Alpina 5/2000
Il est surprenant qu’après tout ce que l’on a dit et écrit sur La flûte
enchantée depuis sa création, on parle aujourd’hui de cet opéra avec autant
d’enthousiasme que s’il datait de l’année dernière. Le sujet est
inépuisable, il est vrai. Nous avons là une œuvre dépouillée mais entourée
d’un mystère diffus qui en fait toute la force et lui permet de durer. Le
symbolisme au cœur de La flûte enchantée n’explique pas tout; son
émerveillement provient de la combinaison talentueuse de plusieurs éléments
fondus en un ensemble harmonieux, émouvant, didactique sans pesanteur.
Lorsqu’on aborde Mozart il faut tenir compte de son penchant au burlesque et
à la bouffonnerie.
Il n’était pas très sérieux. Quand il est grave on a
l’impression qu’il se force, pour s’attirer les bonnes grâces des puissants
de l’époque, mais surtout pour mieux débonder ensuite son exubérance dans
une écriture musicale fiévreuse comme un fleuve en crue. Sur la plupart de
ses portraits il arbore un air à la fois angélique et moqueur, on le
croirait issu d’une espèce différente de la nôtre. Un mage venant d’une
autre planète. On a pu affirmer qu’il préférait le boudoir galant à sa loge
maçonnique. Le lui reprocherait-on? Il n’en avait pas moins capté très tôt
l’essence du symbolisme initiatique. Quelques années après sa réception il
confie: "Puisque la mort est la vraie finalité de notre vie, je me suis si
bien familiarisé avec cette véritable et meilleure amie de l’humanité que
son évocation ne m’est plus sujet de terreur mais de calme et de réconfort."
Et durant ses derniers jours c’est encore La flûte enchantée qui occupera
son esprit, malgré les contraintes du Requiem. Au bord du sommeil éternel il
veut la réentendre, et devant son épouse il se met à fredonner la mélodie de
Papageno en introduction de l’œuvre. Mozart tenait depuis longtemps à créer
un opéra en allemand, là aussi la providence aura accédé à son vœu. Les
exégètes ont beaucoup évoqué les sources égypto-hellénistiques du livret,
ainsi que Les Métamorphoses d’Ovide. On peut là encore admirer notre
musicien assimilant des influences aussi diverses pour un résultat qui porte
en profondeur la marque de son génie. Aurait-on trop glosé sur la La flûte
enchantée? Peut-être. A l’heure actuelle il ne manque pas de spécialistes
pour se chamailler sur la signification de tel ou tel passage. A vouloir à
tout prix expliquer une œuvre d’art on la dévitalise et on l’assèche. Toute
création de valeur renferme une énigme qu’il est déraisonnable de percer.
Laissons-nous plutôt emporter par ce formidable flux de sons et d’images. Il
existe fort peu de choses en ce monde que l’on pourrait qualifier de quasi
parfaites: la musique de Mozart en est une.
Jacques Tornay
|