Alpina 3/2005
Où, quand et comment situer les sources de la franc-maçonnerie? De
nombreux spécialistes s’y sont employés et continuent à le faire au fil de
colloques, conférences, cours, par la publication de livres, parfois
intéressants. Tous ne sont pas d’accord entre eux, leurs vues divergent
souvent sur l’apport de telle ou telle culture ou courant de l’Antiquité à
nos pratiques et enseignements. Cela n’a guère d’importance pour bien vivre
la maçonnerie au quotidien. Il faut se rendre compte qu’il y a sur le plan
historique des influences réelles, certaines qui sont supposées, et d’autres
franchement fantaisistes.
Les légendes peuvent être belles et édifiantes si elles
restent en l’état. Travesties en vérités elles ont tendance à prendre un
visage grimaçant.Aussi est-il bon de bien spécifier la nature des choses
lorsque l’on parle des antécédents lointains de la maçonnerie, de ne pas
oublier le conditionnel et les points d’interrogation en évoquant un passé
diffus. Toutes les licences sont évidemment permises en matière d’extrap o l
ations, et au nom de la liberté d’expression nul ne saurait les entrav e r.
Il n’en reste pas moins que chacun doit opérer un tri entre les faits
objectifs, vérifiables, et ce qui relève de l’interprétation personnelle.
On s’est plu quelquefois à multiplier les pistes, voyant un
peu partout, des premiers âges jusqu’à la modernité, des signes de
franc-maçonnerie. Il y a eu dispersion de références arbitraires. En les
prenant pour argent comptant ne risque-t-on pas de s’abuser? À force de
regarder fébrilement de toutes parts les yeux s’affaiblissent, à la longue
ils s’aveuglent. Pourquoi ne pas revenir aux chantiers opératifs qui, eux,
constituent une base irréf r ag able de notre ordre et conduisent, l o
giquement semble-t-il, au tournant spéculatif? Ce qui est trop antérieur à
celui-ci appartient au patrimoine collectif de l’humanité. Toute
institution, société ou mouvement à caractère spirituel ou philosophique
peut s’en réclamer. C’est réduire la portée d’un héritage que de le
revendiquer pour soi seul. Nous ne devrions pas craindre un dépouillement
dans notre manière de penser. Se décharger du superflu permet de voyager
léger, donc d’aller plus loin. En nous rattachant à nos ancêtres de
filiation directe et à leurs travaux, un monde s’ouvre à nous, un monde
diversifié puisque universel. En cela nous renforçons notre raison d’être
aujourd’hui.
Jacques Tornay
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