Alpina 1/2000
Le passage à l’an 2000 sera-t-il aussi historique et déterminant que la
rumeur publique se plaît à l’affirmer? Peut-être pour certains, probablement
pas du tout pour la majorité des habitants de cette planète. En revanche il
est sûr que l’enjeu revêt une importance primordiale pour les grandes
entreprises du monde industrialisé qui depuis quelques mois montent en ligne
pour offrir une vaste gamme de produits siglés " millenium ". Nous sommes
certainement à la veille d’une déferlante de consommation sans précédent.
Consommer, encore et toujours, plus que de raison, est-ce le bon moyen de
parvenir à une sérénité d’esprit et d’encourager une pensée critique nous
faisant de plus en plus défaut?Reconnaissons que nos peurs sont
largement attisées puis exploitées par des systèmes que personne ne semble
contrôler. La manipulation des réflexes humains élémentaires n’est certes
pas un phénomène nouveau mais aujourd’hui elle ne s’appuie plus guère sur le
religieux ou l’imagerie mythique. La technologie a pris le relais. On
présage ainsi ce qui nous attend au tournant du siècle. Partout,
institutions et services se mobilisent aussi en vue de l’échéance toute
proche. Les Nations Unies elles-mêmes ont conseillé à leurs 14000 employés
d’adopter un train de mesures "similaires à celles prises en prévision de
catastrophes annoncées". Ensuite il y a ce fameux bogue informatique
suspendu au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès. Se produira, se
produira pas? La tension générée dans certains milieux débouche sur une
véritable paranoïa, et l’on reste confondu d’assister à une telle vague
d’irrationnel dans un monde, le nôtre, où l’on prêche le raisonnement et la
maîtrise de soi. Cela paraît hélas inévitable dès le moment où on laisse des
appareils régir nos vies. Ce n’est pas nécessairement en organisant des
fêtes tapageuses que l’on ancre un événement dans la mémoire mais en se
réunissant autour de valeurs authentiques. La plus belle manière de se
souvenir du passage à l’an 2000 serait une action d’envergure internationale
où chacun consacrerait une part de son superflu afin que d’autres, démunis
du nécessaire, puissent franchir dignement le seuil d’un millénaire que l’on
espère meilleur que le précédent. Beaucoup agissent déjà. La preuve,
toutefois, que ces efforts ne suffisent pas est que la misère persiste.
Pour terminer sur une note d’optimisme, toute la rédaction de la revue
Alpina souhaite à ses lecteurs une nouvelle année heureuse et prospère.
Jacques Tornay |