Alpina 5/2002

Nos collaborateurs de ce mois planchent sur le sujet proposé: l’humilité. Exercice difficile, selon toute apparence, qui n’est pas sans écueils car le terme a beaucoup de synonymes auxquels on le confond parfois. Il s’agit de définir, de clarifier, ce que l’on entend par humilité avant de se lancer dans une théorie interprétative. On ne peut donc en vouloir aux auteurs de s’être précipité sur les dictionnaires pour déblayer le terrain.

Nous avons tous vécu des situations où l’attitude humble nous a porté préjudice, mais à certaines occasions la manifestation de ce sentiment a au contraire joué en notre faveur. Le fait est que l’on ne peut être réellement humble, ou à l’opposé arrogant, sur simple commande.

Une telle disposition relève du caractère de la personne et beaucoup d’individus sont tantôt l’un tantôt l’autre, au gré des circonstances, de l’humeur, etc. Il faut dire également que si l’humilité est désignée comme un objectif idéal, le struggle for life, la lutte pour la vie, fait tout pour nous en dissuader. Il commence sur les bancs de l’école. Souvenons-nous de la fable de Jean de La Fontaine Le loup et l’agneau qui débute par cette funeste sentence: «La raison du plus fort est toujours la meilleure». Il s’agit éventuellement d’une litote de la part de l’aimable conteur. Il n’empêche, l’humilité apparaît ici, et dans combien d’exemples au quotidien, comme une infirmité plutôt qu’autre chose. Pourtant, l’humilité authentique - non celle que l’on feint pour en tirer avantage - exige une force de caractère bien supérieure à toute démonstration de pouvoir. Relisons pour nous en convaincre le fameux Manuel d’Epictète (Garnier Flammarion), véritable guide de la réserve et de la décence dans la conduite de la vie.

Dans le monde profane l’humilité a presque toujours une connotation négative, dans le monde spirituel en revanche elle représente une vertu parmi les plus précieuses qui soient. À chacun de se situer en fonction des buts qu’il désire atteindre, au besoin en faisant violence à sa vanité. À notre avis c’est elle, la vanité, la pire ennemie de l’humilité, non pas l’ambition, qui permet de créer des œuvres d’art, des systèmes philosophiques, de poser les fondements de sciences et de techniques nouvelles, autant de réalisations grandioses ou modestes dont les applications heureuses témoignent d’une volonté de l’esprit humain de s’affirmer dans un schéma digne de lui. Etre humble et vouloir progresser ne sont pas des notions antagonistes.

Jacques Tornay

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