Dossier
Le parrainage : d’abord une mission de confiance
À la définition du mot « parrain » nos dictionnaires débutent invariablement par la référence à celui qui tient un enfant sur les fonts baptismaux et dans certains cas lui impose un nom. Issu du latin pater, le terme indique bien une filiation de père spirituel, soit la personne qui promet d’assumer une responsabilité envers un filleul pour une durée déterminée, peut-être sa vie entière.
Jacques Tornay
L’origine la plus ancienne de la fonction de
parrainage qui nous soit connue en Europe
remonte au deuxième siècle de notre ère, dans le
cadre du christianisme naissant. Elle a donc un
ancrage religieux, tout en étant officialisée
par la loi civile. Selon celle-ci, le parrain
intervient d’abord lors du baptême d’un ou de
plusieurs enfants. Il participe à la préparation
de la cérémonie. Une notion de privilège mais
également de servitude est attachée à
l’engagement qu’il prend vis-à-vis des parents,
et de l’autorité ecclésiastique, de subvenir aux
besoins de leur progéniture si eux-mêmes ne
pouvaient s’en charger. Certains textes parlent
d’un « type d’impôt bénévole accordé à la
famille du couple ». Au fil des époques le
parrainage a connu quelques modifications de
forme, sans altérer toutefois l’objectif initial
visant à renforcer un climat de foi autour du
filleul. La présence du parrain ou de la
marraine, fréquemment des deux, élargit d’un
même mouvement le cercle familial et celui de la
congrégation des fidèles. Cela vaut pour les
différentes dénominations chrétiennes.
Un lien d’obligation protectrice
Il en va autrement au sein du judaïsme où le
parrain, soit le sandaq, a principalement pour
tache de tenir le nouveauné lors du rituel de la
circoncision. Près des officiants, un fauteuil
est laissé vide : celui censé être occupé par
Elie le prophète. L’Ancien Testament ne fait
aucune mention d’un quelconque parrain, tout au
moins dans le sens où nous l’entendons ici.
Pareil dans les écrits de l’islam. Les croyants
évoqueront éventuellement un « parrain de coeur
». Pour l’une et l’autre de ces deux religions
du Livre il n’y a pas de lien d’obligation
protectrice d’une personne à l’égard d’un
enfant, ou d’un adulte prêt à se convertir. Si,
devenu orphelin ou affligé de géniteurs
irresponsables, un jeune être se trouvait dans
le dénuement, la communautéspirituelle concernée
s’occupait alors de lui. Pour le reste, juifs et
musulmans s’accordent à considérer Dieu Luimême
comme le seul parrain qui vaille. Dans la
chevalerie médiévale aussi, un parrain était de
rigueur. On accédait au titre de chevalier du
roi en trois étapes distinctes, ainsi qu’en
francmaçonnerie. Il fallait au préalable avoir
été page puis écuyer. Dès que le marmot
atteignait l’âge de sept ans, son père le
confiait à un membre avisé du clan ou à un ami
sûr qui devenait aussitôt son parrain. Dans le
château de ce dernier, sous sa férule, le
néophyte suivait la formation inhérente à son
degré. Vers treize ans il passait écuyer s’il en
était jugé apte. Enfin, toujours d’après les
mérites acquis par l’intéressé, il était procédé
à la cérémonie de l’adoubement au cours de
laquelle le parrain remettait au futur chevalier
les armoiries de son lignage, emblème qu’il
défendrait au prix de son sang. Il
l’introduisait aux conditions de son nouvel état
dans les faits et dans l’esprit grâce à une «
adoption par les armes ». Le récipiendaire
recevait l’épée portée par un prédécesseur, il y
avait par conséquent transmission d’une valeur
combative destinée non seulement à être
maintenue mais encore exercée avec un zèle accru
où que l’adoubé serait appelé à servir. Le
parrain avait soin de sermonner son protégé sur
les défis qui l’attendaient, comment il devait
se montrer à la hauteur des situations les plus
hasardeuses. Le cérémonial différait selon les
pays, les périodes, quoique dans une mesure peu
significative compte tenu des règles communément
admises dans les monarchies européennes. Un
passage du roman Tristan et Iseut, transcrit en
français moderne par le philologue Joseph Bédier,
nous apprend en quoi consistait cet
apprentissage. Il était recommandé au novice de
« fuir l’oisiveté, mère des vices » et en même
temps d’acquérir « les usages de la courtoisie
et les vertus requises au franc homme : honneur,
fidélité, hardiesse, débonnaireté, démener
grande largesse, parler avec mesure, ne blâmer
personne à la légère, éviter les fous (...) ».
Somme toute, des préceptes assez proches de
notre Code maçonnique.
Il ne suffisait pas, pour devenir chevalier,
de prouver sa bravoure et déployer de grands
principes. Il fallait être de riche naissance,
faire valoir une généalogie seigneuriale. Nous
sommes loin des justiciers romanesques imaginés
par l’Ecossais Walter Scott, initié franc-maçon
en 1801 à la loge
« Saint-Davi », le plus célèbre d’entre eux
étant bien sûr Ivanhoé. Dans La Divine Comédie
Dante Alighieri implore : « Chevalerie du ciel
que je contemple, fais oraison pour ceux qui
sont sur terre ».
Ni plus ni moins qu’un guide
Si l’on considère le parrain comme un garant,
une caution, un soutien, un conseiller, un
mentor et un passeur, il réunit l’ensemble de
ces qualités en étant un guide. Ni plus ni moins.
Son expérience autorise son influence. La
littérature abonde en exemples de personnages
qui se donnent pour mission d’éclairer un adepte
dans une voie dont il ignore l’ABC. Une oeuvre
parmi les plus saisissantes d’une telle relation
est sans conteste La Divine Comédie. Dante (
1265-1321 ) choisit d’être conduit par Virgile (
70-19 avant J.-C. ) pour découvrir un univers
composé de trois parties : l’Enfer, le
Purgatoire, et le Paradis, chacune d’elles
composée de 33 chants. Virgile, qui symbolise la
raison humaine, entend dévoiler à son ami le
bonheur terrestre. Il l’emmène jusqu’au seuil du
paradis seulement. Là, Béatrice prend la relève
et devient son second guide, cette fois vers la
vérité révélée, le séjour supérieur où règne la
félicité parfaite, soit la béatitude ou
Béatrice. Le livre permet au moins trois niveaux
de lecture : philosophique, ésotérique et
politique. Plus que tout autre chose il nous
emporte par la beauté de sa langue, qui agit dès
les premiers mots : « Nel mezzo del cammin di
nostra vita (...) » - « Au milieu de la course
de notre vie (...) ». À propos, les grandes
créations artistiques ne seraient-elles pas des
sortes de parrains de la sensibilité aidant à
développer une certaine noblesse de l’esprit ?
«La Grande Loge Suisse Alpina attache une
importance primordiale à la mission que le
Parrain doit exercer. » GLSA – Guide du Parrain
Le dictionnaire Littré est le plus complet
dans sa définition du parrain. Il précise : « En
général, celui qui présente quelqu’un dans un
cercle, dans une société savante, etc. ».
Curieusement, la plupart des ouvrages
maçonniques ne mentionnent pas le parrain, ou
lui consacrent à peine quelques lignes, en
passant. Pourtant, sans lui il n’est pas
d’admission envisageable au sein d’une loge.
Certes, il doit posséder les dispositions
requises à l’exercice de son mandat et d’abord
être fidèle à son atelier. On voit cependant des
maçons à l’assiduité fléchissante reprendre goût
aux travaux sitôt investis d’une responsabilité.
À l’automne 1993 la GLSA publiait un opuscule,
toujours en vigueur, intitulé Guide du Parrain.
S’y trouvait noir sur blanc tout ce qu’il faut
savoir, et faire, en l’occurrence. La dernière
phrase stipulait que « la conscience avec
laquelle chaque Parrain s’acquittera de toutes
ses tâches est en effet déterminante pour
l’avenir de la Franc-Maçonnerie ». C’est dire
l’importance d’une orientation juste.
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