Dossier
Initiation, secret et fraternité, un triptyque essentiel
Les liens les plus durables entre deux ou plusieurs personnes sont généralement noués lors d'étapes décisives dans l'existence : études, formation professionnelle, scoutisme, sport, etc. Il en a toujours été ainsi et cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de francmaçonnerie, avec son initiation fondatrice d'une relation privilégiée entre tous ses membres.
Aussi loin dans le temps que remontent les
cérémonies d’initiation, elles sont intrinsèques
à la pratique de rites particuliers qui en sont
le véhicule indispensable. Ils forment la base
du signifiant et du signifié, donnant une
substance visible à la manifestation de l’esprit.
Dans les sociétés régies par des normes
traditionnelles les rites s’inscrivent dans les
rapports sociaux autant que dans une recherche
de communion avec une entité supérieure. En ce
sens ils sont les garants d’une certaine
stabilité. Les individus se reconnaissent en eux.
Gestes et mots sont vecteurs de sens. Dans un
entretien à Migros Magazine, édition du 17
novembre 2008, le médecin psychiatre Boris
Cyrulnik dit :
« C’est à travers des épreuves successives que
l’on se forge sa propre identité (...) Autrefois,
les rites d’initiation imposaient aux jeunes des
épreuves surmontables, auxquels ils devaient se
préparer. Aujourd’hui, tout cela a disparu. Je
crois d’ailleurs que si la jeunesse
d’aujourd’hui s’invente tant de conduites à
risque, prise de drogue ou d’alcool jusqu’au
coma éthylique, recherche de l’extrême, etc.,
c’est précisément que les rites d’initiation
font défaut. »
Un corpus de connaissances
Le rite exerce une action que l’on peut
effectivement qualifier de secrète sur qui s’y
soumet, et sa répétition renforce la
détermination à l’approfondir afin d’en retirer
tout le bénéfice possible de façon consciente.
Nous parlons ici évidemment de rites porteurs de
valeurs morales unanimement reconnues et
acceptées, car nous savons qu’il en est de
destructeurs de la personnalité. Dès lors, quoi
de plus naturel que les adeptes d’une même cause
manifestent entre eux un élan de fraternité qui
se doit de rimer avec solidarité. La démarche ne
sera toutefois fertile que si elle est orientée
vers l’extérieur de sa sphère d’élection,
autrement dit à condition qu’elle prenne une
dimension authentiquement universelle. Cultiver
une idée en vase clos revient à aller du même
vers le même pour, au bout du compte, se
complaire dans un frileux quant-à-soi. « Savoir
n’est pas savoir, si personne ne sait ce que
l’on sait», écrivait le poète et citoyen romain
Caius Lucilius né en 180 avant notre ère.
Le symbolisme inhérent à la
maçonnerie est antérieur à la création de
l’Ordre.
D’où la question : le savoir maçonnique
engendre-t-il un secret ? Oui, par la force des
choses, dirions-nous, si l’on s’en tient à la
définition du Robert stipulant que le secret est
« un ensemble de connaissances qui doivent être
réservées à quelques-uns. » Selon cette logique
chaque société, quelle qu’elle puisse être, a
son jardin privé. Sauf que dans le cas de la
franc-maçonnerie, le symbolisme dont elle
procède ne lui appartient pas en propre puisque,
ainsi que le souligne Nadia Julien dans son
Dictionnaire sur les symboles et les mythes, il
relève d’un lointain passé et « de tout temps,
l’homme s’est servi de symboles pour exprimer sa
pensée ou ses sentiments ou pour préserver des
vérités jugées inaccessibles au commun des
mortels, d’où les mystères, basés sur un langage
imagé compris uniquement des initiés. » Le grand
mérite des pères fondateurs de la
franc-maçonnerie est d’avoir rassemblé puis
codifié un corpus de connaissances éparses liées
à la construction en vue d’un enseignement
spécifique adapté à l’époque moderne.
Un élément de fraternité
Afin d’être efficace et de revêtir un vrai
contenu la notion de secret doit correspondre à
ce qu’en disait Giacomo Casanova : « Le secret
maçonnique est inviolable par sa propre nature,
puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour
l’avoir deviné. Il l’a découvert à force d’aller
en loge, d’observer, de raisonner et de déduire.
» Alors, en effet, ce fameux secret qui relève
de l’intuition individuelle est un élément de
fraternité, mais il n’est pas le seul, il y faut
aussi la qualité humaine. Une personne
indifférente à ses semblables dans la vie
courante deviendrait-elle altruiste une fois
admise sur les colonnes ? On peut en douter,
même en misant sur le potentiel
d’amélioration dont chacun, nous semble-t-il,
est investi. À l’inverse, un Frère peu à
l’écoute des siens en loge ne le sera guère
davantage à l’extérieur. C’est pourquoi, au
moins aussi important que le lien d’appartenance
devrait être l’engagement à servir l’idéal qu’il
s’est choisi.
Les rituels ne révèlent rien en soi, c’est en
les vivant sur la durée que nous nous en
imprégnons et les comprendrons. Mûrissement de
l’intérieur, la maçonnerie veut être approchée
avec patience et volonté de perfectionnement. On
ne peut escompter obtenir aucun « secret » qui
ne serait le fruit d’un long travail assidu. Il
ne suffit pas à un postulant de réussir un
examen d’entrée pour exceller plus tard dans sa
profession, l’exercice, la remise sur le métier,
l’assiduité par l’effort volontaire seuls
garantissent un résultat dont on pourra être
fier. Au contraire des croyants religieux, les
maçons oeuvrent dans le doute et la recherche.
Ils tentent d’apporter des réponses aux
questions qu’ils se posent, mais encore à celles
qui sont le lot de notre monde. Répétons-le, un
témoignage de fraternité vaut s’il n’a pas de
frontière et s’adresse à qui en a le plus besoin.
Depuis toujours la Grande Loge Suisse Alpina (
GLSA ) fait chaque année un don humanitaire à
des organisations qui ne sont en rien
apparentées à la franc-maçonnerie ( voir page 34
).
Enfin, ce quelque chose qui nous relie, que
l’on appelle secret ou fraternité, doit être la
raison impérative de travailler à la concorde
comme d’aplanir les différends lorsque la
nécessité s’impose. Cela participe du bon emploi
des outils symboliques. Ils ont été mis à notre
disposition afin que nous nous en servions de la
plus judicieuse des manières. Ne les laissons
donc pas se rouiller entre nos mains. J.T.
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