Alpina 4/2003

Chacun pourra consulter son dictionnaire pour connaître la différence entre un rite et un rituel. Différence ténue, au point que dans certains cas on peut user de l'un ou de l'autre terme sans qu'il en résulte une perte de compréhension. Nous sommes en présence d'une série de gestes et de paroles qu'il s'agit d'accomplir et de prononcer selon un ordre codifié par une autorité ou par l'usage. Les objets utilisés sont également importants. Ils prennent vie à la chaleur de la main qui les manipule et jouent leur rôle dans les pratiques auxquelles ils sont soumis. Il est ainsi des objets si chargés d'évocation qu'ils sont aussi éloquents qu'un texte explicatif. À dessein nous n'avons pas fait suivre de l'adjectif maçonnique le titre de ce thème d'avril.

Afin d'ouvrir le champ. Les rites et rituels sont nombreux au point qu'un auteur qui entendrait les répertorier de manière exhaustive se verrait confronté à une tâche impossible. Songeons seulement que les premiers cérémoniaux remontent au Néanderthalien et concernent le mode d'inhumation des morts. En fait l'ensemble des rituels tournent plus ou moins autour des notions indissociables et alternées de vie et de mort. Notions absurdes s'il en est puisque l'une et l'autre demeurent des mystères dans leurs causes et leurs finalités, mais le rituel n'a pas pour fonction d'expliquer quoi que ce soit. Il sert à montrer. Il nous pousse vers l'interrogation humble et répétée. Pris tel quel, dans ses seules valeurs verbale et gestuelle, un rituel ne recouvre pas de sens particulier. C'est mis en œuvre qu'il acquiert ce que l'on pourrait nommer une signification d'opérativité. Tout comme une voiture est inutile tant qu'il ne se trouve personne pour la conduire.

Un rituel n'est ni bon ni mauvais en soi. Il est une invention humaine, exige un conditionnement, et son contenu sera ce qu'en feront ses pratiquants. L'idée précède le mouvement, l'intention détermine la nature du rituel. Nous l'estimons à juste titre négatif s'il vide l'être de sa substance, en fait un pantin désarticulé, incapable du moindre discernement. Positif s'il renforce en lui cette forme de conscience supérieure où l'esprit, le cœur et l'intelligence se rejoignent. On se demande parfois aujourd'hui, y compris parmi ceux qui y souscrivent en principe, si les rituels sont encore d'actualité, s'ils ne seraient pas dépassés, désuets. Question typiquement contemporaine car autrefois elle ne se posait pas. Le cérémonial dirigé vers des buts élevés gardera sa raison d'être tant que nous nous poserons des questions pertinentes sur nous-mêmes et le monde. Il est inséparable de notre personnalité profonde car il atteint en nous une région que la raison discursive n'atteindra jamais.

Jacques Tornay

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