Alpina 10/2004

Le plus souvent la réalité nous apparaît comme une dimension terre à terre régie par le pragmatisme et les contingences matérielles, elle se confond avec les habitudes quotidiennes, le réalisme en toute chose, les conventions sociales et la soumission économique, bref: la réalité est ennuyeuse. En face, l’idéal nous semble paré des couleurs les plus chatoyantes, c’est le bonheur, une plénitude que rien n’entache. Et si le contraire était vrai? Il y a dans notre monde au moins autant de motifs de se réjouir que de s’affliger. Ce qui à première vue nous paraît banal peut se révéler merveilleux si l’on y porte une attention suffisante. L’idéal est le devenir potentiel.

De l’autre côté, l’idéal peut facilement se transformer en cauchemar. Nombre d’objectifs au départ altruistes, élevés, sont devenus des horreurs. De l’idéal à l’idéologie il n’y a qu’un pas… La folie des hommes, dira-t-on. En tous les cas de quelques-uns. Et pourtant on ne saurait se passer d’idéal. Les habitants des cavernes qui aménageaient leur environnement en vue d’un plus grand confort étaient déjà des idéalistes. Le mieux-être commence par soi-même.

Estimer qu’un idéal est par définition inaccessible c’est ne pas se donner les moyens d’y parvenir, ou alors ce n’est pas un idéal mais une utopie et nous passons là dans un ordre d’idées différent. Prenons l’exemple du franc-maçon Victor Schoelcher dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance. En son temps l’esclavagisme arrangeait tout le monde sauf la conscience de certains «rêveurs». Grâce à une détermination décisive, l’abolitionnisme était décrété en 1848. Aujourd’hui encore et demain toujours, des êtres oeuvrent à améliorer la condition humaine. La franc-maçonnerie ne propose pas un idéal de société, ni un quelconque schéma politique ou religieux. Elle propose un idéal de fraternité, renforcé par une symbolique, afin que nous puissions vivre et bâtir ensemble. Les travaux que nous présentons dans ce numéro de la rentrée concernent tous le thème central du mois. Ils fournissent des axes de réflexion subtile autour de deux notions complexes qui seront débattues tant que l’humanité existera.

Jacques Tornay

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