Alpina 11/2003

La vie et la mort: deux soeurs inconnues, qui ne se dévoilent pas ou si peu. Ce sont vers elles, pourtant, que vont toutes nos interrogations, vers cette vie dont nous ne goûtons qu'à une part infime durant notre passage terrestre et dont les motivations nous échappent, vers cette mort qui nous paraît cruelle, injuste et absurde au-delà de toute expression. Irréversibles, ces deux phénomènes nous sont imposés, mais ils nous appartiennent étroitement, chacun a sa vie et chacun sa mort dans le grand ensemble que nous formons avec les autres règnes. Doit-on avoir peur de Thanatos plus que d'Eros?

Tout nous est incertain, les questions que nous formulons en nous-mêmes sur l'après-mort ou l'avant-vie ne nous offrent que de faibles réponses sous forme d'hypothèses, et la vraie sagesse consisterait peut-être à ne pas se mettre martel en tête à leur sujet. Aussi élaborées et séduisantes que puissent être les religions, les doctrines spirituelles, les voies initiatiques, les théories métaphysiques et les eschatologies de toutes sortes, elles sont au bout du compte des moyens de refuser notre condition de mortels bornés par l'univers visible, et aussi de calmer nos angoisses devant notre effacement inéluctable. Nous avons besoin de promesses, de porter nos regards vers l'immatériel. Sans vision il n'y a pas d'Art qui tienne. Sans la pensée de ce que représentent la vie et la mort il n'y a pas non plus de culture, de civilisation, de mémoire…

C'est lorsqu'ils ont levé le front au-dessus de leurs contingences que nos plus lointains ancêtres sont sortis de leur gangue. La science ne rassure pas davantage qu'une croyance lorsqu’il s'agit des fins dernières, il s'en faut de beaucoup. Nous continuons cependant à nous préoccuper de l'ici-bas et de l'au-delà car telle est notre configuration d'esprit. Nous voulons savoir comment la vie fonctionne en ses innombrables modalités, pourquoi telle chose a lieu et pas une autre, nous désirons connaître la raison de devoir quitter ce monde dans lequel nous restons un temps si court et que nous avons appris à aimer, malgré ses imperfections et ses horreurs parfois. Il y aurait encore énormément à dire, sur le double thème de ce mois. Justement, laissons à nos collaborateurs le soin de le dire…

Jacques Tornay

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