Dossier
Tableau contrasté de la maçonnerie sous l’Occupation
Dans le cadre des commémorations marquant les 70 ans de l’armistice de 1945, en mai dernier, on transférait au Panthéon de Paris les cendres de quatre figures illustres de la Résistance : Germaine Tillion*, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Les deux hommes étaient francs maçons.
Il convient de rappeler ici les engagements
indéfectibles de ces frères qui par leurs actes
d’héroïsme se sont sacrifiés, avec d’autres
partisans, à la cause de la liberté mise sous le
boisseau par l’occupant allemand et ses
collaborateurs français. Sans oublier l’éminent
Jean Moulin dont la mémoire est également
présente au Panthéon par un cénotaphe. Son père
était franc-maçon.
Pierre Brossolette est initié le 23 juin 1927
à l’atelier « Emile Zola » de la Grande Loge de
France ( GLDF ) où il sera actif puisqu’il y
assumera plusieurs offices, notamment celui de
Maître député. Dix ans plus tard il se fera
affilier parallèlement à « L’Aurore sociale » du
Grand Orient de France ( GODF ) à Troyes,
circonscription où il sera candidat malheureux
aux législatives de 1936 sous l’étiquette Front
populaire. Jusqu’à la fin il gardera sa double
appartenance maçonnique.
Journaliste prolixe et homme politique de
terrain, Pierre Brossolette fut l’un des
principaux dirigeants de la Résistance active.
La librairie parisienne que lui et son épouse
Gilberte possédaient était un haut lieu
d’échange d’informations stratégiques. Il
organisa des groupes en zone occupée où il
contribua, mission ardue entre toutes, à unifier
l’ensemble des mouvements. Proche du fameux
général Rémy, il ne tardera pas à rencontrer
Charles de Gaulle à Londres, après bien des
péripéties. Dès son retour au pays, une traque
incessante est menée contre lui. La police de
Vichy mettra deux jours à fouiller son
appartement. Le rapport donne un inventaire
détaillé des documents et décors maçonniques
saisis. Arrêté par la Wehrmacht lors
d’un barrage de routine, Brossolette se
défenestre le 22 mars 1944 au quartier général
de la Gestapo à Paris.
Les lois
antimaçonniques sont promulguées, précédant de
quelques semaines les lois antisémites.
Jean Zay, lui, entre en maçonnerie le 24
janvier 1926, à la loge orléanaise « Etienne
Dolet » où se trouve déjà son père Léon, notable
républicain du département et directeur du
journal Le Progrès du Loiret. L’atelier est très
représentatif de la franc-maçonnerie radicale de
la troisième république. On compte dans ses
rangs le maire d’Orléans Fernand Rabier, le
sénateur Marcel Donon, et Henry Roy qui sera
ministre dans le cabinet Paul Reynaud. Même
après son élection à la Chambre des Députés en
1932 Jean Zay participe régulièrement aux
travaux de sa loge. Ses responsabilités
politiques croissantes n’altèrent en rien
l’assiduité de cet homme de parole. Un procès-verbal
de l’année 1933 dit que « le Frère Jean Zay
envisagea ensuite, avec un peu de pessimisme, la
situation actuelle, mais montra que nous devions
surmonter les difficultés ».
Ardent partisan du radicalisme, Jean Zay a été
sous-secrétaire d’Etat à la présidence du
Conseil et ministre de l’Education nationale.
Victime de la campagne antisémite, il est arrêté
en 1940 et abattu par la Milice le 20 juin 1944.
Entre autres initiatives importantes il avait
posé les bases du Festival de Cannes qui, créé
en 1946, est le plus médiatisé du monde dans sa
catégorie
L’Art Royal décimé
Les « collabos », on aimerait croire qu’il y en
eut peu sur nos colonnes, or rien ne nous le
laisse penser. En fait, dans l’Europe sous la
botte nazie il n’est guère de communauté
religieuse, ethnique ou autre qui n’ait eu son
lot de renégats. Le dignitaire maçonnique et
vice-président du Conseil Camille Chautemps, qui
aida Philippe Pétain à imposer l’armistice du 16
juin 1940, s’entendra dire par le nouveau chef
de l’Etat, à propos de notre ordre : « Je sais
seulement que c’est une société dont tout le
monde me dit qu’elle fait beaucoup de mal à mon
pays. » Son hostilité croît très vite et le 13
août les lois antimaçonniques sont promulguées,
précédant de quelques semaines les lois
antisémites. On connaît la phrase du maréchal :
« Un Juif n’est jamais responsable de ses
origines, un franc-maçon l’est toujours de ses
choix. » Après la mise sous scellés des temples
et locaux, de terribles épreuves attendent les
exclus : arrestations, tortures, spoliations,
etc. La razzia sur les loges est diligentée par
le sinistre Bernard Fay, nommé administrateur
général de la Bibliothèque nationale. Plus de
470 caisses d’archives filent vers l’Allemagne
où elles seront dépouillées par les services
compétents.
L’oppression s’intensifie dès l’été 41 avec
l’interdiction faite aux maçons répertoriés
d’occuper une fonction publique. L’ex-socialiste
Marcel Déat, devenu ultra-collaborationniste,
tente de défendre ceux d’entre eux qui « se
dévouent à la patrie » tels les maires de Rouen
et de Vitry-le-François. Le harcèlement continue
impitoyable dans tous les secteurs d’activités.
Nous parlons ici du GODF et de la GLDF parce
qu’elles sont les deux obédiences françaises les
plus en vue, mais il va de soi que toutes sont à
la même enseigne, qu’elles soient masculines,
mixtes ou féminines. Avant même la proclamation
de l’Etat vichyssois leurs membres s’étaient
réorganisés tant bien que mal dans la
clandestinité. Les Frères et Soeurs qui
n’étaient ni morts ni emprisonnés ni enfuis à
l’étranger se retrouvaient dans des réseaux
d’action souterraine. L’un d’eux s’appelait «
Patriam Recuperare ». Ils imprimaient des
journaux avec les moyens du bord, ainsi La
Nouvelle République. On sait très peu de chose
sur leurs séances et tenues, leurs efforts se
concentraient sur le salut du pays. Il y eut en
revanche des maçons prompts à dénoncer d’autres
maçons auprès des autorités. Ceux « désabusés de
leurs erreurs » pouvaient espérer jouer un rôle
quelconque dans le cadre du redressement
national voulu par Pétain. Certains devinrent de
grandes canailles.
Sombre bilan
L’avocat Pierre Laval, numéro 2 de Vichy et
principal artisan de la collaboration, est cité
comme maçon initié en 1907. Il se chargea de
bâillonner l’institution. Otto Abetz,
l’ambassadeur d’Allemagne dans la France occupée,
l’était également dès 1939, membre de la loge «
Goethe » ( GLDF ). Social-démocrate, pacifiste
et francophile il avait, près d’une décennie
auparavant, créé « Le Cercle de Sohlberg » dont
le magazine publiait Bertrand de Jouvenel, Jean
Luchaire, Pierre Brossolette... Une fois rallié
au nazisme ses amis s’appelaient Pierre Drieu La
Rochelle, Robert Brasillach, Jacques Chardonne...
Il n’est pas indifférent de noter que la plupart
des thuriféraires de l’Ordre Nouveau venaient de
la gauche, souvent de ses courants les plus
extrêmes. Francs-maçons aussi et dévoués
fascistes, les auteurs du film Forces occultes :
Jean Mamy et Jean Marquès- Rivière. Commandité
par le ministère de la Propagande du 3e Reich,
le moyen métrage est présenté au public parisien
le 9 mars 1943. On y assiste à l’initiation d’un
parlementaire évidemment intègre et patriote qui
découvre ensuite que « le but de la maçonnerie
est de faire la guerre contre l’Allemagne ».
Autre cas édifiant, celui de Charles Riandey,
Grand Commandeur du Suprême Conseil qui écrit :
« J’ai combattu avec beaucoup d’autres, au prix
de pénibles épreuves, l’envahissement de la
maçonnerie par les Juifs. » En 1946 on estimait
que 170'000 francs-maçons avaient été recensés,
60'000 fichés, 6'000 inquiétés, 989 déportés,
540 fusillés ou disparus. Pour en savoir plus
nous recommandons le livre d’André Combes La
Franc-Maçonnerie sous l’Occupation publié aux
Editions du Rocher. J.T.
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