La mort
(Alpina 11/2013)

C'est la troisième fois en quinze ans que la revue Alpina aborde le thème de la mort et nous n'avons toujours pas résolu le problème... S'il y avait une réponse à cette question nous le saurions depuis une éternité. Toutes les religions et toutes les cosmogonies ont élaboré des théories, parfois compliquées, sur la disparition physique de l'être humain. Aussi séduisants soient-ils et d'où qu'ils viennent, les points de vue sur la mort servent en dernière analyse à adoucir cette perspective intolérable d'avoir tôt ou tard à quitter la terre, ils amortissent le choc en essayant d'expliquer l'inexplicable. Il ne peut s'agir que d'une prescience. Toujours est-il que ces mêmes religions ont inspiré de nombreux artistes qui ont créé de grandes oeuvres sur l'idée de la mort, celle-ci étant du reste inséparable de la vie. La manière maçonnique d'envisager la fin ultime en vaut une autre, bien qu'elle ne nous soit pas spécifique, certaines traditions s'y réfèrent, de même que des courants de la pensée contemporaine. Il n'en demeure pas moins que l'ensemble des approches dans ce domaine sont des mesures dilatoires, des options afin d'apprivoiser l'inéluctable car «ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face», écrivait Héraclite. C'est très bien ainsi, parce que sans ce type de parade métaphysique, en l'absence d'ouverture vers le haut, peut-être serions-nous plongés dans un irrémédiable désespoir et ne serions plus capables d'avancer. Ceux qui entendent «se dépasser » eux-mêmes sont encore dans l'humain, de même le mystique soi-disant séparé du monde, le contemplatif intégral. L'enveloppe charnelle animée et les contingences de la matière subsisteront tant que les fonctions vitales ne se seront pas arrêtées. On peut se consoler à la pensée que si la vie sert à quelque chose il devrait en être pareil pour la mort. Quoi qu'il en soit, le saut dans l'inconnu qui nous attend est le passage obligé pour tous, la grande césure, le frisson solennel, la rupture radicale. Ceux qui peuvent en rire sont les plus chanceux, mais le rire n'oblitère pas la crainte que chacun de nous avons, à des degrés divers, face à l'insondable. Celui qui serait insensible à sa propre disparition serait étrangement atrophié. Quant à l'au-delà, toutes ses interprétations sont permises, aucune n'est imposable. Chacun aura sa mort unique, personnelle, tout comme nos vies se ressemblent en se distinguant l'une de l'autre. En attendant nous devons vivre bel et bien.

Jacques Tornay

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