Alpina 3/2000
Il n’est jamais trop tard pour découvrir Platon, ou en faire une lecture
nouvelle. Après tout, lui et Aristote, son disciple pendant près de dix-sept
ans, sont d’éminents penseurs dont les théories respectives sont à la base
de la philosophie occidentale. Platon n’a eu de cesse de rechercher l’être
véritable. Pour mener à bien son entreprise il sépare la réalité en deux
mondes distincts: celui des sens, celui des idées. Le premier est lié à la
matière, au corps, il est périssable, transitoire. Le deuxième concerne les
idées, non pas fluctuantes selon nos caprices mais immuables et placées à
une telle hauteur que l’homme n’a pas trop de son existence pour en
connaître le domaine. Platon croit aux idées. Toute son œuvre
en est le reflet. Il n’est aucun devoir plus impératif que celui d’aller à
l’essentiel, à cet effet la dialectique, ou l’art de causer au moyen de
questions et de réponses, constitue la meilleure des voies. Quiconque
s’efforce de chercher la vérité inlassablement finira par y accéder,
seulement, il importe de ne pas faire un dogme de celle-ci car elle pourrait
alors prendre un visage terrestre et appartenir à la sphère matérielle,
sujette aux changements. Platon adhère à la notion de permanence. L’immuable
est son royaume, l’idéalisme sa raison de vivre. Ennemi de l’injustice et du
désordre, Platon le sera également de la démocratie de son temps, celle-là
qui condamnera à mort son maître Socrate: "Le plus sage, le plus juste et le
meilleur des hommes." De par son exigence intellectuelle, sa vision
constamment axée vers l’abstrait et l’invisible, Platon est en porte-à-faux
avec la Grèce que l’on connaissait jusqu’alors, par ailleurs prodigue en
réalisations admirables. Il est dommage que l’adjectif platonique, synonyme
de chasteté physique, soit devenu plus familier que l’auteur du Banquet.
Navrant aussi est le fait que l’on assimile parfois Platon à une sorte de
dictateur philosophique. La lecture des articles qui lui sont consacrés ici
permettront de dissiper certains malentendus. Sa manière non dénuée de
poésie et de touches d’humour témoigne d’un esprit de souveraine liberté, il
prône avant tout la discussion ouverte et ne serait-ce qu’à ce titre il a
beaucoup à dire à nos contemporains en général et à nous francs-maçons en
particulier car n’oublions pas sa passion pour la géométrie. Ça ne relève
pas du hasard si le premier personnage auquel nous consacrons un thème
d’étude en ce nouveau siècle est précisément celui qui a souligné: "Il faut
en effet, chez l’homme, que l’intelligence ait lieu." Jacques Tornay |