Dossier
« Je vais jusqu’au fond des choses »
Durant ses études scolaires, il s’est découvert une fascination pour les minéraux. Par la suite, cette fascination l’a amené à s’intéresser aux travaux d’alchimie effectués en laboratoire. Plus le temps passait, plus sa passion pour ce domaine éminemment attachant augmentait. Le F\ Martin Hugentobler nous permet d’accéder à un monde offrant de nombreux parallèles avec la Franc-Maçonnerie. Au cours de l’interview résultant de cet intérêt, il se vit bien évidemment confronté à la question : Es-tu à même de fabriquer de l’or ?
Thomas Müller : F\ Martin, vois-tu
des liens entre ta vie profane et l’alchimie ?
Martin Hugentobler : Oui. Pour être à même
d’exercer le métier d’agriculteur, il est
indispensable d’observer la nature. La culture
des champs constitue de plus un symbole de
l’alchimie. Tout ce qui se produit dans le
laboratoire n’est que le modèle de ce qui se
produit en grand dans la nature. Ainsi l’hiver
est un symbole du cycle de la mort et de la
renaissance. De façon parfaitement analogue,
nous « tuons » la matière par les lois de
l’alchimie pour faire renaître de celle-ci
quelque chose de nouveau. Quel que soit le
processus mis en œuvre, son but ultime est de
nous faire comprendre ce qu’est la « juste
mesure ». Cette finalité se retrouve également
dans la pédagogie. On doit donner à l’élève le
cadre précis dont il a besoin. Pour
parvenir à ce but, il est nécessaire d’élargir
ou de rétrécir ce cadre. Ce cadre est-il trop
large, l’homme s’y perd, est-il trop étroit, il
s’y sent écrasé.
T.M. : Comment as-tu accédé à
l’alchimie ?
M.H. : J’ai commencé à collectionner des
minéraux à l’école primaire. Je possédais une
pyrite à l’intérieur de laquelle quelque chose
brillait qui ressemblait à de l’or. Ceci m’a
amené à la conviction que les métaux pouvaient
prendre naissance dans une roche-mère, ce qui
était, ainsi que mes études ultérieures me le
confirmèrent, une conception alchimique. À l’âge
de17 ans, je me suis mis à lire tous les
ouvrages d’alchimie qui me tombèrent entre les
mains, entre autres ceux du psycho-analyste
Herbert Silberer, un érudit ayant exercé une
influence considérable sur C.G. Jung. Au début,
je n’y ai rien compris. C’était pour moi comme
une nouvelle langue, truffée de mots inconnus.
C’est ainsi qu’a débuté mon chemin spirituel.
J’ai immédiatement compris que je devais
commencer par mon épuration personnelle avant de
songer à obtenir quoi que ce soit dans mon
laboratoire.
Et comment s’est développée ta
formation ?
M.H. : J’ai effectué mes premières
expériences en 2004. Mes premiers contacts avec
la spagyrie datent de 2005. Sous ce terme, on
comprend aujourd’hui la mise en œuvre
pharmaceutique et thérapeutique de l’alchimie.
Il faut dire que pour les précurseurs – les
anciens savants, spagyrie et alchimie
représentaient le même concept. Puis vint la
définition des métaux et des minéraux. Mon
patron à cette époque s’intéressait lui aussi à
l’alchimie et m’autorisa à installer un
laboratoire dans le cadre de l’institution qui
m’occupait. Ceci m’a permis de pratiquer 24
heures sur24, 7 jours par semaine l’alchimie
opérative. C’est ainsi que j’ai pu rassembler
une somme considérable d’expériences
pratiques : je travaille maintenant dans mon
propre laboratoire.
T. M. : À part toi, existe-t-il de
par le monde d’autres alchimistes ?
M.H. : Il ne me vient pas à l’idée de
m’attribuer le titre d’alchimiste. Mas mes amis
dans l’art me considèrent comme tel (sourires).
La plupart des alchimistes actuels cachent cette
qualité. Malheureusement, les profanes vivant de
nos jours deviennent de plus en plus insistants
et exigent la connaissance de « recettes ». Il a
toujours existé et il existe de nos jours encore
des farfelus qui n’ont rien perdu de leur
assiduité à percer nos secrets. Et il est
essentiel de préciser que, même si un quidam
affirme être entré en possession de « recettes »,
il ne possède encore rien de concret. Ce n’est
que lorsque ce quidam aura effectué un travail
en laboratoire et aura ainsi pénétré les
prémices de la pensée alchimique qu’il en
comprendra tous les tenants et aboutissants.
Dans le domaine de la spagyrie, je suis mon
proche chemin, conforme au cheminement
traditionnel. A la fin d chaque processus
constituant ce cheminement,il se produit dans
l’éprouvette la fusion des principes
philosophiques que sont le mercure, le soufre
et le sel réunis dans l’éprouvette de verre. Ces
quatre éléments sont alors en équilibre et, de
ce fait, visibles. C’est ainsi que je
parviens à la racine même des phénomènes que
j’étudie.
T.M. : Comment peut-on se faire une
idée de ton laboratoire et de ce qu’il
représente ?
M.H. Ces derniers temps, je vis
essentiellement en Italie où je possède un
laboratoire couvert placé à l’extérieur de la
maison. Les émanations présentant un danger,
comme par exemple le vif-argent ou les odeurs
désagréables, telles l’urine, peuvent se
dissiper plus rapidement. Mon outillage, parmi
d’autres objets, comprend une forge, un
distillateur, un athanor, un bain-marie et
toutes sortes d’instruments destinés à mesurer
la température ainsi qu’un pélican, soit un
récipient à deux vases permettant la
circulation des liquides.
T, M. Quels sont les processus que tu
utilises ?
M.H. : Les principaux sont la calcination (soit
la transformation en cendres), la distillation,
la putréfaction (ou fermentation) ou la
coagulation (réunion des éléments).
T.M. : Et comment te procures-tu les
matériaux que tu utilises ?
M.H. : La plupart d’entre eux sont faciles à
se procurer. En ce qui concerne les minéraux
rares, je m’adresse à un intermédiaire actif sur
le marché des minéraux.
T.M. : Nous avons déjà abordé le
problème de tes relations avec la nature. Il me
semble qu’il s’agit là d’un point central de ton
activité. Peux-tu nous en dire plus sur les
rapports que tu entretiens avec elle ?
M.H. : On ne peut rien enlever à la nature.
Il est de beaucoup plus important de s’y
intégrer, de l’observer avec une attention
minutieuse. On peut dire que l’alchimiste
travaille dans un triangle. Celui-ci est
constitué par la nature, le laboratoire et par
l’intervenant lui-même. Il y a lieu de
développer sa modestie, son humilité, de se
soumettre à la nature. C’est une question de vie
et de mort. Seule cette attitude permet
d’accéder à la connaissance, à la science.
Celles-ci ne concernent cependant toujours que
des objets ayant une existence propre, mais
dépassent cependant celle-là. Un exemple de
cette évolution nous est donné par le vitriol.
Celui-ci peut en effet séparer, mais également
lier (solve et coagula) : Il s’agit là de deux
processus jouant également un rôle important
dans la psyché humaine. Chaque fois qu’il est
question de relations ou de devoirs, l’équilibre
entre la séparation ou la liaison, entre
accepter ou refuser joue un rôle essentiel.
T.M. : Tu as mentionné le thème de
l’école de vie. Sur ce plan, existe-t-il des
parallèles entre l’alchimie et la Franc-Maçonnerie ?
M.H. : Oui, et ils sont même nombreux. J’ai
déjà évoqué de manière générale la mort
symbolique. Sur le plan concret, il y a lieu de
mentionner à ce propos le cabinet de réflexion.
Sa couleur noire correspond à celle de la
« prima materia ». C’est aussi la couleur d’une
variété de minerai de fer. Avec celui-ci, il est
possible de réaliser des marteaux et des ciseaux..
La pierre taillée fait penser à la pierre
chimique du Sage. Le marteau et le ciseau sont
les outils indispensables à la réalisation de
l’une comme de l’autre. Un parallèle existe
encore entre l’alchimie et la Franc-Maçonnerie,
à savoir que, dans les deux cas, il y a lieu de
distinguer entre la préparation du candidat et
le Travail au Temple.
T.M. : Et, pour terminer, la question
que tu attendais certainement : es-tu capable
de fabrique de l’or ?
M.H. : Non. À cette question, aucun
alchimiste ne sera le premier à répondre par oui !
(rires).
Martin Hugentobler, né le né le 19 janvier
1979, est à la foi agriculteur diplômé et
pédagogue social. Il a reçu la Lumière
maçonnique en tant qu’apprenti en septembre
2014. Il est Frère de la L\ maçonnique
« Bauplan » à l’Or\ de St Gall.
(Traduction : P.V.)
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