Dossier
L'humour, source indispensable de bien-être
Si l'humour est la « politesse du désespoir » il ne saurait être que cela. Ses nombreuses
définitions ont toutes leur part de pertinence. Chacun peut d'ailleurs avoir la sienne propre
car en ce domaine il n'est rien de définitivement établi. Nous sommes dans le champ de
la pleine liberté d'interprétation et de réactions individuelles. Il est toutefois probable que
« les gens qui ne rient pas ne sont pas sérieux », comme l'affirmait Alphonse Allais, et il
en savait un bout sur la question.
Quel était l’objet de l’amusement
du premier hominidé
qui a ri ? On peut imaginer
mille situations. Par exemple un
habitant des cavernes apercevant
un éclair zébrant la voûte céleste, un
phénomène si extraordinairement bizarre
à ses yeux qu’un ébranlement
nerveux se produit dans ses synapses
et voilà née la première forme du rire,
par soulagement suite à une grande
frayeur. L’humour peut être également
un simple instinct d’autodéfense là
où des forces hostiles sont à l’oeuvre
dans la société, et cela vaut autant
pour le paléolithique que pour 2016.
Mais l’humour est sans conteste une
impulsion créatrice qui fait se lever des
perspectives nouvelles.
Une fiction en vaut une autre
Le rire a donc l’âge de l’humanité. Sa
fonction primordiale est éminemment
libératrice. Il permet d’échapper un
tant soit peu aux multiples contraintes
qui nous assaillent. Même quelques
minutes de détente nous déconnectent
de nos préoccupations et soucis. Une
blague échangée entre amis au coin
d’une rue et soudain l’air s’éclaircit.
« Le rire fut longtemps
réprimé par les clergés. »
À notre connaissance les Saintes Ecritures ne contiennent
qu’un seul récit pouvant être qualifié d’humoristique, celui
du prophète Jonas. Il est bref, à peine trois pages. Nous
avons là un bel échantillon de cocasserie imprévue dans
une destinée humaine. Au terme du rocambolesque voyage
de notre brave protagoniste, nous aurons confirmation
que « les voies du Seigneur sont impénétrables ». Nombre
d’écrivains se sont plus à interpréter selon leur fantaisie tel
ou tel épisode biblique. Prenons Mark Twain et Rudyard
Kipling, tous deux francs-maçons, qui chacun à sa façon
a donné une autre version de l’histoire d’Adam et d’Eve.
Drôlerie garantie. Dans un pareil cas de figure le lecteur
se demande inévitablement : et si les choses s’étaient déroulées
plutôt de cette manière ? Twain et Kipling étaient
de souche anglo-saxonne, pays qui malgré leurs traits de
formalisme témoignaient de souplesse dans les affaires
religieuses, devenant le terreau d’une formidable éclosion
d’humour. Dans le monde catholique romain le rire fut
longtemps réprimé par le clergé.
Le rire, « invention du Diable »
Ceux qui n’auraient pas lu le roman d’Umberto Eco Le
Nom de la Rose en ont sûrement vu le film et se souviennent
de ces moines morts empoisonnés pour avoir ouvert
l’opus d’Aristote De la Poétique où il est question du rire,
rigoureusement interdit par la Règle de saint Benoit.
L’Inquisition instaurera un procès mémorable dans
l’abbaye alpine où l’action se passe, en 1327, avec bûchers
en épilogue. Preuve que la farce est alors passible de la
peine capitale.
Au moyen âge on se répandait en d’interminables débats
sur le sexe des anges, on cherchait à savoir si Jésus
avait ri une fois dans sa vie. Selon les opinions émises s’ensuivaient anathèmes et exécutions. Le rire n’était-il
pas une invention du Diable ? Avec la Réforme les lignes
bougent. En dépit de son image d’austérité rébarbative
Martin Luther ne dédaignait pas la gaieté, y voyant un
espace où le croyant se dégageait des entraves profanes.
Beaucoup plus tard, un autre Martin Luther, le pasteur
Afro-Américain King, dira « Si on ne peut pas rire au paradis,
je ne tiens pas à y aller. »
La Renaissance verra l’ennoblissement du rire avec François
Rabelais. Il faudrait avoir l’esprit bien sec pour ne pas se
dérider auprès de Gargantua et de Pantagruel. Désormais,
les philosophes entrent en scène, bousculent l’immuable
et rien ne sera plus comme avant : les idées sont retournées
en tous sens. Les Lumières pousseront le jeu plus loin avec
une vie associative accrue, autant de lieux où l’on croise
le fer fraternellement. Les loges maçonniques de l’époque
étaient davantage des endroits de joyeuse convivialité que
des ateliers d’études sur le symbolisme. « La plus perdue de
toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri », écrivait Chamfort,
membre des « Neuf Soeurs » comme Voltaire.
Une sélection en son âme et conscience
Dans Le Figaro du vendredi 10 décembre dernier, l’auteur
et éditeur de livres d’humour Jean-Loup Chiflet disait : « L’humour est une forme de thérapie qui
coûte moins cher qu’une psychanalyse.
Une façon de prendre de la distance et de
la hauteur par rapport à ce qu’on vit ou
ressent, une façon de ne pas désespérer de
soi ou de l’humanité. »
Partant, y aurait-il des sujets tabous ?
Ce n’est à personne de décréter en la
matière. Il n’empêche, les honnêtes
gens - et nous avons lieu de penser que
les maçons en font partie - proscriront
de leurs usages toute une série de
jokes, les graveleuses où la dignité de la
femme fait les frais, celles à caractère
raciste, ou méchantes envers un
handicap ou une faiblesse. Mieux vaut
se taire plutôt que rabaisser autrui. Le
meilleur rire est celui que l’on exerce à
ses propres dépends, se regarder dans
un miroir et se marrer sans retenue...
comme on le fera avec le florilège de
Jean-Loup Chiflet dans Le bouquin de
l’humour paru récemment. ( Editions
Robert Laffont, 980 pages, 29€. www.
laffont.fr ) J.T.
|