Alpina 3/2001
Le mot intégrisme s’est répandu dans nos médias à la fin des années 60 du
siècle dernier. Il se référait surtout, alors, à la Fraternité St-Pie X qui
sous la direction de Mgr Marcel Lefebvre s’installait en Suisse. Ceux qui
rejettent Vatican II sont ainsi qualifiés d’intégristes. L’origine du terme
est plus ancienne, dès le début il semble être appliqué spécifiquement à la
sphère religieuse. L’intégrisme définit toutefois davantage une mentalité,
un état d’esprit, qu’une doctrine proprement dite, et traduit la disposition
de croyants qui tiennent envers et contre tout à préserver dans leur
intégrité les caractéristiques de leur foi qu’ils estiment fondamentales, et
cela jusque dans des aspects extérieurs tels que l’habillement ou la
coiffure. Ils forment un bloc compact et imperméable à tout élément
du dehors jugé hostile à leur conception du sacré. Dans l’une ou l’autre de
ses dénominations, le christianisme n’a pas le monopole de l’attitude
intrégiste ou fondamentaliste puisque les autres religions dites révélées,
pour ne parler que d’elles, et qui se réclament pourtant d’un même Dieu
d’amour, ont leurs fractions d’intransigeants, prêts à en découdre avec un
ennemi toujours clairement désigné. Ils tournent le dos au progrès, à la
science, aux idéaux de la démocratie, au monde de l’argent, à moins
peut-être que ceux-ci ne servent leurs objectifs. Dans les cas extrêmes il y
a forcément terrorisme, surenchère de menaces et de violences.
Dès lors nous sommes loin d’un choix d’autarcie pacifique
selon des règles et des dogmes communément admis, mais en présence d’une
volonté de coercition voire d’extermination exercée par des chefs qui s’en
prennent à ceux dont le malheur est de penser différemment. Nos cinq
continents abondent en conflits meurtriers ayant la religion pour toile de
fond. Quiconque se soucie des droits élémentaires de la personne humaine ne
peut rester indifférent face à de pareils débordements qui laissent ruines
et souffrances derrière eux. Vu sous cet angle, c’est peu dire que
l’intégrisme représente un danger. On reproche parfois à la franc-maçonnerie
de relativiser les religions particulières. Quand cela serait, ne
voudrait-il pas mieux que de les exacerber? Nous partons du principe qu’une
croyance est d’abord une question intérieure et qu’il est préférable de la
vivre dans un esprit de tolérance réciproque plutôt que dans une logique de
confrontation. Etendu au champ politique, l’intégrisme débouche sur la
dictature, avec les mêmes effets pervers. A propos, chaque idée
philosophique, chaque notion du sacré ou autre, ne cache-elle pas son germe
d’intégrisme? Et soi-même, ne manque-t-on pas de souplesse lorsque nous
tenons si souvent à avoir raison? Méditons la fable
"Le chêne et le roseau" de Jean de la Fontaine...
Jacques Tornay
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