Alpina 5/2001

Parviendrons-nous un jour à comprendre tous les phénomènes de la nature qui nous environne? Si tel était le cas il n’est pas sûr que nous serions plus avancés. Par ailleurs on peut se poser la question de l’usage que nous ferions d’un tel savoir. L’éternelle propension de l’homme à vouloir dominer ses semblables à l’aide de nouvelles découvertes fait toujours craindre le pire. Et les êtres restés sains d’esprit, animés d’une volonté authentique et désintéressée pour l’amélioration du monde, sont une minorité dont les moyens semblent dérisoires face aux décideurs de la planète. Qui maîtrise un ou plusieurs éléments de la nature possède un pouvoir évident. Tel est l’axiome depuis la nuit des temps.

Les apprentis sorciers demeurent parmi nous en ce début du troisième millénaire, à tel point qu’il se crée un peu partout des comités ou des commissions d’éthique chargés d’enrayer les abus. Dans son essence la nature – c’est-à-dire la flore, la faune, et même la matière inerte – apparaît à la fois simple et plus compliquée que les grands débats nous la présentent. Car enfin, si l’on peut expliquer rationnellement la structure et les propriétés d’une plante, ses lois intimes nous demeurent cachées. De là naît le mystère. Des penseurs et savants de l’antiquité comme Démocrite, Epicure ou Lucrèce savaient les dissonances et le caractère imprévisible de leurs sujets d’observation. Ils se rendaient compte de la difficulté, peut-être insurmontable, de tout saisir par la seule raison. Nous, hommes et femmes agités par l’incessant progrès, avons perdu en partie cette faculté d’admiration qu’avaient nos aînés devant les spectacles de la nature. A propos de celle-ci Jean-Noël Cuénod parle d’"inquiétante sérénité" dans son livre La Franc-Maçonnerie et la Nature (Borégo, 1998). Ce qui montre bien le côté insaisissable des choses que nous regardons. Nature diverse, insolite, tour à tour merveilleuse et effrayante; contradictoire parce que, au bout du compte, échappant à nos analyses les plus pointues. Il suffirait pourtant de l’aimer, donc de la respecter, comme nous y enjoignent les auteurs des articles de cet Alpina de mai, mois d’effervescence entre tous. Il suffirait aussi de prévoir ses caprices parfois dévastateurs là où vivent des humains...

Nous ne traitons pas ici prioritairement du symbolisme de la nature ni des différentes croyances qui lui sont attachées. Il nous a paru préférable de situer l’homme dans son contexte actuel, de mettre l’accent sur quelques réalités contemporaines, et de rappeler les liens d’interdépendance étroite qui existent entre tout ce qui vit sur notre terre. D’où la nécessité d’être clairvoyants.

Jacques Tornay

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