Alpina 10/2002
Il n'échappe à personne que l'utopie a plusieurs visages. Celle qui
s'exerce sur le plan des idées aboutit souvent à l'horreur ou, au contraire,
participe au bonheur des hommes. Selon ce que ces derniers en feront. Toute
science, religion, philosophie et conception politique recèle un élément
d'utopie, c'est-à-dire quelque chose à première vue irréalisable à
l'entendement. Toutefois, certaines utopies d'hier sont réalités
d'aujourd'hui, l'impensable s'est traduit dans les faits. L'expression
populaire «on n'arrête pas le progrès» se vérifie, mais la notion de progrès
n'est pas la même pour tous, et les réalisations bénéfiques sur le moment
s'avèrent quelquefois néfastes le lendemain.
C'est bien le signe qu'une partie du monde tâtonne dans un
clair-obscur pour trouver des solutions aux problèmes. A tout prendre, cette
recherche hasardeuse est préférable aux certitudes imposées au nom d'une
vérité unique. Le bilan des pouvoirs absolutistes ensanglante les siècles.
Heureusement, l'utopie version idéologique est davantage conceptualisée que
mise en œuvre et l'homme tôt ou tard se révolte contre ce qui le bride et le
brime. Quant à l'utopie scientifique, on la découvrira d'abord chez les
écrivains de science-fiction dont nous avons des œuvres admirables.
Dans une approche superficielle la franc-maçonnerie peut
avoir un goût d'utopie puisque ses adeptes travaillent au Temple de
l'Humanité, avec majuscules, et tendent à une fraternité universelle. A
mieux y voir elle propose avant tout des outils liés à un symbolisme précis,
de même qu'une volonté de perfectionnement. Nos auteurs de ce mois ont
raison de souligner ces aspects essentiels. Il n'y a là rien d'inatteignable
ni de chimérique. Ce sont des idéaux.
Pour dépasser un tant soit peu «l'art du possible», ne
devrions nous pas, cependant, faire davantage que le nécessaire? En bref,
nous porter en avant avec plus d'audace afin que ces idéaux gagnent en force
dans la réalité. L'homme vit aussi des visions qu'il porte en lui et doit
amener à bonne maturation.
Jacques Tornay
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