Alpina 6-7/2002
On ne compte plus les ouvrages publiés aujourd'hui sur les cathédrales.
Cela va du modeste guide touristique au luxueux livre d'art signé d'un nom
prestigieux. Etrange phénomène d'une époque moderne et matérialiste que l'on
dit se désintéresser du religieux, de même on afflue chaque année des quatre
coins du monde pour visiter ces impressionnants édifices «héritiers du forum
romain» selon le professeur Jacques Le Goff. Simple désir de repères
culturels sans autre portée? Attrait muséographique pour un passé à la fois
fastueux et inquiétant ? Pas sûr. On ne peut s'intéresser aux lieux sacrés
sans en subir quelque influence, l'être le plus raisonné y éprouve une
présence qui le dépasse. Cependant, au moyen âge les choses étaient beaucoup
plus contingentes.
La foi allait de soi, elle régnait en Europe sans partage ou
presque et prêtait peu à la discussion. Endroit privilégié de la liturgie,
la cathédrale, poumon de la cité, n'en est pas moins un espace de rencontres
pour les gens du peuple, les laïcs. On y pratique une forme de convivialité.
Tout dans son architecture est imprégné de symboles, la
moindre de ses parties semble avoir sa signification particulière avec ses
correspondances, parfois cachées, entre les réalités terrestres et célestes.
On a un peu trop schématisé les relations entre les
ecclésiastiques et les constructeurs, maîtres d'œuvre en tête. Les premiers
ne se contentaient pas toujours de donner des directives aux seconds,
certains témoignaient de connaissances approfondies. De même, tous les
architectes n'étaient pas des «initiés». Les problèmes techniques à résoudre
étaient souvent si énormes, à l'aide d'outils et de moyens graphiques si
rudimentaires, qu'ils mobilisaient leurs énergies. D'autant que la lente
érection d'une cathédrale occupait sur la durée plusieurs générations
d'ouvriers. D'où l'importance de la transmission de précieux secrets liés au
métier. La pensée qui anime l'ensemble des acteurs est de servir le
Très-Haut par une œuvre de pierre visible à même de défier le temps.
L'ardeur mystique et les dures contingences côte à côte. Si, en dépit de
toutes nos études savantes depuis des siècles, la cathédrale en sa
monumentalité demeure un mystère insondable, c'est parce qu'il était prévu
que cela soit ainsi.
Jacques Tornay
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