Alpina 4/2001

La notion du devoir n’est pas identique partout, elle revêtira des significations sensiblement différentes selon les lattitudes et les caprices de l’histoire. L’idée que l’on s’en fait fluctue au sein d’une même communauté, au point qu’il est rare que deux personnes se mettent d’accord sur ce thème dès qu’elles entendent lui donner un contenu précis. Les définitions célèbres ne manquent pas. "C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir", a écrit François René de Chateaubriand, et l’on reconnaît là sa tournure. Plus philosophique, Auguste Comte: "Nul ne possède d’autre droit que celui de toujours faire son devoir." Quant à la citation suivante:

"Faire son devoir de tous les jours, et se fier à Dieu pour le lendemain", on peut s’étonner de la trouver sous la plume de Charles Baudelaire. En définitive, ici comme ailleurs, chacun aura sa propre vision des choses selon la manière dont il dirige sa vie. En tout état de cause il est préférable de mettre "devoir" au pluriel, c’est une garantie contre l’arbitraire d’une conception unique.

Les devoirs du franc-maçon seront énoncés à l’impétrant lors de sa réception, il en prendra conscience et naturellement s’évertuera à les traduire dans une pratique permanente. Cela suffira-t-il pour en faire un homme accompli? Les devoirs qui nous sont transmis ou rappelés d’une génération à l’autre s’adressent pour la plupart à notre personnalité extérieure et visent à responsabiliser l’individu dans son parcours d’existence. Se borner à appliquer des règles, seraient-elles les meilleures du monde, n’assure pas une pleine réalisation de soi, et c’est pourquoi les devoirs essentiels sont intérieurs, fruits de la conscience et du cœur. Qui ne s’imposerait aucun devoir s’autodétruirait.

La franc-maçonnerie est une ancienne école qui permet de prendre la juste mesure des droits et des devoirs par son enseignement axé sur un changement de la personne en profondeur. Rester à son niveau, attendre que les événements et les autres nous façonnent, est un aveu de défaitisme ainsi qu’un refus des riches possibilités que porte chacun de nous. L’effort vers l’autoperfectionnement est notre devoir prioritaire. Ambition sans doute considérable mais combien exaltante, prometteuse. Ne pas entreprendre de s’améliorer à tous points de vue débouche sur l’amertume, et si le travail ne commence pas immédiatement il arrivera un temps où l’énergie nous manquera pour être ce que nous devons. Les devoirs qui valent le plus sont les promesses que l’on grave soi-même.

Jacques Tornay

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