La valeur de l’humain
(Alpina 3/2009)
Nous nous rendons le mieux compte de ce
qui fait la valeur de l'être humain lorsqu'elle
est niée par d'autres. À cet égard, le siècle
écoulé offre un tableau effrayant de cas où
pendant les guerres des hommes ont supprimé
leurs semblables sans le moindre état
d'âme, pour la seule raison qu'ils devaient
disparaître, comme on se débarrasse d'objets
encombrants qui n'ont plus lieu d'être. Tous
les jours nous voyons de ceux-là qui rendent
d'autres personnes coupables d'exister, les
estimant de trop dans l'espace et le temps
qu'elles occupent. En dépossédant un individu
de sa conscience et de sa dignité personnelle
on le prive de tout ce qui constitue
son identité profonde, on le détache de l'humanité
pour le réduire à l'état de chose. Ce
processus prend une tournure radicale dans
les cas extrêmes de conflits évoqués ci-dessus,
mais il peut également être le fait d'une
idéologie pernicieuse - quelle qu'en soit la
nature -, d'un lent conditionnement qui ne
vise à rien d'autre qu'à robotiser les esprits,
comme l'ont démontré Aldous Huxley dans
Le meilleur des mondes et Georges Orwell
avec 1984. Les vraies valeurs propres à l'humain
resteront celles qui nous permettent de
nous édifier dans un climat de liberté, d'où
l'importance de maintenir en soi-même les
conditions propices à une indépendance de
jugement et à une réflexion constructive en
tous domaines. Il s'agit d'être un acteur de
sa vie, c'est-à-dire de la diriger selon ses
voeux autant que faire se peut et non se contenter
de la voir passer, de se situer au plein
sens du terme dans ce monde en mouvement
qui est le nôtre. Il importe de se maintenir en
condition d'éveil, d'être un témoin agissant,
d'éviter les préjugés, de savoir prendre le
recul nécessaire par rapport à ce que l'on
nous présente comme des évidences incontournables,
d'aller vers les autres sans oublier
d'aller vers soi-même. Albert Einstein disait :
«N'essayez pas de devenir un homme qui a du
succès. Essayez de devenir un homme qui a de
la valeur». Toute la différence entre le profane
et l'idéal que professe la franc-maçonnerie
semble être là. Les valeurs dignes de ce
nom peuvent être transmises par les aînés,
par la tradition, l'exemple et l'enseignement,
toutefois c'est en l'intérieur de chacun seulement,
et selon l'usage que l'on en fera dans
la réalité qu'elles pourront s'incarner. La question
de la valeur humaine est au centre de
nos préoccupations car nous ne cessons de
la forger afin qu'elle soit conforme à nos
aspirations.
Jacques Tornay
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