Dossier
L'agencement humain dans le temps et l'espace maçonniques
L'organisation interne d'une loge maçonnique, dans les rôles de ceux qui la dirigent,
témoigne d'un mode de fonctionnement qui ne doit rien au hasard. Il s'agit d'un
encadrement qui à moult égards peut être considéré d'exemplaire. La preuve de sa
fonctionnalité n'est plus à faire. L'efficacité d'un atelier, cellule de base, permet à la francmaçonnerie
d'être à la hauteur des tâches qu'elle se propose d'accomplir.
Ce serait le comble qu’une société
telle que la nôtre, basée sur le
symbolisme de la construction
et dont les membres se donnent
pour ambition de bâtir le « temple
de l’humanité » ne soit pas gérée sur
de solides bases qui lui assurent non
seulement la stabilité organisationnelle,
mais lui confèrent en plus les moyens
de poursuivre ses objectifs dans l’espace
et le temps. Telle est précisément la
raison de sa structure bien charpentée
dont les éléments répondent à des buts
définis. Cela fait que la maçonnerie
est d’abord un ordre dans l’acception
initiatique du terme. On lui a apposé des
références religieuses, chevaleresques,
monarchiques plus ou moins évidentes.
Il demeure que l’idée d’ordre relève de
la tradition pour ce qui concerne la vie
de la loge, par conséquent dépouillée
de commandement au sens où on
l’entend habituellement. La contrainte
n’est pas de mise. Mais ordre signifie
également règles et rythmes établis
afin qu’émerge l’harmonie.
« Si l’une des fonctions
prétend à la primauté il n’y
a plus de fraternité. »
Le déroulement exact des travaux est
fonction de la discipline que chaque
participant s’impose dans le cadre
qui est le sien. Il joue sa partition, en
étroite symbiose toutefois avec celle de ses collègues. Ainsi peut-on en bonne intelligence espérer
construire ensemble une oeuvre substantielle. Le terme de
hiérarchie n’est pas adéquat non plus. Il supposerait que
certains auraient un rang privilégié de par leur exercice
dans l’atelier, or il n’en est rien. Si des fonctions réclament
davantage d’engagement que d’autres, chacune a sa place
définie et toutes sont nécessaires en cela qu’elles forment
un corps indivisible. Que l’on en supprime une et la stabilité
de l’ensemble en serait compromise, l’édifice deviendrait
handicapé. Daniel Beresniak le dit très justement : « Si
l’une de ces fonctions prétend à la primauté, alors il n’y a plus
de fraternité et la voie initiatique est fermée. C’est pourquoi, dans
le rituel, la dimension est le temps, l’ordre choisi pour appeler
les différents officiers au travail n’implique aucune préséance.
Ainsi lorsque l’on bâtit, il convient de poser une pierre avant
l’autre. Celle qui est soutenue n’est pas «supérieure» à celle qui
la soutient. ». Le degré de responsabilité individuelle est le
même pour tous, quel que soit l’office que l’on occupe.
Au début ils étaient trois
D’ailleurs, quel hypothétique honneur retirerait-on d’une
mission à ce point limitée dans sa durée ? Après l’avoir
accomplie, le titulaire revient sur les colonnes du temple,
sans s’attendre à de la gratitude de la part de ses pairs.
Cela vaut également pour qui détient une position faîtière
sur le plan obédientiel, en particulier dans notre Grande
Loge Suisse Alpina ( GLSA ). Lorsque nous demandons
à un Grand Maître fraîchement descendu de charge de
nous dresser un bilan de son mandat quadriennal, il entre
invariablement dans sa réponse la notion d’avoir fait son
devoir. La simple estime fraternelle suffit à tout dans nos
échanges. Ecole de perfectionnement, la franc-maçonnerie
devrait également en être une de modestie.
Mais d’où provient cet agencement humain si particulier à la
loge ? La GLSA, précisément, souligne d’emblée au point 1 de ses « Principes généraux » que notre
alliance « est une association d’hommes
libres qui fait remonter son origine aux
corporations et confréries maçonniques du
Moyen Âge. » Ajoutons-y les guildes
d’inspiration anglaise dévouées aux
intérêts des métiers artisanaux et dont
les affiliés portaient, y compris lors de
manifestations publiques, un sautoir
agrémenté du signe distinctif de leur
profession.
« Les officiers ré-activent
la lumière intérieure du
maçon. »
C’est là, dès l’aube de la maçonnerie
opérative, que sont les sources
indubitables de nos usages, en l’occurence
dans la répartition administrative
des charges. Il est notoire
qu’il n’y avait alors guère que le maître
du chantier, assisté d ’un
surveillant qui
était son adjoint ou intendant pour diriger les réunions. Plus tard,
un second surveillant fut invité à se joindre au duo. Le
patron seul désignait ses aides. Longtemps, séances et
tenues étaient administrées à eux trois. Puis l’effectif
directeur s’étoffa vu l’augmentation du nombre des
adeptes, l’ornement symbolique du local des rencontres et
la ritualisation de celles-ci.
Des historiens font remonter au début de l’ère spéculative,
soit vers 1720, l’adjonction de nouveaux postes. « Enfin, on
voit apparaître, à partir du milieu du XVIIIe siècle, un Maître des
Cérémonies et un Architecte, qui sont les ancêtres des Experts »,
écrit Ludovic Marcos en parlant du Rite Français. À cette
époque de développement dans la théorie et le modus
operandi de la franc-maçonnerie, le collège des officiers
prendra, du moins en Europe continentale, la forme qui
sera plus ou moins celle que nous lui connaissons de nos
jours. Compte tenu évidemment des systèmes en vigueur
et des modifications toujours possibles en cours de route.
Rappelons l’importance du tableau ou tapis de loge,
projection du temple et résumé de sa sacralité. Dominique
Jardin stipule qu’en oeuvrant dans sa proximité « les
officiers ré-activent la lumière intérieure du maçon, reçue lors de
l’initiation, en même temps qu’ils recréent l’univers. » Gestes,
mouvements et paroles ont, chacun d’eux, une valeur
d’édification à la fois terrestre et spirituelle.
Chaque rite a ses composants
Depuis des lustres des frères s’interrogent sur
le bien-fondé de tel ou tel emplacement de
plateau, à quel moment convient-il de faire ceci ou
cela, combien de dalles le pavé mosaïque devrait-il
comporter, etc. Chacun y va de sa prétendue autorité.
Articles et essais sont publiés qui se contredisent
allègrement. « Seule la fréquentation assidue et
diversifiée de loges de rites différents peut mettre
un terme à des évaluations à l’emportepièce
», affirme Jacques Herman. Ce type
de débat souvent byzantin n’apporte en
effet pas grand-chose à la maçonnerie
comme elle devrait se vivre, c’està-
dire de l’intérieur. Un rituel doit
être bien exécuté de bout en bout, en
connaissance de cause, avec du coeur
à l’ouvrage et selon l’enseignement
reçu. Le reste est littérature dirait Paul
Verlaine. J.T.
Bijou de l’officier nommé maître de la Colonne d’harmonie. (© http://commons.
wikimedia.org / Scribedia)
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