Dossier
L’antimaçonnisme : une réalité des plus actuelles
Laissons à la porte les bulles papales condamnant la franc-maçonnerie, les lois et décrets gouvernementaux allant dans le même sens. Oublions pour un temps les abbé Barruel et autres Léo Taxil. L’antimaçonnisme n’appartient pas qu’au passé, il est plus que jamais d’actualité. Présent ici et maintenant.
Jacques Tornay
C’est une réalité contemporaine qui prend une
ampleur et des formes dont il importe de saisir
la mesure. Historiquement, on distingue deux
types d’antimaçonnisme : 1 ) l’accusation de
menées subversives contre la religion, donc de
satanisme. 2 ) L’accusation de manipulation
politique et sociale. Ce double courant n’a
cessé d’alimenter une sourde animosité à
l’encontre de notre institution, jusqu’à des
conflits idéologiques ouverts et sans merci.
Plus souvent qu’à leur tour, les ultramontains
sont montés en première ligne.
En 2014, l’intégrisme ecclésiastique et les
milieux nationalistes, ennemis traditionnels de
la maçonnerie, sont appuyés par d’autres
mouvements non moins militants. L’un d’eux,
informel dans sa structure, est celui des
anticonspirationnistes qui par l’internet et
autres moyens de communication s’est rapidement
étendu à l’échelle planétaire et témoigne d’un
impact considérable, surtout auprès des jeunes
en quête d’explications faciles. Ils raniment la
théorie éculée selon laquelle depuis les temps
les plus lointains des personnages occultes
tenteraient secrètement de dominer le monde.
Tout leur est prétexte à élaborer des thèses,
ils décèlent un complot derrière chaque
événement de l’actualité. Ainsi, dans nos villes,
une représentation ou un monument un tant soit
peu ésotérique serait la preuve d’une mainmise
maçonnique, par exemple l’obélisque ou des
géométries de l’Egypte ancienne, symboles
étrangers à nos enseignements. Ces activistes
n’ont pas de credo politique affirmé, ce qui
leur permet d’incriminer l’ensemble des partis.
Une inquiétante complaisance
Cette configuration se focalise sur les
Illuminati. Or, cette association créée au 18e
siècle par Adam Weishaupt sous l’appellation des
« Illuminés de Bavière » ne figure pas au
programme des loges, même si calquée plus ou
moins sur des principes semblables aux nôtres, à
l’instar d’autres sociétés. Toutefois, l’Art
Royal n’est pas leur seule cible. En vrac, ces
groupes fustigent avec une pareille véhémence
les têtes couronnées, la famille Rothschild et
leurs pairs, le fameux groupe Bilderberg, le
nouvel ordre mondial. Sur certains sites on lit
d’ahurissants montages intellectuels basés sur
l’Ancien Testament pour dénigrer le peuple
hébreux. Antimaçonnisme et antisémitisme vont
fréquemment de concert, le second pouvant se
camoufler sous la lutte contre le sionisme.
Citons Philippe Pétain : « Un juif n’est jamais
responsable de ses origines, un franc-maçon
l’est toujours de son choix ». Il n’est pas rare
non plus que les anticonspirationnistes soient
d’une inquiétante complaisance à l’égard de
l’islamisme. Ceci explique peutêtre cela.
Ne nous leurrons pas, au-delà de la
franc-maçonnerie ce sont les valeurs des droits
de l’homme, de la libre expression et du respect
de tous nos semblables que visent nos
détracteurs. À ce titre nous avons, chacun, un
devoir de vigilance à observer.
La situation se dégrade
Préoccupantes aussi sont les déprédations
auxquelles on assiste depuis quelques années. La
plus récente d’entre elles qui nous est connue a
eu lieu le 28 septembre dernier, à Paris, avec
l’inscription « Non à la République maçonnique »
devant le siège de la Grande Loge de France.
Cela pendant qu’à l’intérieur dubâtiment
l’obédience donnait son dîner annuel en présence
d’invités de marque des sphères politique et
culturelle. N’a-t-on pas vu, durant l’été, un
graffiti ordurier sur un mur en ville de
Lausanne ? Désormais, on affiche impunément de
pareils slogans dans l’espace public. Guette le
danger de la banalisation. D’aucuns diront :
tout passe, tout lasse. À voir. Par ailleurs,
quand des magazines à grand tirage, et qui
entendent l’augmenter, comme Le Nouvel
Observateur titrant en couverture « Ces
francs-maçons qui nous gouvernent » ou Le Point
« François Hollande et ses francsmaçons » ne
court-on pas le risque d’attiser la méfiance ou
de confirmer les présomptions du citoyen lambda
? La question reste posée.
Au cours de leur histoire les francsmaçons
auront ignoré le plus souvent les attaques
portées contre eux. Le silence est une arme à
double tranchant. D’une part, ceux d’en face
invoqueront l’adage « qui ne dit mot consent »,
quitte à nourrir plus de fantasmes encore.
D’autre part, répondre se résume presque
invariablement à un dialogue de sourds. Quel que
soit l’argument avancé, il sera réfuté ; il
apportera même de l’eau à leur moulin. Ce qui
leur importe n’est pas la réalité objective,
mais ce dont ils sont convaincus. Aussi
longtemps qu’une action ou des propos ne tombent
pas sous le coup de la loi on ne peut s’opposer
à des idées que sur le plan moral. Il serait
contradictoire que les francs-maçons, attachés
aux libertés de presse et de conscience,
deviennent des censeurs... Il nous appartient
néanmoins de relever le défi d’informer et
d’instruire.
Négation des fondamentaux
Si la maçonnerie a quelque influence dans la
marche du monde, elle est sans commune mesure
avec celle que lui prête les antis. Ceux-ci, en
revanche, nient ses dimensions spirituelle et
philosophique, ou les détournent à leur profit.
Ils n’ont cure de la démarche d’introspection,
du travail sur soi à la base de l’engagement du
maçon, et de ses ouvrages dans la société civile.
Cela étant, il serait profitable de tempérer
certaines discussions byzantines sur la
régularité et son contraire car pour ceux
décidés à nous balayer du paysage, telle
obédience ou telle autre c’est bonnet blanc et
blanc bonnet. Comme l’affirmait il y a peu Roger
Dachez dans ce magazine, il convient de «nous
respecter mutuellement dans nos différences».
|
|