc-maçonnerie. Le plan est
ambitieux et amplement détaillé par les
organisateurs. Des conférences et rencontres
sont mises sur pied en temps et lieux voulus.
Plus de 40 loges participent aujourd’hui à ce
projet démarré à Oxford et à Cambridge.
Le Canadien Aslan Sarkissian se pose la
question de ce qui attire les jeunes dans la
maçonnerie et, une fois admis, comment les y
garder. « La première approche est souvent
décisive. L’enquêteur doit tenir au candidat un
langage ouvert, parler de sa propre expérience,
lui communiquer de l’enthousiasme. Les visites
d’autres loges sont primordiales. »
Restons au pays de l’érable. Dans le magazine
The Alberta Freemason les plumes conjointes de
Brian Shimmons et de Sam Moore nous présentent
le programme Comely. Il s’agit d’un réseau qui
aide les loges à maintenir le lien entre Frères
dispersés, surtout ceux n’ayant pas donné signe
de vie depuis au moins un an. Sont proposés des
pique-niques en famille, des parties de golf et
autres rencontres amicales destinées à relancer
le maçon « désactivé ». Les appels produisent
leurs effets. « Plus l’action est à grande
échelle, plus les résultats sont probants ».
Des actes pour relancer la machine
Auteur d’un essai sur la franc-maçonnerie
dans le monde moderne, l’Américain Cameron
MacKay relève que bien des officiers de Grande
Loge s’alarment d’un « déclin sans précédent »
de notre fraternité aux USA. Certains prévoient
même son extinction. MacKay souligne qu’aucun
des efforts entrepris ces deux dernières
décennies pour expliquer la maçonnerie au public
américain n’a eu les effets escomptés, pas
davantage qu’ils n’ont atténué les critiques. Il
préconise une image volontariste de notre ordre,
clairement axée sur la promotion d’une société
plus juste dans un monde meilleur et la mise en
avant de nos principes afin qu’ils influent sur
l’agenda politique. « Nous sommes détachés du
monde profane autant que peut l’être un
monastère bouddhiste », écrit-il.
Autre point : Washington envisage d’augmenter
la transparence des organisations caritatives et
l’essayiste se demande dans quelle mesure les
maçons en seront affectés. Sur le plan interne
il prône une réduction des structures
maçonniques surabondantes aux Etats-Unis. « Leur
rationalisation permettrait d’optimiser les
énergies et les fonds de bienfaisance pour
gagner en efficacité et mieux cibler les
objectifs à atteindre ».
Créé en 1801 à Charleston, le Rite écossais
américain réunit plus de 500'000 membres sur le
territoire de l’Union, dont la moyenne d’âge est
de 60 ans. Alex Massie évoque leur
sponsorisation d’une célèbre course de voitures,
sans que cela ne leur ait coûté un centime. La
maçonnerie s’est ainsi profilée auprès de la
jeunesse. Terminons sur une note lyrique pour
souligner que le « Scottish Rite » abrite une
série exceptionnelle de poèmes manuscrits signés
Robert Burns.